Un moment de calme au beau milieu d'une terrible tempête. Voilà ce qu'était cet instant pour Edwyn, et il le goûtait avec d'autant plus de plaisir qu'il savait pertinement que cela ne durerait pas bien longtemps. Avec le soutien du roi rebelle, il avait envoyé de nombreux émissaires à la recherche de trois des huit artefacts qui lui étaient indispensables. Tous n'allaient peut-être pas revenir, ou pas en très grande forme et rien ne disait qu'ils lui ramèneraient les objets mais c'était tout de même un gain de temps indispensable. Sans cela, il n'aurait jamais réussi à être dans les temps. Il ne lui restait plus que la gemme de Vie à récupérer, et il pouvait s'accorder de souffler quelques temps avant cela. Rien ne disait qu'il survivrait à cette épreuve-ci après tout. Et si Mort devait l'accueillir en son sein alors il voulait au moins avoir profité de quelques heures de tranquillité sur le continent qui lui avait été interdit. L'air d'Armanda lui avait tant manqué... Se trouver sous sa terre comme son peuple avait si longtemps vécu, c'était un réel bonheur.

Il expira lentement par le nez, paupières closes et dos bien droit. Il se tenait en tailleur au milieu de la vaste grotte qui lui avait été offerte comme résidence pendant tout le temps de sa présence à Aigue. Il n'avait franchement pas besoin d'un endroit si vaste... Un lit et quatre murs lui auraient parfaitement suffit, mais au moins le roi humain avait-il le sens de l'hospitalité. Ce qui n'empêchait pas Edwyn de dédaigner sans vergogne le moelleux canapé qui trônait dans un coin pour se tenir plutôt en tailleur par terre. On ne se refaisait pas...

Il s'était accordé une bonne heure d'un luxe rare. Le droit de se vider la tête entièrement et de ne tolérer aucune vision prophétique et plus ou moins désagréable dans son esprit. L'avenir pouvait attendre un peu, comme tout être vivant il avait besoin de moments pour se ressourcer si il ne voulait pas finir par devenir fou. Pendant son sommeil il était incapable de filtrer ses visions, aussi ses nuits étaient-elles hantés de rêves et de cauchemars en tout genre tous carrément prémonitoires. Ne lui restait que la méditation pour avoir la joie de ne penser à rien, et il adorait cela. Sauf qu'à un moment donné il fallait revenir sur terre, il avait du pain sur la planche.

Il inspira de nouveau profondément, par la bouche cette fois. Il s'était assez reposé, il lui fallait se replonger dans l'avenir afin de vérifier si la ligne qu'il suivait était toujours la bonne. Il commença par étirer sa vision, forçant sur ses talents dans l'espoir de voir le plus loin possible. Les événements commencèrent à défiler dans sa tête, troubles, comme à chaque fois qu'il cherchait à voir loin. Rien n'était certain dans ce genre de divination, il fallait donc être très prudent. Mais cela lui donnait au moins une assez bonne idée du chemin à suivre. Rassuré quand au bien fondé de ses dernières actions, il passa à l'avenir à court terme. Puis à très court terme. Les visions se firent plus nettes et il sourit avec tendresse en tombant nez à nez avec la vision d'un Verith en colère. Rien de neuf ici, le dragon rouge se mettait en rogne à peu près quinze fois par jour. Il suffisait parfois de bien peu pour lui faire voir rouge justement...

Mais il y avait autre chose. Il fronça les sourcils en cherchant à comprendre les implications de sa vision. Lui et le dragon semblaient plongés dans des explications intenses. Pourquoi donc ? Il n'avait pas l'intention de lui révéler quoi que ce soit de sensible dans un futur proche pourtant... Quelque chose avait dû se passer avant, et comme il n'avait pas accès au passé il ne pouvait pas le vérifier. Il accéléra un peu et passa aux scènes du futur imminent. Apparemment ,cette conversation était pour... Maintenant !

Le dragon parvint à réussir l'exploit de le faire sursauter en rugissant à sa porte. Oops ! Se couper de la réalité n'avait pas que des avantages... Il ouvrit les yeux brutalement, un peu désarçonné. Il n'avait pas l'habitude de débuter une conversation dont il ignorait le sujet. Il en avait vu le déroulement à peu près mais cela restait flou et il n'avait pas eu le temps de s'y pencher. Plus question de s'y mettre maintenant, il était trop poli pour faire attendre quelqu'un à sa porte. Il se leva, balaya d'un geste rapide la poussière sur ses vêtements et alla ouvrir. Un sourire fleurit instantanément sur ses lèvres lorsque la tête du dragon s'encadra dans le seuil et il secoua la tête pour le dissuader d'aller plus loin :

"L'appartement est grand, mais pas assez pour que tu n'y sois pas à l'étroit. Mieux vaut discuter à l'extérieur, je connais un lieu calme où nous ne serons pas dérangé."

