Cinquième jour des négociations - fin de Journée

Isyndar continua sa marche au travers du domaine des chanteurs, après sa rencontre avec le lié doré. Elle n'avait que ça à faire après tout. Le temps que son lié intrépide retrouve son Maître pour le sortir de son guêpier sentimental.

Quel tête de lard !! Ce dragon ! Quoique son lié et son Maître aussi. Elle qui se faisait une joie, un bonheur de rencontrer dans des conditions dignes de ce nom des dragons de sa génération, elle ne fut pas déçue. Un dragon fier comme un paon, prenant ses paroles comme vérité absolue, ne cherchant même pas à ouvrir les deux grosses billes qui lui servent d’œil. Quand à faire fonctionner ce qui lui sert de cervelle... cela devait servir à gonfler d’orgueil son égaux surdimensionné et ses lourdes ailes qu'il avait du mal à battre. S'en prendre à son lié, remettre en cause ses choix de dragonnier...quelle insolence !!! Et lui alors, un humain, elle aurait bien trouvé à redire sur un bon notre de défaut. Puis Roëric était un vampire pas ordinaire, au cœur pure et à l'âme sensible. Il était juste un incompris au fil du temps. Il n'avait pas forcément fait le bon choix, mais depuis qu'elle était près de lui, Isyndar ne le vit pas faire un faux pas (sauf la concernant) pour venir en aide aux autres, humains, vampires. Il était loyal et fidèle à ses principes. On ne revenait pas sur le choix d'un dragon fut-il dragon lui-même !! Et encore moins de le menacer. Qu'il essaie, gros dragon doré ou pas, elle sortirait griffes, crocs et feu pour défendre son vampire à elle.

Et dire qu'il y a longtemps, elle eut le loisirs de rencontrer deux dragonnes, échanges de regards furtifs, dans des situations de tensions : une attaque, une guerre puis un exil, un sauvetage. Et pourtant, leurs liés vampiriques lui furent d'une aide précieuse et inestimable. Pourrait-elle les revoir un jour ? Toutes deux avec leurs liés dans un havre de paix ? Peut être bien ici ? Achroma son sauveur était un vampire placé hautement dans la sphère vampirique, pour avoir réussi à la sortir aussi facilement grâce à son élève.
Elle pourrait ainsi les remercier comme il se devait. Et remplir la mission que lui avait confié l'ancestral aux cheveux d'argent. Lui apporter son lié auprès de qui il voulait parler. Une histoire du passé. Isyndar n'y voyait là aucune violence, bien au contraire. Un grand questionnement, qui intriguait la petite dragonne de l'ombre. Qu'est-ce que ces deux dragonniers pouvaient bien avoir en commun dans ce passé sans elle.

Mais Isyndar rêvait, avec la guerre qui les menaçait, tout le monde était dispatché dans l'empire humain ou caché ici. Qu'est-ce qui prouvait que son sauveur et son chevalier étaient là. Une mélancolie douce s'empara d'elle.
Entre ce doré agaçant et ses amis d'un temps passé, verrait-elle une fois un dragon de sa génération qui lui permettrait d'échanger avec intérêt ? Pas que avec la grande mère des tempêtes auprès de qui elle était trop intimidée.
La petite grise continua de marcher dans le domaine, sur le tapis d'herbe épais, atténuant encore plus son pas léger, laissant le soleil brûlant taper sur ses écailles. Paradoxalement, pour une être de feu, le soleil n'était pas ce qu'elle cherchait, mais bien plus l'ombre des arbres. C'est sûrement le fait de vivre avec un vampire, qui plus est recherché, ombre furtive et fuyante.

C'est en cet instant de tristesse quand à sa race, qu'elle vit une ombre éclatée au soleil et venir vers elle, dans un pas raisonnant sous le tapis verdoyant.
Peut-être que le Dracos avait entendu son appel. Père des dragons, chance ou malheur ?

