« L’attrait de l’argent est indéniable.
Pour un plaisir qui sera éphémère,
L’homme trahirait sa femme ou sa mère.
Pour de la monnaie, qu’importe d’être ignoble. »

Il y a des gens qui ne seront jamais heureux avec leur vie. Peut-importe qu’ils aient santé et famille, ce n’est pas assez. C’est que l’homme est avare et avide, et il était indéniable que Jacques était un homme. Né dans une famille de simples fermiers, il voulait plus. Il regardait, tous les soirs avant de se coucher, les lumières de Gloria et se disait que c’était ce qu’il voulait. Il voulait une vie d’excès dans la capitale, une vie de noble. Et il était prêt à d’horribles choses pour atteindre ses objectifs.

À 17 ans à peine, il demande la main d’une des moins jolies filles des alentours ; la dot étant ridiculement basse. Qu’importait que sa femme ne plaise pas à son regard, il y voyait un investissement. Une femme, belle ou laide, peut mettre bas des petits et des petits, ça se vend. Triste réalité, mais la demande était là et il n’était pas le genre de fou qui laissait passé une opportunité. Il était plutôt le genre de fou qui met sa femme enceinte pour vendre sa progéniture. Pas du tout la même chose vous voyez !

Refusant donc de partager « l’entreprise » familiale avec ses aînés, Jacques usa des fonds qu’il pu soutirer à ses parents pour se trouver un médiocre toit en Gloria et s’y installé. Il voulait faire succès et donc, le plus petit et miteux endroit était mieux. Les pièces qu’il sauva ainsi furent mises de côtés, et il y ajouta tous ses revenus. Il prit plusieurs petits emplois et n’oublia d’engrosser souvent sa conjointe. Après quelques années au manège, il eut finalement assez de pièces mises dans son bas de laine pour se procurer une taverne, ce qu’il fit sans hésitation.

Pourquoi une taverne ? Puisque il s’agissait du moyen le plus facile de grimper les échelons. L’homme savait que de posséder un tel établissement lui vaudrait d’être considéré Bourgeois et ce simple fait était non-négligeable. De plus, la taverne apporterai un rendement et se rentabiliserait en temps et lieu. Le plus rapidement possible étant le mieux, on s’entend, mais il était prêt à faire preuve de patience. Finalement, détail tout aussi important, la taverne serait située en Gloria. La ville étant la capitale, il y aurait donc un bon nombre de visiteurs, augmentant ainsi son public cible, mais aussi des habitués. Parmi ses habitués, il espérait déjà y trouver des soldats ou autres bourgeois et nobles. Il les imaginait boire en oubliant de s’arrêter et laisser couler des secrets compromettants avec lesquels il pourrait les faire chanter. Bref, la taverne était le plan parfait pour ses idées de grandeurs.

Ainsi donc, sans réel succès, il exécuta son plan qui eut un effet quelque peu inverse. Surtout puisque les nobles n’eurent pas l’intérêt que le tavernier avait souhaité. Mais bon, ceci n’est pas l’histoire de Jacques mais bien l’histoire d’Auphélie. Quelques années plus tard donc, soit lorsque Jacques atteint ses 32 ans et que la taverne célébra ses treize années d’existence, sa femme mit au monde une fillette. La pauvre dame, nommée Luce, était tellement habituée à la routine qu’elle ne nomma pas la petite, sachant que le bambin serait vendu au plus offrant. Mais non, pas Auphélie. Voyez-vous, même un bon vendeur de bébés, ce qu’était devenu Jacques avec la pratique, ne pouvait pas vendre un enfant « défectueux ». Phé était muette. Je vous vois dire qu’elle joie ; un bébé qui ne pleure pas, mais les gens pensent souvent à long terme. Un enfant qui ne peut pas parler, c’est un enfant qui ne peut parler. C’est très circulaire mais c’est la réalité. Le père avait déjà décidé que le bambin serait noyé dans le Wylorel lorsque Luce insista pour conserver la fillette. Enfin un enfant qu’elle pourrait avoir, son premier. Qu’importait pour l’humaine que la petite soit « brisée », elle était sienne.

L’enfant fut nommée Auphélie, un nom prétentieux selon son paternel qui l’appellerait la petite. En fait, son père ne lui portait qu’un minimum d’attention, quand il n’avait aucun choix. À ses yeux, la fillette était une perte de temps et d’argent. Surtout d’argent. Mais Luce fit de son mieux pour l’élever seule. Le plus grand défi fut, évidemment, son handicap. La dame était illettrée et le langage verbal était pas mal son seul moyen de communication. Cela ne les empêcha de trouver un canal dans les dessins. Les griffonnages de la petite formaient un moyen relativement efficace de communiquer.