Car ce qu'il avait vu de ses visions lui démontrait que la conversation serait longue et possiblement houleuse. Autant prendre ses précautions donc... Il le conduisit à travers plusieurs larges couloirs en passant devant les appartements et dortoirs de nombreux membres de la rébellion. Enfin ils arrivèrent à une vaste grotte qui n'avait pas été meublée par les rebelles. Cela viendrait sans doute... Mais pour le moment elle était totalement vide. L'endroit parfait pour leur échange. Il s'immobilisa face à la créature, levant la tête pour interroger avec patience :

"Alors mon ami ? Que puis-je faire pour toi ?"

Leurs prunelles s'étaient soudées en un échange particulièrement intense mais le Tarenth ne semblait pas impressionné par le regard flamboyant de son gigantesque interlocuteur. La tête penchée, les traits interrogateurs, il semblait simplement perplexe. Et il ne jouait un rôle comme aurait pu le penser un observateur, ce présent là était vraiment un mystère pour lui. Il pressentait qu'il y avait quelque chose d'important, mais quoi ?

Edwyn avait soutenu le regard de dragons plus massifs et impressionnants que celui là, aussi incroyable que cela puisse paraître. Verith pouvait se donner de grands airs mais il n'était qu'un bébé dragon à côtés de certains spécimens que le Tarenth avait cotoyé. Malgré cela il devait bien avouer que le rouge avait un panache particulier et qui lui était propre. Il faisait parti de cette classe de dragons taillé pour prendre la tête des clans, de ces dominants qui guident et châtient les autres lorsque c'était nécessaire. C'est ce qu'il aurait été si les choses avaient été différentes et que les dragons avaient été plus nombreux en Armanda, Edwyn en aurait mit sa main à couper. Quoi qu'il en soit, le duel de regards était particulièrement intense et le Tarenth commençait à se demander pour de bon ce qui avait pu provoquer une telle réaction chez son partenaire à écaille. Il fut vite renseigné.

Edwyn n'avait pas cillé face à la menace de mort, ce n'était pas la première et il se savait parfaitement intouchable. La suite par contre alluma une lueur incertaine dans ses yeux gris et il se raidit. Que savait-il ? Et plus important encore, comment le savait-il ? Une sourde douleur s'était éveillée dans sa poitrine, souvenir cuisant d'un tragique passé. Le simple fait d'évoquer ces événements l'emplissait d'un chagrin pur et étouffant qui menaçait de l'engloutir. Il avait mal, mais il ne pouvait en vouloir au dragon d'avoir fouillé les mystères qu'il lui avait laissé, ni à l'émissaire humain qui l'avait aidé en ce sens. Le destin était ainsi fait, Edwyn aurait dû prendre en compte cette minuscule probabilité que ces deux là finissent par se croiser. Aussi faible qu'elle ai été , elle avait existé et elle s'était à présent réalisé. A lui à présent d'en assumer les conséquences, il n'avait de toutes façons pas vraiment le choix et la vérité aurait fini par éclater à un moment ou à un autre. Peut-être avait-il été idiot de ne pas lui dire les choses directement, mais il n'en avait tout simplement pas eu la force... Pas vraiment un argument que le dragon pouvait tolérer, sauf qu'il n'en avait pas d'autres.

Il garda le silence un long moment lorsque Verith eut enfin terminé de souffler toute sa rage et de donner ses ordres. A aucun instant le regard d'Edwyn ne vacilla, il soutenait le duel sans faillir, ses prunelles gagnants en froideur à chaque seconde. Enfin, il ferma les yeux quelques secondes comme pour puiser la force et le calme en lui-même et il sembla y parvenir. Sa voix résonna enfin dans la salle sombre :

"Je ne crains pas la mort Verith, tes menaces coulent sur moi comme l'eau sur un rocher. Si cela m'était possible, je te laisserai me tuer avec bonheur. Tu es trop jeune pour savoir ce que peuvent être le poids des millénaires, mais c'est une charge lourde. Et plus encore lorsqu'on porte la faute que tu connais désormais."

