Une fois encore, il galopait, sans but précis si ce n’était de pouvoir laisser le vent caresser sa silhouette, s’engouffrant dans ses habits et les faisant claquer, tandis qu’il chevauchait dans l’étendue de la plaine limitrophe de la ville d’Althaïa. Ah ! Althaïa… ville réputée pour sa magie, son art, son romantisme. Ah ! Althaïa, si prompte à se poser en modèle de cohabitation. Des termes et des idées vides de sens, désormais, si l’on comptait sur l’allégeance officielle de la cité à Fabius Kohan… Althaïa siège de la magie collaborait tant bien que mal avec les fanatiques du Néant et pourtant, dans les confins rocheux d’un cœur troglodyte et oublié de tous, la rébellion couvait, gangrène du nouveau régime impériale qui se voulait novateur, paisible et glorieux sous l’égide d’un individu aux mains salies du sang familiale. Que les rebelles gagnent et la ville se draperait des couleurs d’une loyauté pleine de risques mais aussi remarquable que soit sa position et la décision qui l’avait vu naître, les considérations de ses habitants n’étaient pas tout à fait si admirables. En arrivant au cœur du réseau souterrain qu’était Aigue-Royale, il avait pensé pouvoir se rendre réellement utile. Découvrir que sa principale occupation serait de pallier les faiblesses des magiciens humains l’avait vexé. S’il n’était pas pourvu d’un égo surdimensionné, il n’était pas non plus dépourvu de fierté. Et les choses n’avaient pas cessées d’empirer, quand bien même il donnait de sa personne et de sa patience pour tenter de supporter l’affront répétitif orchestrer par ce qui n’était rien de plus qu’une bande d’enfants particulièrement avides et impatients. Parfois, il avait donc tout naturellement besoin de prendre l’air, de s’évader… De laisser son maintien au placard et de n’être plus que lui-même, sans cette damnée façade, sans contrôle de soi. Simplement cet homme, cet être, qui n’aspirait qu’à la liberté d’un ciel sans fin, à la symphonie des battements d’ailes draconiques et à la parfaite cohésion de deux esprits s’unissant jusqu’à ne former plus qu’un, libre de toutes chaînes et attaches terrestres. A défaut de pouvoir rejoindre sa moitié, cependant, il se servait de sa monture comme d’une catharsis, soulageant son besoin de grands espaces tant bien que mal…

Et c’était dans l’étreinte des feux du couchant, magnifiés par la vitesse de la course de son destrier en une fresque au sein de laquelle les couleurs se fondaient, s’entrelaçaient, se dégradaient en une palette sublime, comme l’explosion d’une étoile mourante, ou la traîne flamboyante de l’esprit du feu… Les nuages encombrant le ciel s’ourlaient de couleurs presque fantasmagoriques, peintures délicates au grain parfait d’un maître dont le nom était nature. Et pourtant, ce superbe paysage n’était qu’une ombre fébrile, en arrière fond de cette course sans fin qui le portait à l’envie dans cet océan herbeux, à la fois lointain et proche, palpable et compliment d’une imagination fertile qui s’imaginait l’ondoyante verdure se transformer en figure de conte, en dragon ou en véritable mer tandis que le vent lui sifflait aux oreilles, murmurant des souvenirs d’ailleurs, contant les émois d’âmes esseulées aux confins d’un monde dont les limites n’étaient nullement les flots de ce continent. Enchantement si simpliste, et pourtant si prenant, alors qu’il fermait finalement les yeux, s’abandonnant aux ressentis. La fraîcheur de l’air, sa griffe sur la peau de marbre, le jeu des puissants muscles de sa monture, la chaleur qu’elle dégageait… et puis soudainement, comme un enchantement, ce fut non plus d’antiques et lointains échos qu’il entendit, mais le nectar profond de celui qui n’était rien moins que sa proie désignée, son elfe, précieux trésor d’un dragon redoutable à l’éveil encore imparfait. Eliowir, dont le ton, les notes, faisait palpiter une vie factice chez lui, l’animant de désires sourds et vibrants au plus profond de son être, laçant chaque geste de langueur douce… Eliowir, que pouvait-il bien faire ici ? Là, quelque part… Sa voix était lointaine, mais le clair parlé l’enivrait déjà. Se joindre à la rébellion disait-il, faisant gronder tout bas le dragon empoisonné. Pourquoi si pauvre et triste choix que celui-ci ? Il le saurait bien assez tôt, n’ayant nullement l’intention d’ignorer son appel et, cherchant le faucon du regard autant que sa présence dans la trame magique, il se dirigea vers lui, ne ralentissant nullement la violence de sa chevauchée qui drainait toujours l’énergie de ses muscles, comme nul autre ne pourrait le faire.

