Si, dans le futur, quiconque se souvenait de cette rébellion, sans doute les masses l’attribueraient-elles à une décision héroïque de Korentin Kohan… Si dans le futur, quiconque se souvenait de cette rébellion, sans aucun doute lui donnerait-on naissance à l’arrivée de ce souverain sans royaume à qui il avait rendu sa dignité et un peuple à gouverner. Personne ne se souviendrait de la vérité. Personne ne se souviendrait que c’était lui, Havard Svenn, qui le premier de tous les seigneurs humains avait proclamé la rébellion, avait levé les armes contre le traitre Fabius et installé le centre névralgique des opérations à Aigue. La rébellion était, avant tout, la réponse de Glacern à la traîtrise de cet usurpateur, quand bien même Havard l’appréciait-il en tant qu’homme et individus. Personne ne se souviendrait que c’était lui, seigneur roi du nord, qui avait posé la couronne rebelle sur le front de Korentin et lui avait rendu le moindre espoir de parvenir à récupérer son trône. Cela, il l’avait su dès le départ et avait agi en connaissance de cause. Une fois Korentin sur le trône, lui demanderait l’indépendance de Glacern et d’une partie des territoires proches du désert, afin de posséder un pied à terre dans le monde central, et se laverait les mains de tout le reste. Mais il était vrai que, parfois, il était un peu difficile de conserver son calme devant tout cela. Il n’agissait pas pour la gloire et la reconnaissance… mais c’était gratifiant. Ce savoir amer en raison d’une si stupide vérité l’agaçait davantage encore. Et comme si cela ne suffisait pas, l’organisation de la rébellion taxait ses nerfs et les négociations avec Lyssa en étaient plus délicates encore. Les seigneurs de la mer entretenaient des rapports amicaux avec eux, quoi qu’ils soient très différents, et le respect et la reconnaissance mutuelle faisait beaucoup dans l’acceptation de l’état du dialogue. La diplomatie n’était pas son fort, pas le moins du monde. Mais il préférait s’occuper de ses négociations, Kohan était suffisamment accaparé comme ça… et puis il fallait le dire, Havard avait encore des doutes le concernant. Légers, mais tout de même. Et tout cela, plus l’arrivée future des vampires, le rongeait affreusement. Il aurait voulu pouvoir discuter avec sa sœur et son frère, pour soulager une partie de la pression. A défaut de les avoir sous la main cependant, et refusant de se livrer à Enthelm, il se tournait vers l’entraînement physique pour évacuer la tension…

Ayant libérer sa journée et surtout, s’étant levé tôt, il avait pu disposer de la caverne des héros en l’une de ces rares journées où il n’y séjournait personne d’autre que lui-même. Assuré qu’on ne le dérangerait pas, ou qu’on le préviendrait, grâce aux sentinelles, il s’accorda le temps de se dépenser. Torse nu, pour une fois, et les cheveux tressés et remontés en queue, il attrapa ses deux épées jumelles et se mit en devoir de battre un mannequin. D’abord avec légèreté, en portant des coups précis et mortels, cherchant les points faibles au seul souvenir des armures Alayiennes. Puis, alors que l’inhibition se levait, de plus en plus fort, matraquant son ennemi imaginaire et faisant voler les échardes de bois alors qu’il laissait parler les muscles, les frappes se faisant plus intenses et pleines de colère… Les lames fendaient air et bois, tournant dans ses mains au rythme des enchainements qui ne s’arrêtaient pas un instant, son jeu de jambes se faisant plus souple, son regard aveugle à toute autre chose que cette intense bataille contre ce qui lui hantait l’esprit. Sa respiration parfaitement composée ne laissait rien voir de la chaleur brûlante des muscles qui travaillaient et de la sueur coulant dans son dos et sur son torse. Tout à son exercice, il ne vit absolument pas les heures passées. Ou la princesse se glisser dans le tunnel de la caverne, les gardes nordiques partageant un sourire sans le prévenir de son arrivée. Ce ne fut que lorsqu’il coupa le mannequin en deux, d’un coup propre et de toutes ses forces, dans un grondement lupin, qu’il cessa de se défouler et se retourner, posant par hasard les yeux sur elle. Un instant, il resta complètement figé, prunelles pâles encore allumées d’un feu dangereux. Puis celui-ci mourut et il se rembruni, un profond sentiment de honte et de faiblesse le saisissant. Les gardes, pourquoi ne l’avaient-ils pas prévenu ? Il détestait qu’on le voit torse nu… Et Esmelda était bien la dernière personne qu’il aurait voulu voir en étant dans un état aussi pitoyable. Un bref instant, il pencha la tête, laissant ses tresses cacher une partie des terribles ravages marquant son torse.