Négociations, négociations… Il n’y avait plus que cela à la bouche de tous les bipèdes que Silarae croisait. C’était fichtrement agaçant. D’autant que cette association était minable. Vampires, humains et elfes associés ? Prêts à se battre les uns avec les autres sans sourciller et s’entretuer, c’était une utopie, un rêve irréalisable. De mémoire de dragon, les elfes haïssaient les vampires qui le leur rendait bien, et les humains qui s’étaient mêlés à la partie vouaient une profonde rancune envers ceux qui se nourrissaient de leur sang. Un véritable désordre. En réalité, seuls les dragons auraient été à même de débarrasser cette vermine, mais ils étaient hélas si peu nombreux, et les deux-pattes n’auraient jamais accepté de se livrer à la supériorité draconique. La dragonne se sentait bouillir. Une bataille allait avoir lieu, elle le sentait, et elle était bloquée ici. Frustrant.
Au moins cette réunion allait-elle, si le Dracos était avec elle, être la possibilité pour la blanche dragonne de rencontrer les siens.
Relevant la tête, l’écailleuse battit rapidement des ailes et s’éleva au-dessus des cimes d’arbres, prenant de la hauteur, retrouvant la liberté offerte par ses larges ailes. Elle frôlait les nuages et s’abreuvait de la chaleur du soleil, le domaine elfique défilant sous ses yeux en contre-bas. Elle aimait cette vision et cette impression que le monde entier lui appartenait. Elle était souveraine ici, nul n’ayant l’audace de braver sa colère. Hormis ce petit oiseau, un peu plus tôt, mais un claquement de mâchoire et il avait fini en apéritif. Mais cet en-cas n’était nullement suffisant, un morceau de viande fraiche, plus abondant, aurait été le bienvenu, d’autant que le moineau avait été croqué bien des heures plus tôt. L’heure était venue de chasser.
L’après-midi s’était écoulé rapidement, la dragonne veillant sur son tendre lié. Sa santé s’améliorait quelque peu, mais la dragonne demeurait inquiète… et furieuse. Chaque souffrance, la moindre douleur, le moindre choc la peinait. Et tout était dû au même être répugnant, à ce vampire de pacotille. Ses crocs la démangeaient. Elle aurait volontiers arraché une tête.

Un éclat sombre, une écaille scintillante sous la lueur rosée du déclin du jour. Dissimulée dans le creux des ombres sans doute, à moins qu’il ne s’agisse que d’une illusion. Silarae s’approcha, ralentissant son vol pour survoler l’endroit suspect tandis que ses yeux perçants détaillaient la forêt. Oui, c’était l’un des siens ! Piquant vers le sol, elle se dirigea, à toute vitesse vers la silhouette grise, ne ralentissant qu’au dernier moment. Quel magnifique moment ! Elle la reconnaissait à présent, cette sœur d’écailles ! Elle l’avait rencontré à la bataille des bois sombres, puis quand Achroma l’avait ramené, la sauvant par la même occasion. Une rencontre des plus intéressantes sans aucun doute.
Après un atterrissage un peu rude où elle évita de peu la destruction de quelques arbres, la dragonne blanche s’approcha de sa jeune sœur, ses yeux d’ambre pétillant tandis que le soleil illuminait la couronne naturelle ornant son front. Arrivée devant la dragonne de l’ombre, elle tendit son esprit, frôlant celui délicat et caché de son interlocutrice. En premier lieu, se présenter ; elle n’était pas sûre que la petite dragonne se souvienne d’elle et les règles étaient dictées ainsi, les plus puissants se devant de faire respecter, les dragons devaient donc avant tout donner l’exemple.

*Que le vent t’accompagne, sœur d’écailles. Je suis Silarae, liée au vampire Achroma Seithvelj.*

Tentant de garder son calme, l’enthousiasme l’emportant parfois, elle détailla celle qui lui faisait face. Une stature délicate, une petite taille. Face à la grande blanche, elle paraissait toute petite. Mais Silarae ne cherchait pas querelle, il n’y avait pas lieu de se battre et de chercher les points faibles de l’adversaire, aussi instinctif soit ce geste. L’envie de découvrir les siens, de partager un moment avec une de ses pairs était trop forte.

*Nous nous sommes déjà rencontrées… As-tu retrouvé ton chemin au cours des longs jours ayant suivis la bataille de Feusacré ?*

Redressant la tête en arrière, elle observa la plus jeune, le regard impénétrable. Elle se doutait que la jeune dragonne se souvenait d’elle et de son lié, un dragon n’oublie jamais ses dettes.