A moins que lui n’en soit capable ? Peu importait. Se dirigeant vers le lieu où se dissimulait l’elfe, il ne s’arrêta qu’en entendant son cœur et en sentant son odeur, le goûtant sur sa langue… Tirant sur les rennes, il arrêta enfin le destrier piaffant avant de descendre de sa selle, un peu lourdement, le corps engourdis pendant un bref instant par l’intense course qu’il avait effectué. Plus que par la vision, ce fut le chant de ce cœur tant désiré qui le conduisit auprès de l’homme. « Eliowir » salua-t-il d’une voix douce, l’ombre d’un sourire aux lèvres. Combien de temps depuis son appel ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais il était venu, néanmoins, cela n’aurait donc guère d’importance. « Je suis venu à vous, doux ami. Votre présence me surprend cependant » Elle le surprenant, mais le satisfaisait, bien entendu. L’observant avec attention, une partie de lui-même ne put que se gorger de la vision de cet elfe qui avait pris, en peu de temps, une outrageante importance en son esprit… « Ainsi, vous désirez prendre part aux œuvres de la rébellion ? Fort bien, je vous guiderez, mais, si vous pardonnez ce désir, accordez moi donc un moment seul en votre compagnie, tant pour vous que pour moi, pour profiter de l’autre et de cette verdoyante nature, car elle est hélas absente, là où je vous emmènerais »

Entendre son nom lui arracha un délicat fantôme de sourire au vampire, qui s’affermit sensiblement en le voyant si gêné, s’amusant de cette réaction. Peut-être parce que, d’une certaine façon, elle faisait écho à ce qu’il pouvait lui-même ressentir ? Cela dit, la familiarité lui plaisait, marquant une certaine proximité qui n’était nullement l’apanage des elfes. Mais là encore, il était vrai qu’Eliowir n’était pas tout à fait ce que l’on pourrait appeler un elfe classique. Preuve en était faite par ce simple face à face. Ce simple tête à tête ? Avec cet espace magnifique en guise de scène, c’était une invitation à jouer la romance, se disait-il alors. Loin de fustiger le comportement de l’autre, il l’observait avec simplicité, son regard céladon scintillant sourdement alors qu’il goûtait sa présence comme un nectar. Les changements, comme deux poids en équilibre sur une corde, de ses habitudes et de ses ressentis, lui semblait fascinant… était-ce sa ‘faute’, était-ce lui qui le troublait ainsi ? L’idée, quelque peu timide, semblait trop arrogante, quand bien même sa part purement vampirique s’en rengorgeait et l’affirmait avec délectation. Lui aussi jouait peut-être d’équilibre entre deux facettes de sa personnalité. Chassant cependant l’idée, aussi amusante soit-elle, il lui préféra l’observation de l’elfe, traçant ses traits du regard et s’attardant sur chaque cicatrice, cherchant celles qu’il n’avait pas vu la fois précédentes. De nouvelles cicatrices ? Ou tout simplement la marque du temps qui passait et risquait d’emporter cet être qu’il chérissait en silence. Sans doute aurait-il pu dire qu’il châtierait celui qui ajouterait à ce portrait martial mais cela serait dénigrer ce que les cicatrices apportaient à ce visage charismatique. Eliowir reniait peut-être l’impact qu’il pouvait porter, quoi qu’il se demandait effectivement si c’était le cas mais lui le certifiait, il était bien ainsi… La non vie le sublimerait-il ? Voilà une question qui le passionnait, lui et plus encore le dragon enfoui en lui. La réponse venant enfin, il s’en satisfit, écoutant les nuances de sa voix d’une oreille experte… « Un plaisir partagé » répondit-il avec calme, quoi qu’avec l’empreinte d’une satisfaction charmée.