Son regard se perdit, non pas dans l'avenir comme c'était souvent le cas, mais plutôt dans le passé et dans le mystère de ses innombrables souvenirs qu'il prenait tant de soin à protéger des esprits trop curieux. Puis il reporta son attention sur le dragon et parla avec détachement :

"Il est vrai que je ne t'ai pas tout dit, mais je ne m'en excuserai pas. Pourquoi aurais-je dû te confier les détails de mon histoire et de celle de mon peuple si ce n'était pas utile pour notre quête et si nous ne sommes pas amis ? Tu ne peux pas tout avoir dragon de l'ire, tu commet encore l'erreur de croire ta race supérieure à la mienne alors que nous sommes égaux. Je suis un Tarenth, je ne te dois rien. Et plus important encore, je ne te crains pas."

Cette fois, son regard était franchement glacial. Il soutient quelques instant la fureur cataclysmique de l'esprit Ancestral puis sa propre colère sembla tomber d'un seul coup et il sourit avec tristesse :

"J'écorne ton orgueil, et ce n'est pas là mon désir. Mais crois moi, mes protections ne sont pas là uniquement pour me protéger moi. Je possède une puissance brute colossale, bien différente de la tienne. Et ma mission est trop importante pour que je puisse me laisser tuer. Notre affrontement ne pourrait avoir qu'une seule issue, et elle me fait horreur. Voilà pourquoi je me protège derrière mes barrières, et voilà pourquoi j'utilise ma voix d'autorité. Je préfère être vu comme un lâche que comme un tueur de dragons. Ou comme un tueur tout court, d'ailleurs."

Là il l'avait sans doute définitivement vexé, mais si il voulait l'honnêteté alors il était servit. Allait-il le croire ? Sans doute pas... Il était trop sur de lui et de sa puissance pour tolérer qu'un simple bipède aussi Tarenth soit-il soit capable de lui tenir tête. Edwyn soupira à cette pensée mais il n'avait pas l'intention de faire de démonstration, il n'était pas un monstre de foire. A la place il en revint à la préoccupation principale du dragon :

"Je ne vais pas te raconter de nouveau toute l'histoire. Tu l'as entendu de la bouche de l'humain qui l'a entendu de la mienne, je suis sur qu'il s'est montré un excellent orateur et qu'il n'a rien oublié. Je peux néanmoins répondre à certaines questions, celles que je choisirai. Je ne suis pas à ton service comme tu n'es pas au mien, et j'exigerai une compensation, une question pour une autre. Rien n'est gratuit lorsqu'on refuse l'amitié. Cela te convient-il, dragon ?"

Autant dire qu'il ne lui laissait pas réellement le choix. Que l'autre refuse, et il quitterait simplement les lieux en le plantant là. Verith de l'Ire avait encore besoin d'apprendre certaines choses, aussi douloureux que cela puisse être pour son égo.

Une lueur d'amusement brilla dans les yeux du Tarenth malgré les vagues de colère qui continuaient à onduler dans son esprit. Verith le connaissait mieux qu'il ne l'aurait cru, il frappait juste pour cette fois. Mourir maintenant n'était pas envisageable pour Edwyn, il y avait bien trop de choses en jeu et il aurait été bien égoïste de fuir ainsi en laissant le continent Armandéen à ses problèmes. Quand à ce pardon... Là le dragon se trompait déjà un peu plus. Bien sur il l'espérait, mais il était très loin d'être persuadé que ses efforts lui permettraient de l'obtenir. Etait-ce seulement possible après une faute si lourde ? Lui-même en doutait quelque peu. Cet espoir était doux, et il aimait s'y raccrocher dans les moments les plus difficiles, mais de là à le voir comme un projet sérieux... Le pardon des Esprits était un trésor trop précieux pour seulement oser y prétendre. Si cela arrivait alors il serait fou de joie, dans le cas contraire... Au moins ne serait-il pas étonné. Il eut donc un geste de dénégation :

"Je ne suis pas ici pour obtenir le pardon pour moi-même. J'en serais comblé bien sur, mais je ne crois pas le mériter. Pour tout dire, je crains même que les Esprits ne finissent par me châtier pour mon retour... Voilà au moins une chose dont j'ai peur..."