« Princesse » salua-t-il simplement, la voix aussi posée que possible. Il rengaina ses armes et les déposa nettement sur le râtelier dont elle était proche avant de s’approcher d’elle. Elle semblait… oui elle avait bien grandit. Une belle femme à présent. Avec un port de reine, bien que semblant alourdie de deuil et de soucis. Pas étonnant cependant. Cela faisait des années, mais elle dégageait exactement cette même chose, indéfinissable, qui lui avait gagné la sympathie du nord. « Je crois que mes gardes m’ont joué un mauvais tour en ne me prévenant pas de votre arrivée, mais c’est tout de même un plaisir » L’étudiant de son regard inquisiteur, intense, il finit par noter la dague qu’elle portait ostensiblement à la ceinture et se détendit sensiblement. Ah oui… il fallait se défendre, même en ces lieux, rien n’était tout à fait sain. Il leva une main, tira la dague de son fourreau sans faire cas du rang de la jeune femme et l’étudia attentivement avant de se fendre d’un rictus et de faire tourner le bout de métal entre deux doigts. « Vous ne vaincrez personne, avec ça. Je suppose qu’avant sa mort, votre regretté frère n’a pas eu le goût de vous apprendre à vous défendre avec davantage que cela ? En ce cas, laissez-moi y remédier…. »

Certaines choses ne changeaient définitivement pas. C’était pour le mieux cependant. Les nordiques n’étaient pas favorables aux changements, surtout les plus rapides. Et puis, elle était très bien comme elle était, ou comme il se souvenait d’elle, pas besoin qu’elle change. Qui voudrait d’ailleurs changer, lorsqu’on posséder tous les atouts de la royauté véritable. « Bien longtemps, en effet » Des années. Elle n’était qu’une enfant, à l’époque et même si elle était encore jeune physiquement parlant on ne pouvait guère dire qu’elle l’était encore en son cœur après ce qu’elle avait dû vivre. C’était son frère que l’on avait assassiné. Son peuple que l’on martyrisait. Quoi qu’il puisse en dire, il était bien moins proche des sudistes qu’elle et elle avait trop bon cœur pour ne pas s’émouvoir. Trop bon cœur ou simplement pas assez l’expérience de la cruauté. Hélas. Mais elle apprenait et c’était douloureux, comme pour tous ceux qui n’avaient pas la chance de naitre en un lieu où on vous l’envoyait en pleine figure dès vos plus jeunes années. Posant sur elle un regard bien plus tranquille qu’il ne l’avait été jusque-là, il lui rétorqua.

« Oh je ne doute pas que vous sachiez vous défendre. Je crois simplement que contre une lame ou une hache, cette dague ne vous servira pas à grand-chose. Je crois aussi que, jusqu’ici, on ne vous a pas donné l’occasion d’agir par vous-même entre les elfes et votre cousin » Il pencha la tête sur le côté « Je me souviens d’une jeune femme m’ayant presque battu à la course lors d’une chevauchée il y a des années. Vous savoir pleine de vigueur ne me surprend absolument pas. En revanche, l’entêtement des sudistes à laisser leurs femmes à la maison m’étonnera toujours je pense… surtout dans une situation aussi critique que la nôtre »

Les femmes, entraînées correctement, auraient été des combattantes toutes aussi émérites que les hommes, bien davantage même quand elles craignaient pour leurs enfants, et leurs familles. Il eut un renâclement cynique et un bref instant, semblant s’emplir d’une mordante ironique avant de redevenir sérieux. « Je dois avouer que les autres conseillers de votre cousin ont tendance à m’irriter grandement. Ils s’accrochent à leurs mœurs comme des berniques… » Secouant la tête pour chasser la frustration qu’il ressentait à en parler, il se reconcentra hors de sa digression et sur la princesse. Avec un hochement de tête, il confirma. Bien sûr, qu’il voulait l’entraîner. Cependant, le sujet dévia à nouveau, et il soupira lourdement. S’il avait été plus tactile, sans doute lui aurait-il serré l’épaule, en évitant de la broyer, pour lui signifier son soutien. A la place il répondit avec la confiance qu’il avait toujours eut.