Silencieux à nouveau, il l’écouta posément, son regard ne le quittant jamais mais cillant parfois, ourlant ses prunelles d’un voile de long cils, éclipsant les disques couleur d’eau pour mieux les reposer sur son vis-à-vis. Et alors qu’il écoutait et contemplait, les souvenirs des rêves volés lui revirent, semblant apporté avec eux le rappel d’étreintes et d’un sang si riche qu’il en était capiteux. Un instant, il goûta à tout cela en songeant à l’obtenir de nouveau mais cette fois, dans le monde physique. Avec l’impression que son être se tendait en avant, vers l’elfe, il appuya encore de son regard, l’entourant d’attention… Le moindre mot, balbutiement, battement de cœur… les odeurs aussi, boisées, musquées… Et presque la sensation, de la peau et des habits, proches, oui, tellement proches. Il finit par lever une main, ses longs doigts légèrement courbés alors qu’il effleurait la chaine de la voix des vents. Son regard bondit, de l’objet aux prunelles soyeuses de nuit et l’ancien esquissa un sourire délicat. « Je suis heureux qu’ils vous aient bien servis » Oui très heureux. Lui-même n’avait que faire de la richesse matérielle, il n’y trouvait aucune réalisation personnelle. En revanche il avait aimé les lui offrir, grandement, et plus encore à présent qu’ils s’étaient révélés de bon outils. Proche d’eux, le destrier elfique renâcla un peu, certainement en raison de sa présence que les animaux n’appréciaient pas en général. Si il ne lui prêta aucune attention dans un premier temps, se contentant de fixer l’elfe, il finit cependant par reculer quelque peu afin de ne pas l’incommoder et pivota, invitant son compagnon d’instants à le suivre dans l’herbe. « Venez… » Tout d’abord silencieux, il laissa quelques minutes s’écouler avant qu’une esquisse de rire ne lui fut arrachée, presque sans qu’il s’en rende compte. Et ce fut un regard scintillant qu’il tourna vers l’elfe. « Votre décision m’enchante je dois l’avouer… ma solitude a d’autant plus mis en lumière le précieux de votre compagnie »

Quel étrange tableau ils devaient faire, tous les deux. L’elfe et sa blanche monture aux côtés du vampire et de son palefroi sombre comme charbon. Pourtant si d’apparence ils étaient dissemblables, il voulait croire que, d’esprits, ils étaient bien plus proches. « Le départ de la délégation fut précipité, et les heures autant courtes que longues depuis lors. Me conterez-vous votre chemin jusqu’ici ? »

Savait-il seulement l’attrait qu’il exerçait sur lui ? Non, il ne s’en doutait guère à son pas si humble avis. Et pourtant la vérité restait. La cadence de ce cœur fébrile et palpitant était une musique si délicate à ses yeux, si enivrantes. Tel le serpent charmé et hypnotisé, il ne pouvait qu’osciller dans l’intimité relative de son esprit au rythme de ces notes délicates et grisantes le tenant en haleine et le caressant tout à la fois, exotique mélange aux senteurs boisées d’une ancienne forêt. Pourtant, plus que le suave jeu de son cœur palpitant (Pour lui ? Que cela aurait été délicieux) il écouterait sa voix agréable lui conter un temps qu’il n’avait pas vécu auprès de lui, s’assurant par la même de tenir la conversation et de ne pas affliger son interlocuteur d’une gêne supplémentaire. Pas que sentir son petit cœur s’affoler et le voir bafouiller n’était pas un plaisir, mais ce serait un plaisir à sens unique et donc trop solitaire pour être réellement appréciable à un tel stade de leur relation. Et enfin, il put apprécier la chanson de sa voix. Attentif, il écoutait sans l’interrompre, lui prêtant tout son esprit avec autant de plaisir que de courtoisie et lui offrant sourire pour sourire, charmé par la sincérité autant qu’il l’avait été par la gêne. Il n’était plus banni, voilà bien une bonne chose et pourtant… C’était cruel de la part du dirigeant elfique de lui offrir ce présent sachant qu’il ne serait guère accepté auprès des siens. Allumer la flamme d’un espoir pour la souffler ensuite sous le nez de la victime, n’était-ce pas là un jeu de vampire ? Il n’agréait pas à cette façon de faire quand bien même c’était un geste symbolique que de permettre le retour d’Eliowir. L’aurait-il conservé, ce bannissement, lui ? Bonne question. Aucunes décisions n’étaient simples et surtout pas celles-là. Aucune n’était une panacée.