Ce pas était celui provoqué par les pattes d'une de ses semblables, merci Dracos, et pas n'importe laquelle. Silarae. Dragonne blanche, liée comme elle a un vampire. Et pas n'importe quel vampire. Son sauveur. Celui qui la tira d'un mauvais pas lors de la bataille de Feusacré, qui l'aida à revenir auprès de son lié, alors qu'elle était une petite dragonne. Une petite dragonne perdue sous les sabots des combattants humains et vampiriques, se battant pour obtenir un livre, un bout du passé, du passé à tous, bipèdes, dragons. Et pourtant cela avait mal commencé avec le vampire aux cheveux couleur de la lumière. Son vampire de lié avait entravé Lorenz et ses accolytes, dont la petite dragonne blanche comme la neige. Même si sur elle l'effet ne fut pas vraiment brillant. Un sort sur un dragon. Son dragonnier avait encore beaucoup à apprendre sur les dragons. Erreur de jeunesse et folie de la guerre. Isyndar lui en avait voulu sur le coup, de s'en prendre ainsi à une des siennes. Mais la petite dragonne grise avait compris qu'il ne faisait pas ça contre les écaillés, mais contre le vampire au cœur noir, pour l'empêcher de nuire encore, coûte que coûte.

Et malgré cela, le vampire ne lui en avait pas voulu. Elle, seule, perdue, blessée, abandonnée au beau milieu d'une bataille dû son salut à la main secourable de ce vampire dormant dans l'ombre de Lorenz Wintel, la protégeant d'une mort certaine. Oh oui, elle ne l’oublierait jamais, lui devant une dette éternelle. Ni lui ni sa fidèle liée blanche.

« - Je me souviens de toi blanche d'écailles. De toi et de ton lié. Mon sauveur. Comment va-t-il ? Son bon souvenir m'accompagne bien souvent. »

Isyndar se redressa pour regarder et détailler sa semblable aussi claire qu'elle était sombre. Bien plus grande et massive qu'elle, en même temps il n'y avait pas grand mal. Est-ce que vivre cacher avait développé la petite carrure de la dragonne de l'ombre ? En tout cas, sa sœur blanche semblait moins baigné de l'arrogance du doré, une chance. Cela se devait sûrement à son lié ou bien à sa condition de jeune fille.

« - J'ai pu retrouvé mon lié grâce aux bons soins de ton lié et à la bravoure de son élève. Après un épisode douloureux sous les foudres d'un humain avide de nous nuire. »

Isyndar chercha à plonger son regard dans celui de sa sœur d'écailles, cherchant à effacer ce souvenir douloureux encore à sa mémoire et sa fuite laissant le vampire souffrant reprendre des forces seul. Elle s'en était voulu, mais il lui avait demandé.

« -J'aimerai revoir ton dragonnier, pour le remercier. Ta présence ici indique qu'il suit le processus des négociations ? Ou est-il comme nous ? Des voyageurs infortunés ? »

Bien que sa présence auprès du prince noir autrefois indiquait qu'il avait un rôle à jouer ici. Bien sûr Isyndar se moquait bien des négociations en elles-mêmes. Bien moins des conséquences. Car de ça dépendrait l'avenir de Armanda, des siens et de son lié. Mais pour la petite ombre, ce regroupement était une utopie. Mais elle n'était pas politicienne ni dirigeant d'une race. Heureusement. Et son dragonnier et elle étaient bien loin de ce genre de chose.

« - Et je suis heureuse de te revoir aujourd'hui, non pas sur un champ de bataille ni cachée dans une tente vampirique. »

Au moins, la grande blanche ne lui reprocherait pas le choix de son dragonnier vampirique. Et elle ne chercherait pas à le croquer à la prochaine rencontre.

Comme la blanche s’en doutait, sa sœur d’écailles se souvenait d’elle. Et d’Achroma. Cela évitait bien des choses, mais à cette évocation de la bataille Silarae se souvint de la tentative du vampire de l’immobiliser, elle, dragonne, avec les autres. Un vampire face à un maitre du ciel. Quelle ironie, quelle pathétique tentative de puissance. Et pourtant, il avait réussi à emprisonner son lié, immobilisant le puissant vampire. Là-dessus, Silarae devait bien reconnaitre qu’elle avait eu du mal à digérer que l’on prenne ainsi à son lié. Mais la petite dragonne de l’ombre, elle, n’avait pas semblé être aussi orgueilleuse. Et la dernière phrase échangée trouvait aujourd’hui tout son sens. « Nous nous reverrons, dragonne de l'ombre. ». Oui le moment était venu, malgré les longs mois écoulés et les bouleversements subis.