Un frisson remonta le long de son échine à cette pensée, le courage d'un Tarenth avait des limites bien définies et la fureur des Esprits était certainement la plus palpable. Il revint à ce que lui disait le dragon et cilla pour la première fois depuis le début de leur conversation. Orgueilleux, lui ? Il y avait bien longtemps qu'on ne lui avait pas fait une telle accusation... Encore heureux que son interlocuteur ne l'ai pas connu dans sa jeunesse dans ce cas, car sa définition du mot orgueil n'aurait pas été assez forte... Il se força à considérer la question du point de vue du dragon. Pouvait-il encore être considéré comme orgueilleux malgré l'énorme amélioration de ces derniers millénaires ? Peut-être un peu... Autant qu'un dragon sans doute pas, il ne fallait pas exagérer. Mais on ne se refaisait pas, il devait bien l'avouer. Son peuple restait fier même si brisé par ce qu'il avait fait, et il n'avait jamais été parmi les plus humbles des siens... Mais diantre, on ne pouvait tout de même pas prétendre qu'il ne faisait pas d'efforts ! La preuve, il admit les fait suivants sans se faire prier :

"C'est vrai. Je crains l'attrait de la magie supérieure et ce qu'elle fait de moi. Mais craindre ce qu'il y a au delà d'une rive n'oblige pas à craindre le pont. Les dragons sont un portail vers le monde astral, mais ils ne peuvent en aucun cas me forcer à le traverser. En vérité ce n'est même pas la magie supérieure que je crains, mais bien mes propres faiblesses."

Car il s'agissait bien de faiblesse. La scène qu'il avait vécu avec Verith lui avait prouvé qu'il n'avait pas la force mentale nécessaire pour renoncer à l'attrait de la magie supérieure et résister à son appel. D'autres Tarenths en étaient pourtant capables, l'histoire l'avait prouvé. Il avait cru pouvoir se hisser à leur hauteur, il s'était trompé. Orgueil... Le mot le frappa comme un poignard et il grimaça. Il avait encore du chemin à faire sur les voies de l'humilité décidément... Mais au moins en était-il conscient désormais. Il envisagea d'éluder la question sur ce qui aurait pu arriver mais cela n'aurait pas donné grand chose. Il répondit donc avec réticence :

"Mon esprit aurait brûlé. Les Tarenths supportent la magie Supérieure jusqu'à un certain point, mais elle nous attire malgré tout comme une flamme attire le papillon. C'est plus fort que nous... Pire qu'une addiction. Lorsque nous dépassons les bornes, elle peut nous rendre fous. Ou bien pire... Consumer entièrement un esprit laisse l'enveloppe physiquement totalement vide et offerte à n'importe qui ou n'importe quoi. Les chimères adorent cela, d'autant plus que s'incarner dans le corps d'un Tarenth leur permet de survivre à la trame. Et de disposer d'une puissance presque illimitée... Tu ne m'as pas simplement sauvé moi l'autre fois. Tu as sauvé le monde d'un danger terrible"

Un danger qu'il avait lui-même provoqué, comme il l'admettait bien volontier. Mais il n'avait simplement pas eu d'autre choix. Si il n'avait pas prit ce risque, les dégâts auraient été bien pires. Il fallait parfois accepter d'affronter un danger pour en éviter un autre, c'était ainsi. Il garda son calme malgré la dureté des paroles du rouge, refusant de se mettre en colère malgré le besoin qu'il en ressentait. Rien n'était plus têtu qu'un dragon si ce n'était un Tarenth, au moins leurs deux peuples avaient-ils été fait pour s'entendre... Il répondit en maîtrisant son agacement autant qu'il était possible :

"Je n'ai jamais prétendu domestiquer qui que ce soit. Je n'ai connu que des dragons sauvages jusqu'à mon retour. Les liens que mon peuple est capable de créer avec les représentants de ta race n'ont rien à voir avec ceux que les dragonniers sont capable de tisser. Cette évolution est même fascinante... J'en viens à me demander si les dragons n'ont pas consentit à ce genre de choses parce qu'inconsciemment la complicité avec les Tarenths leur manquait... Bien sur, ce n'est qu'une hypothèse."

Mais qui lui semblait plutôt juste, quel autre besoin aurait pu pousser les dragons à se lier ainsi ? Il n'aurait pas su dire si c'était une bonne chose, mais ce dont il était sur c'était que les liens ainsi créés étaient purs et qu'ils faisaient du bien aux deux partis. Pourquoi s'y opposer dans ce cas ? Si cela rendait chacun heureux... Et il préférait mille fois cela au conflit qu'il refusa tout net :

"Il faut être deux pour être en conflit, dragon. Et je n'ai pas de temps à perdre de cette façon."