Il ne souhaitait pas devenir sujet d’une plus grande discorde, disait-il. Il fallait donc en conclure que discorde il y avait même sans lui. Intéressant à savoir. Les rôdeurs en poste à Aigue-Royal n’ouvraient pas la bouche pour donner des nouvelles des leurs. Quand ils ouvraient la bouche tout court d’ailleurs. Qu’est-ce qui causait cette discorde exactement ? La passation de pouvoir à n’en pas douter. Un esprit stratégique aurait décidé d’en tirer parti. Mais il n’avait pas l’intention de le faire, par respect pour Eliowir et ses révélations. Il tourna le regard vers le félin qui suivait l’elfe de loin et eut un léger sourire. Fière escorte effectivement. Belle bête. La méfiance de celle-ci lui rappela toutefois à quel point les siens pouvaient parfois être détestés. Les animaux les fuyaient instinctivement, les humains aussi… Ah, il était bien dur de se faire accepter en pareil monde. Enfin, tant pis. Ce que lui expliquait l’elfe était plus intéressant que de se lamenter sur son sort. Un lien magique ? La capacité de prendre le corps d’un animal ? Voilà qui était étrange. Il savait Eliowir grand-mage, mais ce genre de créations uniques étaiant particulièrement rares. Il s’agissait-là d’un accomplissement impressionnant qu’il admirait et qui le rendait curieux. C’était-là une création qui n’avait pas de pareille à ce qu’il en savait, car même le sortilège du pacte elfique n’allait pas jusque-là… Il était tellement plongé dans la contemplation de cette nouvelle qu’il manqua rater le compliment qu’on lui faisait et le couva un instant du regard. Il était pressé de le retrouver lui alors ? Voilà qui ne pouvait que le flatter effectivement. En revanche, la question retournée lui arracha un soupire profond et son sourire se teinta d’un brin d’ironie. « Ça n’a rien d’indiscret… mais je doute que vous y trouviez le moindre honneur Eliowir »

Son récit ne serait certainement pas plus réjouissant, peut-être moins réjouissant en vérité. « Je crains que ce récit ne soit des plus décevant. Nous avons rallié les terres de l’est après notre départ et avons attendu la formation de la rébellion pour nous y mêlé. J’en ai profité pour passer du temps avec ma dragonne, Silarae et nous avons enfin pu voler ensemble… » Son regard se fit lointain pendant un bref instant, la voix rêveuse « L’océan vu d’en haut est… une pure merveille, l’immensité liquide scintillant dans les derniers rayons d’un soleil embrasant le ciel de pourpre et d’or flamboyant, l’impression d’un pays satiné et sans fin, attendant que l’observateur s’offre à lui, le ciel comme un miroir, où le regard se perd et où l’on a l’impression de s’ébattre sans la moindre chaîne… » Il soupira de nouveau, de nostalgie cette fois. « Hélas, ce ne fut qu’un grain de sable dans mon ennui je dois l’avouer. Je n’ai pas mené beaucoup de missions pour les rebelles, on comptait apparemment davantage sur moi pour servir de maître aux magiciens humains. Mais c’est un ouvrage fastidieux et ingrat et les élèves ressemblent davantage à des sauterelles affamées qu’à de dignes utilisateurs de notre art. Ils me harcèlent régulièrement et ne cherchent qu’à m’extorquer mes connaissances. J’ai finis par les renvoyer à leurs expériences. Je n’ai jamais confié mon savoir à n’importe qui et avoir voulu changer mes habitudes n’a rien donné de bon » Il secoua légèrement la tête, comme pour chasser un désagrément, et reprit. « J’ai également pénétré dans Gloria, il y a quelques temps. J’avais besoin d’air et d’action. Une expérience…. Mémorable, diront-nous, quoi que la ville était bien plus belle lorsque j’étais humain » Oui, beaucoup plus belle, et même attrayante, ce qu’elle n’était plus tellement à présent, avec les insectes qui l’habitaient. Enfin… Une pensée plus agréable se rappela à lui et il lança un regard amusé à l’elfe.