« Et je compte être celui que fera rouler sa tête, princesse. Mon peuple n’a pas tellement souffert à vrai dire. Nous ne déplorons, de la retraite Glorienne, que mille pertes. Une broutille en comparaison de ce que nous avons infligés aux Alayiens. Cela dit Fabius s’est joué de moi. Je lui avais accordé confiance et soutient et j’ai eu tort, mais cette traitrise-là, j’en suis responsable. J’ai méjugé l’homme. En revanche, je suis tenu par l’honneur de venger le régicide » Son regard prit un instant la dureté de la pierre « Ce crime-là est abjecte au-delà des mots. Tout comme l’oppression de la population. C’est pourquoi nous en sommes réduis à supporter l’aide de créatures que nous détestons par-dessus tout… Enfin, laissons cela. Discuter d’un avenir encore incertain ne le rendra pas plus concret » Un brin taquin et pour décrisper l’atmosphère, il rajouta.

« J’ai bien assez des réunions de l’état-major pour cela. Je crois que votre cousin s’attend à me voir tenter d’assassiner le duc Althaïen à chaque fois. Je ne suis pas un diplomate, mais j’avoue que cet homme ne m’incite pas au moindre effort… Une petite pause de temps en temps me ferait le plus grand bien. Alors oui, si vous le désirez, je suis prêt à vous prendre comme élève » Il se détourna, chercha dans le râtelier. « Je ne suis d’ailleurs pas plus empathe que diplomate mais vous avez tout autant que moi l’air d’avoir besoin de vous défouler un peu. Rien de mieux que les armes pour ça… Et si l’occasion se présente, je vous forgerais des armes décentes »

Personne n’était à l’abri, effectivement. Ni les femmes, ni les hommes, ni les enfants. Personne. En temps de guerre, une vie était une vie, qu’elle vienne d’une femme ou d’un homme. L’horreur de cet état, le cynisme forcené des batailles, le mal au fond de chaque personne… tout cela contribuait à vous rendre foncièrement et désespérément pragmatique. Malgré tous les codes d’honneurs et les règles, les champs de bataille n’étaient, au final, que des boucheries sans noms où l’on agissait moins pour son camp que pour sa propre survie. En particulier quand on n’était pas soldat de métier. Il n’y avait pas d’honneur, sur un champ de bataille… pas même pour les nordiques. L’honneur venait ensuite. Selon le camp vainqueur. Mais de cela, elle devait déjà avoir une certaine conscience même si les atrocités véritables ne viendraient qu’une fois qu’elle aurait participé à l’une de ces batailles. L’Empereur Korentin n’approuverait certainement pas. Lui qualifiait son refus de sensiblerie. Une fois qu’elle saurait se battre, il lui faudrait y faire face. Autant le faire tant que l’on pouvait s’arranger pour être les vainqueurs. Etre projeté dans le dur monde de la barbarie du côté des perdants était plus amer et plus dangereux que tout. Qu’elle vive, oui. Qu’elle vive et qu’elle apprenne de tout cela. Elle était jeune, et promise à un avenir glorieux si la rébellion parvenait à ses fins. Les vieux soldats et seigneurs comme lui ne comptaient pas pour grand-chose… mais elle, elle pouvait tout changer avec cette simple conscience aiguë. Le premier pas étant de lui faire brandir son épée.