La tempête de la colère draconique pourrait bien souffler sur lui pendant des siècles, il n'en serait pas perturbé pour autant. Il soupira suite à la remarque suivante et interrogea douloureusement :

"Parce que tu crois que nous avons eu le choix ? Quitter Armanda était déjà une déchirure, savoir que vous alliez nous oublier était pire encore. Nous ne savions pas nous même si cette amnésie serait une bonne chose, certains Tarenths le soutenait tandis que d'autres étaient persuadés du contraire. Si les Esprit l'avait permit nous nous serions sans doute déchirés à ce sujet. Mais ils ont tranché, et nous n'étions pas vraiment en position de négocier..."

Il garda le silence quelques secondes suite à la demande du dragon, pesant le pour et le contre avec gravité. Puis enfin, il lâcha :

"Très bien. Que veux-tu savoir ?"

Edwyn haussa les sourcils devant l'arrogance du dragon, une lueur taquine dans l'oeil. Il n'y avait bien qu'un ancestral pour croire avoir la force d'à la fois empêcher les Esprits de faire ce qu'ils voulaient et de châtier un Tarenth dans le même temps. Mais c'était presque flatteur quelque part de comprendre à demi mot que l'autre tenait assez à lui pour préciser qu'il était le seul à pouvoir le toucher. Un brin possessif peut-être... M'enfin, c'était un dragon. Son regard se fit plus grave lorsque l'autre continua et il répondit lentement :

"Tu as peut-être raison. Mais les Esprits sont les seuls à pouvoir décider."

La mention du vampire le fit plisser le front, le regard triste :

"Je crois que je vois de quel vampire il est question. Il apparaît dans de nombreux chemins menant à la destruction. Mais les derniers événements de sa non-vie me font penser qu'il s'en détournera. Quand à tes désirs, j'ignore si ils se réaliseront. Je ne te vois pas le tuer dans l'avenir, mais il est bien brumeux... Ce vampire aura de nombreux choix à faire dans le futur, et toi aussi. Comme nous tous."

Il eut un nouveau sourire pensif lorsque l'autre parla de repentir et ne releva pas. Le mot n'était même pas assez fort pour préciser ce que les Tarenths ressentaient depuis leur faute, et lui en tout premier lieu même si il avait mit plus de temps que les autres à reconnaître ses fautes. Il secoua la tête en entendant parler du seul Esprit leur ayant pardonné :

"Mort est un Esprit particulier, il suit très souvent un chemin différent de celui de ses frères. A part Vie qui a tendance à le soutenir même si il n'est pas d'accord avec lui... Sauf sur notre faute. Cela, il ne le pardonnera jamais. Tu peux me croire. Mais tu as sans doute raison sur un point, si Océan n'avait pas toléré ma présence ici je ne serais déjà plus de ce monde. Peut-être que Mort s'est interposé..."

Difficile à savoir. Lui qui avait vécu si longtemps parmi les Esprits les connaissaient mieux que personne, mais à présent qu'ils avaient reprit leur place dans le plan astral il ne pouvait qu'émettre des suppositions. Il releva le regard vers le dragon en train de soupirer en évoquant le lien. Il pouvait comprendre ce désir de liberté mais son coeur ne pouvait que se serrer lorsqu'il songeait que cela condamnait le grand rouge à une vie presque entièrement solitaire. Il y avait trop peu de dragons sur le continent pour pouvoir créer une horde, et les Tarenths n'étaient plus là... Une lueur brève d'hésitation passa dans ses yeux gris avant qu'il ne se décide à faire un pas en avant, se rapprochant assez de l'écailleux pour pouvoir poser une main légère sur les écailles qui recouvraient sa patte. Ses défenses étant levée, il n'y avait aucun risque qu'il ne se retrouve à nouveau emporté vers le coeur de la magie supérieure et même si Verith ne le tolérerait sans doute pas il voulait lui offrir au moins une fois la connaissance de ce que pouvait être un simple contact entre leurs deux anciens peuples si liés. Un étrange courant sembla passer entre eux, plus symbolique que vraiment magique et il prononça doucement :

"Je comprend... Le mot sauvage est de trop, tu es simplement un dragon. Mais si tu n'aime et ne tolère pas ce lien que d'autres ont tissé avec des bipèdes, je crois que tu peux quand même arriver à le comprendre. Ils étaient seuls Verith... Les nouveaux-nés draconique d'Armanda se sont éveillés dans la plus profonde et la plus affligeante des solitudes. Tu as été dragonnet, tu as eu ta mère... Eux n'avaient personne. Ils protégent désormais ceux qui ont veillé sur eux depuis leur éclosion, c'est légitime je crois... Voudrais-tu vraiment leur retirer ceux à qui ils tiennent le plus ?"