« J’ai également revu une vieille amie, Isyndar dragonne de l’ombre. Elle était curieuse à votre sujet et voulait vous rencontrer. Je me suis permit d’affirmer que cela serait un plaisir réciproque, j’espère que vous me pardonnerez mon audace »

Rien à pardonner ? Hm certes, sans doute n’était-ce pas là une réelle faute. Mais tout de même. Il était cependant satisfait d’avoir suffisamment cerné l’elfe pour avoir fait le bon choix en parlant de lui à Isyndar. Quoi qu’après tant de temps à l’observer, même de loin, il espérait effectivement avoir finis par le connaître quelque peu tout de même, le contraire aurait été affligeant et inquiétant. Par bonheur donc, il s’agissait d’un coup gagnant et il espérait bien être présent lorsque la dragonne et l’elfe se rencontreraient. Cela risquait d’être particulièrement intéressant, voir amusant. Un fantôme de sourire vint d’ailleurs lui effleurer les lèvres alors qu’il l’observait avec douceur. Un elfe insignifiant lui ? Certainement pas ! Il était tout sauf insignifiant. Et à ses yeux il avait même plus de valeur que la plupart des membres de sa race, même si il tairait cela de tout temps… quand à ce qu’il y avait au fond de lui et qui avait tout de suite était attiré par lui, mieux valait en parler. S’il l’écoutait, il aurait laissé la forêt toute entière flamber simplement pour avoir le droit à sa présence un bref instant. Qu’aurait alors fait pour le posséder ? Beaucoup. Beaucoup trop certainement. Des ignominies. Fort heureusement, il n’était pas l’esclave de cette chose, ou tout irait certainement très mal. Chassant cela de son esprit, il se prit un instant à la certitude qu’Isyndar ne pourrait jamais le trouver insignifiant… Elle n’était pas ainsi et elle lui avait certifié qu’elle adorerait rencontrer plus longuement un elfe. C’était une bonne occasion alors. Pourtant son esprit fut à nouveau détourner, à croire que le magnétisme qu’exerçait Eliowir sur lui n’avait pas de limites. Plus tout à fait un elfe ? Tient donc, et que pensait-il être alors exactement s’il n’était plus un elfe ? Quoi que cela ne le gênait nullement, il n’appréciait pas l’autre pour sa race mais pour ce qu’il était. Sa personne. Cependant plus il parlait et plus ses sourcils se fronçaient, formant un angle doré sévère et attristé de l’entendre se dénigrer ainsi, alors que le dragon au fond de son être grondait de mécontentement à le voir se flageller autant. Au changement de sujet, il lui dédia un regard velouté mais perçant et répondit d’une voix calme et paisible.

« Dangereux oui, très dangereux même » convint-il tout d’abord avant de reprendre « Mais pas impossible en recourant aux bons moyens et en demandant aux bonnes personnes. Quand à ma fantaisie et bien… elle n’était que cela. J’avais réellement besoin de m’éloigner des cavernes rebelles et la perspective d’une mission en compagnie d’un très vieil ami m’attrayait. Nous avons décidé de subtiliser quelques renseignements à cette fourmillante capitale » Mais cela n’avait plus vraiment d’importance. Ça n’avait été qu’un jeu, un de leurs jeux à eux et ils l’avaient payés cher. Assez cher pour l’empêcher de recommencer à vrai dire. Pouvait-on parler de candeur à son âge ? Naïveté ? Peut-être un peu, mais stupidité aurait sans doute était une meilleure définition de son geste. Isendal l’aurait probablement désapprouvé s’il avait été là mais… justement, il n’était pas là. Il planta à nouveau son regard dans le sien, et après un instant de silence il assena de ce même calme complet, quoi qu’avec fermeté et une douceur triste qui prouvait assez qu’il s’en voulait. « C’était une folie oui. Quoi qu’une folie utile. Peu importe désormais, à moins que la rébellion ne parvienne à porter un coup suffisant pour atteindre la ville, je n’y retournerais certainement pas. Mon regard se porte ailleurs » Sur lui par exemple oui. Il s’arrêta un instant de marcher et l’observa, d’abord avec douceur, puis de plus en plus intensément. Un bref instant, il sembla que son regard portait un message clair et concis, presque un souffle dans l’esprit même de l’elfe. Tu es qui tu es et c’est ainsi que je t’apprécie. Il n’y avait ni rêve torride, ni sinistre, ni rien du tout, pour venir le détourner de lui. Juste lui, et le plaisir qu’il avait à partager sa compagnie. Rien que cela mais c’était déjà bien suffisant. « Il y a parfois de douces folies » glissa-t-il avant qu’il ne reprenne sa marche, dissimulant un début de sourire derrière ses mèches platine. Oui certaines folies étaient appréciables et il était l’une d’entre elles à ses yeux à lui…