Silencieux, il l’observa alors qu’elle répondait, restant pensif. Oh, elle ne serait jamais aussi bonne guerrière qu’une nordique évidement… mais elle devrait pouvoir se débrouiller honorablement si on lui en laissait l’opportunité. Et il était largement prêt à s’investir auprès d’une nouvelle apprentie. Survivre à cette guerre ne lui était pas une certitude. Il était même certain de ne pas en voir le bout. Mais si il pouvait partir auprès de l’esprit de la Mort en étant certain qu’il lui assurait un plus pour sa sécurité, cela lui suffisait largement. Il eut un vague début de sourire. Oh il voyait parfaitement de qui il s’agissait, effectivement. Ces deux-là, le seigneur loup avait manqué les rosser dès leur premier conseil. Il avait l’instinct pour identifier les plus imbéciles de cette engeance, fallait-il croire, mais il s’était sentit braqué rien qu’à les voir et l’était resté tout du long de la séance. Elle en faisait une description parfaite et lui n’avait aucun mal à croire qu’elle avait dû supporter leur présence pendant des années. Qu’ils se soient infiltrés dans les hautes sphères rebelles lui déplaisait souverainement. Ils n’avaient rien à faire là. Dur pourtant de les faire décamper, même quand ils n’avaient aucune expertise dans ce qui se discutait. Et monter une stratégie en pareille compagnie lui donnait invariablement de terribles maux de têtes. Il aurait presque préféré retourner aux mains de Kedrildan que de les supporter. Presque seulement. Et dire qu’il aurait pu disparaitre dans la nature avec Roëric. Pourquoi ne l’avait-il pas fait exactement ? Ah oui… son honneur.

« Pas tant que je pourrais l’éviter, soyez-en assurée. Je n’admettrais pas qu’un vulgaire conseiller le prenne pour un mouton » affirma-t-il posément, avec quelque chose dans le regard qui signifiait clairement qu’il n’hésiterait pas à passer outre le lèse-majesté et à lui coller deux bonnes gifles pour cela.

Il n’insista pas plus là-dessus. Aucun besoin de le faire. Pas plus que sur l’envie pressante de la moitié d’Aigue-Royale de trucider Fabius Kohan. Qu’ils prennent leur tour, le premier coup serait pour lui. Et s’il devait asseoir son autorité à coup d’épée pour ça, alors il le ferait. Il tenait à cela, et ce n’était pas si étrange. La trahison dont il avait été victime, même si il assumait ses propres manquements, lui restait, intérieurement, en travers de la gorge. D’autant que la princesse ne connaissait en ces mots, pas toute l’histoire. Cela ne regardait que lui, et lui seul, et c’était déjà bien suffisant. La suite également, il n’en dit rien. Tenter de discuter d’un tel sujet ne servait à rien. En bon nordique et avec son expérience personnelle, il ne pouvait tout simplement concevoir qu’un vampire fut bon. Ça n’était pas. C’était de la naïveté, et de la crédulité… et c’était se mentir face à la vérité d’une race de prédateur sanglante. Qu’ils ne veuillent pas planter des humains ou causer des ravages ne voulait absolument pas dire qu’ils étaient bons pour autant. Comme bien des hommes disant agir pour la bonté et la justice et qui n’étaient au final que de simples boucher. Oui mieux valait se taire. Chacun apprenait à son rythme. Il préféra attraper la perche tendue pour changer de sujet, preuve, s’il en avait besoin, qu’elle était loin d’être une sotte idéaliste malgré leur différent au sujet des vampires.

« Allons-y, en ce cas » Il prit une arme dans le râtelier, une épée à une main, de taille moyenne et de facture relativement appréciable bien que sudiste. Une main sur la gaine de la lame, il la tendit à la princesse et lui décocha un regard acéré. « La prochaine fois, il vous faudra des habits plus appropriés. Je me fiche de choquer le reste de la rébellion mais si je dois vous enseigner, je vous veux apte à transpirer comme un bœuf pendant des heures » ça donnait le ton, et pour cause. Il commença par lui montrer comment tenir son épée, comment la placer afin de pouvoir la dégainer proprement et sans se gêner. Et rien que le placement des doigts et la souplesse du poignet demandèrent un long moment. Puis, ce fut la posture en elle-même. Comment placer son corps, ses pieds, comment balancer le poids de l’arme et en user… Pour le coup, les politesses et le respect disparurent pour de bons. Havard ne mâchait pas ses mots, et ne prenait pas de gants pour expliquer et pour la reprendre lorsqu’il le fallait. Directe et sans détour, il se permit même de la manipuler un peu pour lui faire rectifier les positions, frappant même, quoi qu’en retenant sa force, pour éprouver sa souplesse. Oh elle aurait des bleus. Ses muscles souffriraient, seraient raides. Elle aurait des courbatures, et ses mains se feraient plus endurantes et dures. Mais au bout du compte l’effort en valait la peine…