Oui, il était à peu près certain que Verith pouvait comprendre ça. Qu'il déteste ou non les bipèdes, le fait était que certains d'entre eux avait veillé sur les nouvelles générations de dragon comme des parents ancestraux l'auraient fait. Les traits d'Edwyn se durcirent suite à la supposition suivante et il secoua farouchement la tête :

"Je ne crois pas que les Esprits auraient puni les dragons pour une faute commise par les Tarenths. Ce serait simplement trop affreux. Ils ont sans doute voulu vous protéger... Et vous offrir une chance d'être heureux même sans nous."

Un flot de question suivit ensuite, et il se demanda un instant comment il allait pouvoir répondre à tout. Mais il avait promit, il refréna donc le reflexe instinctif qui le poussait à tout éluder comme c'était sa nature et il commença :

"Les anciens dragons avaient leur propre façon de penser, leurs propres codes... Comme vous d'ailleurs. Nous-même Tarenths, ne les comprenions pas forcément tous. Je crois qu'ils nous ont pardonné simplement parce que l'amitié entre nos peuples était trop forte. Il est vrai que c'était contre leur nature, mais le lien qui existait entre nous était indescriptible, je ne peux même pas te l'expliquer..."

Les mots n'étaient tout simplement pas assez forts. Il passa à la question suivante, particulièrement délicate pour lui et chercha soigneusement ses mots pour répondre :

"Ce que nous avons vu... Tu vas avoir du mal à comprendre pourquoi cela nous a terrifié à ce point, mais il faut que tu saches que nous étions bien différents à cette époque. Nous étions un peuple qui pouvait encore se considérer comme jeune, et qui était surtout le préféré des Esprits. Ils vivaient parmi nous, nous incarnions la perfection. Et nous étions bouffis d'orgueil et de certitude quand à notre avenir... Nous étions absolument persuadés que les choses ne changeraient jamais, que nous serions toujours le peuple premier. Le plus grand de tous..."

Il parlait sans rancoeur, avec simplement un petit sourire indulgent sur les lèvres. Ce qu'ils avaient été sots tout de même... Mais ils étaient jeunes, et tout peuple jeune ne peut que se tromper, non ?

"C'est notre fin que nous avons vu, tout simplement. Nous étions voués à disparaître pour être remplacés par des peuples grossiers et primitifs qui allait sans doute saccager tout ce à quoi nous tenions ! Je t'ai parlé de la terreur que nous avons ressentie, mais je n'ai pas été tout à fait honnête... Nous avons eu peur oui, mais nous étions aussi et avant tout en colère. J'étais l'un des plus virulent, je ne voulais pas sacrifier mon peuple à la cause des elfes, des hommes et des vampires ! Ils n'étaient que des animaux à mes yeux. J'ai été durement sanctionné pour mon mépris."

Un silence suivit, il réfléchissait aux questions suivantes mais il n'avait pas de réponse à tout et il ne pu qu'écarter les mains en un geste d'ignorance :

"Encore une fois, je ne suis pas dans la tête des dragons ni dans les desseins des esprits. Je suppose que le lien a été créé pour compenser la solitude due à notre absence, mais je n'en suis pas certain. La différence avec nous c'est que nous ne créons pas un lien en particulier. N'importe quel Tarenth est capable de se lier et de se délier de n'importe quel dragon à tout moment. Quand à Néant... C'est une histoire longue et complexe et tu as déjà posé bien des questions. C'est mon tour."

D'autant plus que la curiosité se lisait dans le regard d'or à ce sujet. Il laissa échapper un petit rire :

"Tiens, tu es bien humble tout à coup pour croire que tu ne peux pas m'intéresser. Ce que je veux savoir, dragon de l'ire, c'est ce qui te mène véritablement. Tu es colère et fureur et cela t'amène à prévoir des projets de destruction. Mais tu n'es pas que cela... Pourquoi es-tu venu en Armanda ? Que recherche-tu vraiment Verith, le sais-tu seulement toi-même ? Ta liberté te condamne à la solitude... En souffres-tu ? Es-tu conscient au fond de toi-même qu'un jour, détruire pourrait ne plus te suffire ? Que veux-tu laisser derrière toi, dragon ? Que veux-tu construire ?"