« Peut-être viendrait-vous avec moi, lors de ma prochaine escapade ? »

Un plaisir ? Voilà qui le comblait d’aises. Il devait avouer que se voir refuser cet exquis caprice ne l’aurait pas foncièrement mit de très bonne humeur. Si en règle générale Achroma était un vampire de bonne compagnie au caractère posé et ouvert, l’elfe titillait une toute autre part de sa personnalité, une part plus viscérale et dangereuse. L’elfe réagissait avec trop de docilité à ses subtiles avances pour qu’il puisse croire que c’était involontaire, et ce qu’il avait vu dans ses rêves était une confirmation. Qu’il se rétracte à présent en se refusant à lui aurait été une bien mauvaise manœuvre. S’il pouvait faire preuve d’abandon et dépasser ses désirs, ce n’était pas non plus pour cela qu’il accepterait qu’on agite une douceur devant son nez pour la lui retirer ensuite. Fort heureusement ce n’était pas le cas. Il acceptait, et le ton ronronnant et suave le fit sourire, alors qu’il se laissait charmer sans résistance, ne voyant pas pourquoi il le repousserait tandis que le dragon affamé au fond de ses tripes ronronnait aussi, mâté par l’elfe. Une étincelle pétilla dans son regard, éclairant le vert de son regard pour lui donner une teinte plus prononcée, comme une superbe absinthe. Ah il était curieux ? Mais il pourrait tout lui dévoiler de lui s’il le désirait, jusque dans ses détails les plus intimes… La pensée frivole et instinctive l’amusa grandement. Ah il n’y avait qu’Eliowir pour le faire se sentir comme un jeune vampire d’à peine quelques centaines d’années. Il s’apprêtait à lui répondre lorsque l’elfe dérapa. Gracieux et félin Eliowir, vaincu par une pierre… D’un geste rapide, il l’attrapa, l’empêchant de s’étaler par terre et le releva de ses mains fermes, en profitant pour l’attirer contre lui sous couvert de lui donner un solide appui. Il souriant, amusé de voir l’elfe charismatique ainsi pris au dépourvu. C’était cocasse et pourtant il ne se moquait pas vraiment. Même cela avait le don de le charmer.

Relevé, il ne lui permit pas, toutefois, de s’éloigner, un bras en arc-de-cercle dans son dos, le gardant proche sans toutefois le broyer tout contre lui, une pression sensible et bien présente sans être une chaine l’entravant complètement. Il plongea son regard dans le sien, une fois de plus. Mais cette fois-ci, quelque chose de plus brillait-là, réveillée par sa proximité… Comme une musique ancienne, au rythme d’un cœur battant, tentateur, de son odeur boisée mais musquée, à la note singulière, typique. Son instinct de prédateur se cabrait soudain, ruant en lui alors que ses prunelles caressaient les angles de son visage puis de sa gorge. Ses lèvres s’entrouvrant, dévoilant fugacement les crocs d’ivoire luisant. « Oh ça oui » fit-il d’une voix de velours « mes escapades sont particulièrement intéressantes. Celle-ci en particulier » De sa main libre, il quitta le bras de l’elfe et caressa la courbe tendre de sa gorge d’un doigt frais, s’arrêtant à la rencontre du col de tissu et changeant, son angle, de sorte à le glisser dessous pour atteindre l’os de la clavicule. Puis il écarta sensiblement le tissu alors que sa main se glissait jusqu’à la nuque de l’elfe, caressant ses longs cheveux. Une décharge impulsive lui parcourut le dos, puis le bras, alors qu’il le saisissait avec fermeté, un éclat dangereux brillant un bref instant dans son regard avant qu’il ne presse ses lèvres aux siennes dans un baisé plus sulfureux et plus impérieux que son calme ne l’aurait laissé penser…