Il n’avait pas l’intention d’y aller en douceur quand bien même son élève était une délicate princesse. Parce que ses ennemis ne seraient pas délicats, eux et qu’il valait mieux qu’elle s’y habitue avec lui qui n’irait pas chercher sa vie plutôt que de mourir bêtement au premier affrontement. Alors oui, il ne retiendrait pas sa langue ou ses coups, ou juste assez pour ne pas lui briser quelque chose trop rapidement, ce qui aurait été également contreproductif. Elle était là pour s’entraîner, chercher à la dorloter irait contre la loi de l’efficacité. Il était heureux qu’elle ait accepté son offre… d’une part parce que cela voulait dire qu’elle allait apprendre une autre forme de défense et d’art martial en plus de sa dague et de la magie, qui pourrait la servir au cours des mois de lutte et parfois mieux qu’un sort, mais d’autres part car elle semblait réellement consciente de ce que cela représentait et qu’une fois encore elle lui prouvait combien elle était intelligente et prudente. Définitivement, et il ne cesserait jamais de l’affirmer, elle ferait une merveilleuse impératrice. Si il n’avait pas promit son allégeance à Korentin, elle serait immédiatement allée à Esmelda. Quoi que ce ne fût probablement pas incompatible… il faudrait qu’il étudie la question de près. En attendant cependant et c’était la troisième raison qui le poussait à une si grande satisfaction, il avait une tâche agréable à remplir. Car oui, il lui était vraiment agréable de pouvoir l’entraîner. D’autant plus qu’elle serait certainement une élève intéressante. Il n’avait jamais pris en charge les jeunes femmes si l’on exceptait sa fille et encore… ce n’était pas dans ses habitudes et ce d’autant plus qu’il était veuf et qu’il y avait toujours un risque qu’on veuille lui fourrer une nouvelle donzelle dans les bras, chose parfaitement stupide et saugrenue. Heureusement que cette jeune femme-là ne risquait pas de lui être proposée. Rien qu’à l’idée, il ne savait même plus quoi faire. Oui de tout cœur il espérait qu’il n’ait pas ce problème-là. Heureusement que Korentin n’avait pas l’air du genre à forcer sa cousine et surtout pas avec quelqu’un ayant presque deux fois et demi son âge… Pour une fois, le côté sentimental de l’Empereur lui sauvait la vie. Il fallait bien que ça ait au moins un avantage.

Elle était bonne élève, comme il l’avait tout d’abord pensé. Elle manquait de force et d’équilibre mais ce n’était que normal pour une jeune femme de la noblesse sudiste, avec un bon travail sur soi ça s’améliorait sans soucis. Il s’arrêta un instant, alors qu’elle reprenait la parole. Il eut un léger sourire. « Certes » Abaissant sa lame, il l’observa attentivement « Forger son corps est un travail quotidien qui demande du temps. Vous n’êtes pas bien résistante maintenant, mais attendez d’avoir passé quelques mois à subir mes coups ou ceux d’autres soldats si certains veulent se prêter à la chose et vous verrez que vous serez rapidement en meilleure forme. Et cette meilleure forme se répercutera dans tout le reste. Pour l’instant il vous faut travailler votre souffle et votre équilibre. Vous qui êtes bonne cavalière, certaines leçons devraient pouvoir vous resservir ici » Il donna un coup rapide de l’épée sur la lame de la princesse, la regardant manquer lui voler hors des mains. « Surtout, n’essayez pas de venir absorber le choc de mes coups. Face à un adversaire possédant une force supérieur c’est le meilleur moyen de vous engourdir le bras, de perdre lame et tête à la fois. Essayez d’accompagner mon coup de sorte à utiliser la force que j’y place pour la faire vôtre. Plutôt que de parer de front, jouez de vos jambes et venez détourner ma lame du plat, ainsi vous accompagnerez le coup et pourrez même utiliser l’occasion pour me déstabiliser » Il vint lui montrer comment jouer de l’épée, alliant l’entraînement musculaire à celui de l’escrime dans un style plus subtile que son énorme lame ne le laissait suggérer. Il détailla lentement les gestes ainsi que les légers changements qu’elle pouvait appliquer à la prise de son arme pour juguler la puissance des coups. Il lui montra également comment jouer de son assise et de ses pieds pour éviter de se retrouver forcée vers le sol. « Ne vous laissez pas mettre à terre, si vous devez faire face à un coup trop rapide ou trop fort pour être dévié, mieux vaut éviter la lame… » Et il reprit l’enchaînement, en restant relativement lent pour qu’elle puisse le suivre sans trop de mal.