Il sentait l'agacement du dragon, et même si ça n'avait été le cas il aurait eu bien du mal à ne pas voir la lueur mauvaise qui brillait dans son regard. Celui-ci n'appréciait pas ce contact. Le temps de l'amitié entre leurs peuples était-il donc révolu à ce point ? Il fallait espérer que non, car ce serait là une bien triste constatation. Les Tarenths et les Dragons avaient déjà perdu bien des choses qui leur tenait à coeur, cela suffisait. Le contact entre eux se rompit brutalement et le visage d'Edwyn se fit grave et soucieux suite à ce que son interlocuteur lui disait. Il ferma les yeux pendant un bref instant, analysant à la volée les bribes de l'avenir de Verith qui lui étaient accessible et son souffle se fit plus léger lorsqu'il répondit avec calme :

"Je ne te vois pas tuer tes frères dans l'avenir proche ou lointain. Et c'est heureux, tu vaux plus que cela Verith."

Son ton était légèrement réprobateur mais ne jugeait pas. Il comprenait à présent certains aspects des points de vue du rouge même si il ne les accepterait jamais. Les liés étaient libres de leur choix, si c'était ainsi qu'ils trouvaient leur bien-être alors il était heureux pour eux. Quand à la guerre... Un pincement de culpabilité effleura son coeur lorsqu'il y songea mais il rejetta ces noires pensées. Il devait se concentrer sur sa mission et ne plus regretter le passé, sous peine d'hypothéquer l'avenir. La race ancestrale était passée proche de la destruction mais elle avait prouvé qu'elle était capable de renaître de ses cendres et le futur qu'il espérait mettre en place leur permettrait de s'épanouir avec ou sans ce lien que Verith méprisait tant. Ce n'était donc pas un problème à régler, le choix leur appartenait. Et il préférait savoir que certains d'entre eux avaient trouvé le moyen de ne pas se sentir seul malgré l'absence des Tarenths et malgré la quasi extinction de leur peuple. D'ailleurs le fait de se rapprocher des bipèdes ne pourrait qu'être une bonne chose, l'amitié entre les peuples était toujours un fait positif. Même si pour le moment il amenait plus de déchirures qu'autre chose...

Le grognement compréhensif de l'ancestral n'amena pas la réaction sans doute attendue chez le Tarenth puisqu'il se contenta de plisser le front et de croiser les bras en rentrant ses mains dans ses manches en cette posture sévère qu'il prenait parfois. Sa réaction ne se fit pas attendre :

"Tu fais fausse route comme je l'ai fais avant toi. Ce n'est pas à nous de nous interroger ou de juger de la volonté des Esprits. Et rien ne nous autorise à mépriser les jeunes peuples. Nous avons été jeunes avant eux, et tout aussi désespérants sur certains points..."

Il s'amusa quelques instants à imaginer ce désespoir qui avait peut-être effleuré les Esprits Supérieurs devant les sottises de leurs créations. Oh les Tarenths avaient été relativement sages dans leur histoire, on ne pouvait le nier. Mais ils avaient tout de même quelques exploits à leur actif et à sa grande honte il ne pouvait que reconnaître qu'il était mêlé sinon instigateur de la plupart de leurs erreurs. Quand aux dragons... Si Verith avait eu le souvenir de ce qu'avaient été leurs premières années comme créatures éveillées alors il en aurait sans doute été atterré. Et il n'osait même pas parler des temps précédents, quand ils n'étaient encore que des animaux grognons et irréfléchis. Oui... Il était à peu près certain que ces souvenirs là n'auraient pas plu au rouge, aussi les garda-t-il pour lui en s'accordant tout de même un petit sourire mystérieux.

Plongé dans son amusement, Edwyn n'eut pas un frémissement lorsque des flammèches s'expulsèrent des narines du dragon. Allons, l'avait-il remit en colère ? Cela n'était guère étonnant. Il se reconcentra pour écouter la réponse et haussa les épaules avec désinvolture sans se préoccuper de la queue du dragon fouettant l'air :

"Haine et colère n'ont aucune consistance dès lors qu'ils n'ont plus d'exutoire. Viendra un temps où tu te sentira bien vide si tu ne comptes que sur ces faux soutiens. Viendra un temps où tu auras besoin d'autre chose."

Le mot liberté avait claqué dans l'air avec autant de force que la queue de l'ancestral et lui avait tiré un hochement de tête approbateur. C'était là une notion et un besoin qu'il pouvait comprendre mais il fallait espérer que Verith finirait par comprendre que la liberté n'entrait pas forcément en contradiction avec tout le reste et que tolérer les liens des autres dragons ne signifiait pas forcément la jeter aux orties.