S’était-il réellement attendu à se voir doté d’une réciproque ? Voir l’elfe répondre à ce baisé… Quelles chances avait-il que cela puisse advenir ? Très peu semblait-il. C’était un mâle et un fier représentant de son genre, un elfe conservateur quoi que s’ouvrant à la nouveauté et par-dessus-tout le reste ? Un enfant du totem lion. Non il y avait fort peu de chances qu’il recevoir cette réciproque. Et pourtant c’était le cas. Une partie de lui-même, sa partie raisonnable, n’aurait pas du tout été surprise de se voir rejetée avec véhémence. Il l’aurait, après tout, bien cherché ! Et une autre partie de lui, celle qui se riait de la raison, qui souriait de la logique et se moquait des prévisions, cette partie-là ronronnait de plaisir, parfaitement satisfaite et n’ayant pas voulue la situation autrement que par cette acceptation. Cette partie-là, il en prenait terriblement conscience, n’aurait pas du tout acceptée d’être rejetée. Et aurait même, en vérité, pu réagir avec violence si ça avait été le cas. Il le sentait. La pensée, nette, précise comme la lame d’un tueur, s’enfonçant profondément dans sa conscience. S’il ne pouvait l’avoir alors personne ne le pourrait. S’il ne pouvait l’avoir alors il le tuerait. C’était aussi simple, et terrible, que cela. Peu importait le reste mais le dragon mesquin et possessif en lui n’avait jamais eu l’intention de partager, ni d’abandonner d’ailleurs. Il n’abandonnerait pas le droit qu’il avait pris sur cet être, quand bien même celui-ci ne saurait pas qu’il lui appartenait. Nul rejet possible. Et encore moins à présent. Encore moins alors qu’il lui répondait, embrasant d’une flemme glacée son âme assombrie par les voiles d’un passé qui ressurgissait soudain, virulent.

Cadavre animé par la magie, être au sang-froid, n’ayant nullement besoin de respirer, il dû cependant le relâcher avant de l’asphyxier et se prit soudain à penser, alors que son souffle chaud et précipité s’écrasait contre ses crocs, qu’il faisait naître là une ironie particulière qui devait faire retourner leurs ancêtres dans leurs urnes. Eliowir semblait brûlant contre lui. Les flammes du désir ? De la fièvre ? Avec ses battements de cœur violents, il faisait une proie si tentante… Il recula sensiblement et déglutit sans le lâcher des yeux, sentant la dose de venin mortelle qu’il avait retenu s’échapper. Le désir de le transformer ne l’avait pas saisi pour le moment et il aurait été frustré de le voir vaincu par ce poison si tôt dans leur échange. Non il voulait goûter pleinement leur relation avant tout le reste. Les tremblements et frissons de ce corps chaud lui inspiraient bien des choses, mais certainement pas l’envie de le voir se tordre de douleur et vomir du sang… Loin de là même. Non il avait beaucoup en tête qui ne nécessitait pas encore de voir sa vie s’écouler. Ses yeux ne le lâchait pas, alors que milles idées aussi frivoles que délicieuses lui traversaient l’esprit… De quoi faire bouillir encore davantage le corps de sa proie. Et sa soudaine crispation manqua le faire bondir tous crocs dehors sur lui pour le dévorer de la plus savoureuse des façons. Mais c’était-là un plaisir, un désir luxurieux, frivole d’une certaine façon… Loin du respect qu’il avait pourtant pour Eliowir.