Falkir avait accepté de lui enseigner l’épée ? Et bien voilà qui était amusant, étant donné que le capitaine devait aussi prendre des cours et auprès de lui, justement. Au moins le savoir se transmettait, même si il aurait préféré que la princesse prenne son éducation martiale entièrement auprès de lui. Mélanger les styles n’était pas toujours une bonne chose à faire. Enfin, elle aurait pu plus mal tomber, au moins cet homme-là savait manier l’épée autrement que comme une tapette à mouche. C’était absolument terrifiant de voir la majorité des soldats déserteurs de l’armée se battre à l’entraînement… Certains en étaient à tenir leur arme comme une scie angulaire plutôt que comme une épée. Hérésie que cela, surtout pour un nordique. Eux à qui on mettait une lame dans les mains à cinq ans. Et à qui on apprenait à respecter l’arme en question. N’avait-on pas idée de se battre si mal et d’oser s’appeler soldat ? Enfin heureusement il ne se chargeait pas des nouvelles recrues, ou on l’aurait entendu sur sa façon de penser. « Vous le prendrez, en effet » Il fallait y aller petit à petit. L’étriller en usant de toute sa force n’aurait rien apporté de bon et il aurait probablement eu son cousin sur le dos encore plus qu’il ne l’aurait de toute façon. Elle avait de toute façon conscience que la différence de force entre eux était énorme, et il n’était pas de ceux qui allaient dire le contraire d’autant que même pour un nordique, il se montrait particulièrement fort. En même temps, pour décapiter un vampire, mieux valait !

Il lui détailla en prenant son temps les mouvements qu’il lui apprenait, la laissant les essayer et essayer de s’en imprégner. S’il avait l’air concentré, son regard souriait cependant. « Ce qu’il y a de bien à s’entraîner avec un extrême, ce que je vous aurez tellement poussé à bout que tout autre adversaire en paraîtra bien plus aisé à vaincre » estime-t-il avec humour. Il se laissa faire, pour lui permettre de tenter les passes et se familiariser. Une fois que le mouvement de base lui semblait comprit, il y ajoutait des nuances, des changements, en fonction par exemple de l’angle d’attaque de la lame, de la force émise, ou tout simplement du type d’épée ou d’arme en face. On ne parait pas une hache comme on parait une épée ou une lance. Il la savait fragile, pour le moment, poussa tout de même les choses, ne lui laissant pas tout de suite la possibilité de se reposer. Lorsqu’il estima qu’une pause était nécessaire, il lui accorda et la regarda reprendre son souffle avec amusement. Oui, elle allait grandement avoir besoin d’entraînement physique et pas seulement en force pure. Il eut un rire à la question. « Ce n’est pas moi qui vous en empêcherait, même si je crois que ce n’est pas une bonne idée » La suite, cependant, le fit moins rire, même si il restait paisible. « J’espère bien vous voir faire plus que tenter de le plante » Il récupéra l’épée prêtée à la princesse et la déposa sur le râtelier avec la sienne.

«Allons venez pas ici » Coupant court à sa pause, il lui indiqua de venir au centre de la surface d’entraînement et la lança dans une série d’exercice physiques. D’abords des étirements, parfois particulièrement ardus et difficile pour un corps non habitué, mais qui permettait d’assouplir les muscles et de se garder en forme, entretenant le corps. Comme pour le maniement de son épée et les mouvements qu’il lui avait montré, il la guida dans ces exercices-là, l’aidant même parfois d’une main dans le dos ou lui tenant les siennes pour l’aider à se tendre. Après l’avoir ainsi fait souffrir une bonne vingtaine de minutes, il la relâcha en préparant la suite. « Pensez à vous garder en forme tous les jours. Etirement, maniement de la lame…. Même lorsque vous devez accomplir des tâches civiles, essayer de porter une épée sur vous, afin de vous habituez au poids que cela représente. Vous pouvez également nouer des pierres à votre ceinture et à vos bras, ou d’autres objets d’ailleurs. A force de porter des poids, votre corps se renforcera tout seul » Il joignit le geste à la parole et lui fit passer une large ceinture de cuir qu’il nua étroitement et à laquelle il attacha des barres de métal. Il fit de même sur ses bras, puis lui rendit son épée. « Allons, reprenons maintenant. Vous allez finir par me détester mais au moins vous vivrez ! »