Les réponses aux questions d'Edwyn tonnèrent comme une tempête et il observa ce déferlement d'énergie avec indulgence. Il oubliait trop facilement à quel point Verith était jeune. Il y avait trop longtemps qu'il n'avait pas échangé avec ce type de créatures. Les dragons qu'il fréquentait jadis étaient le plus souvent des millénaires au minimum, les centenaires préférant rester entre eux et les mères veillant soigneusement à ce que leurs dragonnets restent dans les terres les plus reculées et sauvages jusqu'à ce qu'ils soient en âge de se débrouiller. Quel âge pouvait avoir Verith ? Deux-cent ans ? Trois-cent ans ? Il devait se montrer plus patient encore et cesser de se comporter comme si il parlait encore aux plus anciens ancestraux. Ce temps était révolu. La soif de justice et de combat du rouge n'était ni plus ni moins que l'expression du caractère enflammé de sa race en particulier dans ses premiers siècles. Il releva la tête lorsque la griffe d'ébène se pointa vers lui, hésita un seconde puis l'inclina avec un sourire :

"Soit."

Vouloir imposer sa vision de l'avenir à un être qui la rejettait n'était pas forcément très utile. D'autant plus que ce qu'il commençait à y entrevoir risquait fort de rendre le concerné fou de rage. Mieux valait lui laisser le temps de digérer tout cela avant de se risquer à faire éclater tous ses projets en morceaux.. Calmement, il laissa le silence les envelopper à nouveau, sondant distraitement l'avenir comme il le faisait souvent par simple réflexe et ce qu'il vit lui fit rouvrir les yeux brutalement :

"Ils ont trouvé..."

La pierre, la pièce, le bouclier... Les aventuriers lancés à la recherche des trois artefacts étaient à présent tout proches de leurs objectifs. Ils pouvaient encore échouer bien sur, et mourir... Ses visions lui montraient que certains d'entre eux se trouvaient dans des situations plus que délicates, voir périlleuses. Peur et souffrance... C'était vers cela qu'il les avait envoyé, et cette pensée le faisait souffrir. Mais c'était nécessaire. Il avait de nombreux pouvoirs mais pas celui de se couper en cinq morceaux. Il avait donc dû faire des choix, s'adjugeant la mission la plus périlleuse, laissant ces trois là aux jeunes peuples et priant tous les Esprits pour que le destructeur de monde veuille bien prendre son temps pour accomplir son office. La croisée des chemins était là, il ne pouvait plus qu'espérer que chacun des participants à cette vaste partie ferait les bons choix.

"Le dénouement approche Verith, le Baptistrel localisera Dévoreuse bientôt. Nous devons ramener la gemme de Vie, quoi qu'il nous en coûte. Et je crains que le tribut ne soit particulièrement élevé..."

Son regard n'avait jamais été aussi sombre. Il n'avait en vérité aucune envie d'accomplir cette quête-ci et encore moins de traîner Verith dans les ennuis à sa suite. Mais il n'avait pas le choix, et il n'y aurait d'ailleurs pas que le rouge qui l'accompagnerait sur ce chemin difficile.

"Nous devons trouver une jeune femme venue d'Alayia. Elle doit du côté des territoires de l'est, ignorant encore ce que l'avenir lui réserve. Nous devons aller la chercher. Maude Ebraïk est son nom. Le temps presse."

Il se détourna sans la légéreté aerienne qu'il démontrait habituellement, semblant soudainement faire son âge. Le souvenir de ce qu'il avait promit lui revint au même moment et il tourna à demi la tête pour assurer :

"Tu connaîtra l'histoire de Néant très bientôt, et tout le reste... Mais nous n'avons plus le temps de parler. Le futur est en passe de s'accomplir, c'est notre devoir de l'orienter de façon à ce qu'il soit moins douloureux pour Armanda. Allons."

Le soir même, ils quittaient Aigue-Royal. Et le pas d'Edwyn était lourd, plus lourd qu'il ne l'avait jamais été.



HJ : rp terminé pour moi, je te laisse conclure ? La suite va s'enchaîner sous peu, il fallait garder un peu de suspense pour plus tard (et nous libérer aussi, on va avoir de quoi s'occuper )
Merci pour ce rp !

[Fin du rp]
[HRPG: ^p^ tout le plaisir est pour moi Edwyn. >< Du suspense encore du suspense j'avais d'autre question moi è_é °lui cour après° x) ]