Le murmure du dragon oui, à n’en point douter, et sa volonté… mais il peinait à la lui refuser. Il n’eut pourtant pas à ferrailler avec lui, puisque l’elfe s’imposait de lui-même, s’arrogeant ses lèvres une nouvelle fois, les faisant tomber d’accord. N’ayant aucunement l’intention de rester froid devant pareil assaut, il y répondit donc sans attendre, l’enfermant une nouvelle fois dans un univers de sens et de désir bouillant malgré le froid de son propre corps pressé au sien. Sauvagerie sourde, appétit s’éveillant, faim rageuse… Vrillant leur baisé d’un besoin viscéral. Il offrit absolument tout ce que désirait l’elfe de cet échange, ne lui refusant rien, pour peu qu’il continue de le nourrir de ce désir. Et une nouvelle fois, il ne l’abandonna qu’à l’instant où respirer devint trop urgent pour le mortel. Son regard d’absinthe luisante caressant sa silhouette alors même qu’il émettait des paroles un peu difficiles. Un fin sourire, comme une entaille de dague, tranchant, vint fendre son visage pâle et il répondit d’une voix basse. « Je sais » Deux petits mots, soufflés, intimes, dans l’espace restreint qui les séparait. « Et je comprends » Il vint poser son front contre le sien, effleura ses lèvres, soignant davantage l’affection que la passion, en une balance équilibrée à la flamme du dragon qui grondait en lui. Mais la raison l’emporta, il ne fallait pas pousser trop sa proie en une fois.

Relâchant sa prise sur la personne d’Eliowir, il lui cueillit un instant le visage avant de reculer sensiblement, sans pour autant lui échapper. « Et me voilà enchanté… de partager cette aventure là avec vous, si vous m’en confier le plaisir »

[Hrp : J'espère que tu auras assez d'ouvertures X_x Sinon n'hésites pas je rallongerais !]

Plaisir partagé ? Il en avait bien l’impression oui… La réceptivité qu’il démontrait lui plaisait beaucoup et faisait ronronner le dragon mesquin enfoui en lui. Muet, il se garda bien de l’interrompre, laissant le flot confus de ses paroles lui parvenir sans cesser de le fixer un seul instant. Il prenait le risque, il croquait le fruit qu’il lui offrait… Ce digne elfe encore si conservateur peu de temps auparavant, l’acceptait, lui et son offre, sa demande, son désir. Bien sûr qu’il était satisfait. Qu’il exultait, tout au fond de lui… mais jamais il ne l’aurait affiché avec tant de largesses que de candeur. Hors de question de gratter le vernis de pudeur du carcan qu’il s’imposait depuis longtemps… Il était encore timide, encore hésitant. Un oisillon tremblant entre ses mains froides. A lui de lui rendre sa confiance. Sa sureté. Cette fierté et cette assurance qui l’avait tout autant charmé que l’esprit et les manières de cet elfe décidément bien singulier à ses yeux. Il n’avait jamais ressenti cela ? Ressenti… quoi ? Il pensait le savoir et cette pensée lui tirait un sourire fin, très fin. Presque une blessure, mais d’une incroyable délicatesse. Ses yeux s’ourlèrent des longs cils pâles lorsqu’il cilla finalement, un soupire doux s’échappant de ses lèvres… Le poids de ce simple mot s’ancrait dans son esprit, en lettres de feu. Jamais il n’avait ressenti cela. Il n’avait jamais aimé. Bien triste constat que celui-là… Tout vampire qu’il fut, il avait chérit chacun de ses amours depuis le commencement. Ils étaient partie de lui, la liqueur qui adoucissait son quotidien, égayait ses nuits. Il avait eu la chance d’obtenir l’affection d’individus exceptionnels et en serait à jamais honoré et reconnaissant… et il l’était une fois de plus. Il n’avait aucun doute sur le fait qu’Eliowir se révèlerait exceptionnel à sa propre manière…

Le baisé léger et éphémère l’empli d’une chaude sensation et il se détourna également, venant marcher épaule contre épaule avec l’elfe qui, désormais, lui appartenait. En levant les yeux vers l’horizon flamboyant d’un crépuscule et ne put s’empêcher de le trouver soudain plus lumineux qu’il ne l’avait été pendant des décénies….