Si son enfance était loin d’être optimale et joyeuse, tout était relativement tolérable. Du moins, jusque au décès prévisible de sa mère. Je dis prévisible car la dame prenait de l’âge et les grossesses et accouchements devenaient de plus en plus durs sur elle. Après tout, elle devait bien avoir 44 ans, signifiant que Phé en avait 7. Ainsi donc, elle rendit l’âme en mettant au monde un bambin qui, malheureusement, fut aussi mort à la naissance. À ce point, Jacques pensa sérieusement se « libérer » de la muette mais une partie de lui ne pouvait s’empêcher de penser à l’argent qu’il avait « investi » à nourrir la fillette.

L’homme décida de faire travailler l’enfant dans la taverne ; nettoyer les planchers et la vaisselle principalement. Je vous vois venir, une taverne n’est pas un lieu très approprié pour une gamine, mais c’était son père qui n’était pas approprié. Dès que ce dernier avec une rage à passer, ou parfois pour le plaisir, il ne manquait de la rouer de coups. Les cotes brisées et les lacérations la connaissaient donc. Elle évolua donc sachant qu’elle était inférieure et que son père la détestait. Elle voulait lui prouver qu’elle était aussi bien qu’un autre humain, aussi fonctionnelle, mais elle ne pouvait pas lui parler et il refusait de regarder ses dessins.

Je vous passe donc les années ennuyantes dans sa vie discutable pour se rendre à lorsque l’adolescence frappa la jeune demoiselle. Ce fut un résultat de plusieurs facteurs, principalement les commentaires des clients, mais Jacques réalisa alors que sa fille piquait l’intérêt des consommateurs. Il ne se fit pas attendre et lui enseigna, bien qu’elle n’avait que 14 ans, à tenir le bar. Pour Auphélie, c’était la première fois que son paternel lui donnait une chance de se prouver et elle avait bien l’intention de la saisir. Elle rencontra, tentant de s’ajuster, quelques pépins, le premier étant son handicap. Devoir prendre un crayon et griffonné pour chacun des clients étaient très ralentissant. C’est pourquoi, remarquant que beaucoup de dessins revenaient, elle se fit un jeu de « cartes ». Sur un papier très épais, elle s’appliqua et y produisit des pictogrammes qu’elle croyait fort utile. Elle confectionna une pochette de tissus pour ce dernier, le gardant sur elle en tout temps. La seule « carte » possédant des lettres est celle qui comporte son nom, qu’un client lui à montrer à écrire.

Bref, elle s’habituait au métier lorsque une nouvelle opportunité lui fut offerte ; son père désirait ouvrir une autre taverne. Un peu comme une franchise, il avait amassé assez d’argent pour s’établir en Aldaria. Il va de soi que l’avare ne voulait pas embaucher d’employé pour la nouvelle « succursale » et sa progéniture ayant 18 ans, il ne voulait non plus se fier sur elle pour l’ouverture. S’il la croyait capable de tenir le fort en Gloria, il ne l’estimait pas en état d’instaurer la taverne en Aldaria. Donc l’homme quittant, laissant les reines en mains de Phé.

La jeune femme œuvre à la taverne, que beaucoup croient sienne, depuis. Elle a travaillé fort et s’est construit une bonne réputation. Entre autres, elle peut vous trouver n’importe quoi. Je parle autant de substances illicites que de personnes ; elle est très douée et a de bons contacts. De plus, pardonnez le mauvais jeu de mots, elle ne parlera pas des secrets confiés, un grand plus. Évidemment, la vie n’est pas pour autant rose. Son père ne lui parle presque pas mais cela ne l’empêche de vouloir l’entendre dire qu’elle n’est pas une moins que rien. Et puis, le stress et la douleur de son enfance lui ont fait prendre, très tôt, une malsaine habitude. Disons qu’elle lève le coude assez souvent.

Sans parler de la guerre et du siège de Gloria. Si l’impact eu un certain avantage, les gens étant plus portés à boire, la situation était néanmoins stressante. Par contre, d’un autre côté, Auphélie savait bien qu’elle ne pouvait pas faire plus. Elle ne savait pas se battre, si ce n’est se défendre, et donc, la meilleure option pour elle était de continuer sa routine. De plus, je crois bon de spécifier que la muette ne se prononce pas sur le changement de roi. Pour elle, un ou l'autre ne change pas, pour l'instant, sa vie. Ceci dit, elle trouve néanmoins particulier l'alliance avec les Alayiens. Après tout, devenir amis avec des ennemis si rapidement, pour elle s'est un peu comme se faire conquérir. N'empêche que, c'est des clients de plus. À ce titre, Auphélie ne fait aucune distinction entre les races tant que la personne a de la monnaie. Cela n'empêche pas les accrocs entre ses clients habituels et ses nouveaux clients. Mais rien n'est parfait. Bref, elle continue sa vie comme si de rien n’était, attendant tout de même de voir les développements.

Finalement, pour son handicap, elle endure puisqu'elle n'a pas -dans le moment- de connaissance pouvant l'aider à se guérir. De plus, elle n'est pas certaine que, même si elle rencontrerait une telle personne, elle pourrait se permettre la dépense financière. Ceci dit, l'idée d'un jour pouvoir parler lui plait bien; un peu comme un rêve.