Elle avait donc une épée, bien, c’était une bonne chose. Il faudrait qu’il voie de quelle épée il s’agissait et si elle était adaptée à la jeune femme. Une épée était plus qu’un outil, c’était l’instrument qui vous sauvait la vie dans une bataille. Si elle n’était pas adaptée… alors il y avait de fortes chances que vous ne voyez plus la lumière. Définitivement. Et d’autant plus pour une néophyte encore à l’entraînement. Une épée trop lourde ne serait pas idéale pour elle… et il fallait également prendre en compte la garde et l’accroche qu’elle avait dessus. Mais plus tard. Comme il l’avait dit, il lui forgerait ce qui manquait, de toute façon. Un ouvrage pour lequel il prendrait beaucoup de temps et d’application et tout son talent à la forge. « Oui c’est lourd » convint-il avec sérieux « c’est justement pour cela qu’elles sont nécessaires » Il préférait l’extrême, il était plus simple, étrangement, d’adapter les choses lorsqu’on prônait l’extrême. Cela permettait non seulement de préparer l’élève au pire, mais également de lui donner des bases solides. Plus elle serait poussée à bout, plus elle se retrouverait en position de force contre ses véritables ennemis. Plus elle connaîtrait de rigueur et de contraintes, voire de souffrances, plus elle serait inébranlable contre de véritables soldats ennemis. C’était donc nécessaire oui… Plutôt deux fois qu’une ! « Non ce n’est pas pratique, mais ça aidera à vous renforcer. Imaginez, une fois que vous vous serez habitué à porter ce poids, combien il vous paraîtra aisé de parer et de porter des charges » Il ne lui demandait pas de le croire… Elle pouvait douter tout son content, mais ses méthodes avaient porté leurs fruits, aussi, jusqu’à nouvel ordre

Sa détermination était touchante et un véritable compliment, mais elle le maudirait certainement plus d’une fois c’était certain en son esprit. Mais elle n’avait pas non plus fondamentalement tort et il en était satisfait si non heureux. Savoir qu’elle voyait au-delà de la simple contrainte de l’exercice était forcément positif, comme bien des choses avec elle. Et il espérait effectivement qu’elle mettrait en pratique. Il ne la trouvait pas nombriliste. Elle n’avait pas été élevée foncièrement pour être altruiste et donner complètement d’elle-même. Mais elle le faisait néanmoins car c’était dans son caractère et ses aspirations. Et c’était une bonne chose. Cela dit ça ne servait à rien d’en discuter. Il doutait qu’elle lui fasse honte… dans le genre, il n’y avait rien de pire que Aris après tout, il battait de tels record qu’on ne pouvait pas faire pire. Et puis, il doutait simplement qu’elle puisse effectivement lui faire honte. Un instinct, tout simplement. Il lui accordait une plus grande confiance qu’en beaucoup d’autres… et cela ne datait pas d’hier d’ailleurs. Même lors de leur première rencontre, il s’était vu lui confier plus qu’il ne l’avait cru de prime abord. Et cela continuait. Mais inutile de le porter à sa connaissance. Un tel trésor éventé n’avait plus autant d’importance ou de saveurs. Avec un rire bref, il secoua la tête. « Les accidents arrivent, parfois » Ce qui était fort vrai après tout. Mais sans s’attarder dessus, il reprit son entraînement pendant encore quelques temps.

Ce ne fut qu’en l’épuisant totalement qu’il finit par s’estimer satisfait. Alors seulement, il lui ôta son attirail, rangea les armes et repassa sa chemise sombre sur ses épaules pour se couvrir. La découvrant dans un état plutôt lamentable mais tout à fait naturel après pareille séance, il l’aida à détendre ses muscles puis lui proposa de l’accompagner pour manger un petit quelque chose et se nettoyer un peu… Après tout, il valait mieux ne pas rester le ventre vide avec tout ça. Il la conduisit auprès des baraquements des nordistes, où ils furent accueillit avec enthousiasme….