* Voilà bien longtemps que nous devions nous revoir, Dragonne de l’Ombre. *

Elle observa sa sœur d’écailles, lui rendant son regard, ne sachant comment préparer la suite. Son lié ne lui en voudrais probablement pas si elle divulguait le fait qu’il soit double royal ; après tout, n’avait-il pas secouru la dragonnette ? D’autant que ce n’était plus un secret à présent. Nombreux étaient ceux au courant de cette situation. Soufflant par les naseaux, laissant s’échapper un léger filet de fumée à l’odeur de soufre, elle tenta de réprima sa colère en répondant à sa congénère, résumant rapidement la situation.

*Il va. Tantôt bien, tantôt mal, bien que ce dernier point soit hélas le plus présent, et de loin. La malédiction sape ses forces depuis qu’il s’est fait double royal pour sauver l’un des siens. La douleur est maitresse de son esprit par instants et la faiblesse de son corps entrave sa liberté de mouvements. *

Elle claqua des dents, s’imaginant pouvoir poser la patte sur le corps sans vie du fautif, et avec sa pensée se déversa un flot de rage bouillonnante, effrayante de puissance.

*Nul n’est besoin de préciser à qui en relève la faute. *

Réprimant sa frustration, elle se redressa, dominant involontairement Isyndar, et se décida à poursuivre, mettant un point d’honneur à fournir une réponse à chacune des interrogations qui lui étaient posées.
Les négociations, toujours elles. Leur existence était une bêtise. Il faudrait des siècles pour mettre derrière chaque peuple les rancunes entretenues avec les autres, quelques jours ne seraient pas suffisants le faire, aussi urgente soit la situation. Le seul être raisonnable, à noter Achroma, ne pouvant y assister suite à la malédiction, il ne fallait guère se faire d’illusion sur le résultat des discussions. Et pourtant le Dracos savait à quel point ces pourparlers étaient importants. La suite des évènements était à suivre de près.

*Les négociations… Non, il est lié à l’usurpateur noir à présent, c’est la principale raison de sa présence, et de la mienne ; mon énergie est sienne et sa souffrance est mienne. Sa faiblesse l’empêche d’assister aux réunions des trois races, sans doute voyageur infortuné correspondrait-il. Mais sans doute serait-il heureux de revoir celle qu’il a sauvé. *

La plus jeune changea de sujet et Silarae s’étira, approbatrice. Oui, malgré la douleur qu’elle sentait palpiter au travers du lien l’unissant à son lié, malgré les tourments qui l’agitait et la triste époque dans laquelle ils évoluaient, celle aux ailes argentées partageait l’opinion de sa semblable.

* J’en suis heureuse également. Loin du fracas des armes et de la discrétion demandée, échanger avec l’une de mes sœurs est un plaisir que j’attendais depuis bien longtemps. Que venez-vous cherchez ici, votre lié et toi, s’il ne participe pas aux négociations ? *

Elle lui laissa quelques instants pour répondre avant de reprendre, brisant une branche en entrouvrant les ailes, n’appréciant guère l’immobilité.

* As-tu rencontré d’autres dragons ? J’ai cru voir la présence de certains, mais sans encore établir de contact.*

Elle leva les yeux vers le ciel, observant les nuages qui filaient, portés par le vent, éclaboussés de l’orange-rosé du coucher de soleil, avant de planter ses yeux mordorés dans le regard calme d’Isyndar.

« - Et j'attendais ce moment avec impatience, il me tardait de te revoir. »

Déjà pour s'assurer qu'elle ne lui en voulait pas pour l'incorrection insouciante de son lié, mais aussi pour aussi enfin revoir une de ses sœurs d'écailles et pouvoir ainsi discuter et parler avec quelqu'un de semblable à elle, comprenant ses réactions, ses doutes quand au monde qui s'offrait à eux, et l'importance du retour des dragons sur Armanda. Ce questionnement n'était pas anodin et taraudait la petite grise depuis quelques temps.

Mais elle n'eut guère le loisirs de lui en faire part, car la blanche lui annonçait de bien mauvaises nouvelles concernant son lié.

« -La malédiction ? Le double royal ? Mais qu'a-t-il donc fait par le Dracos ? Sauver encore un des siens. Votre lié est un vampire au grand cœur et courageux. Une audace qui j’espère lui sera bénéfique un jour. »

Isyndar serra le sol meuble entre ses griffes pour retenir son mécontentement et sa fureur face à une telle nouvelle. La douceur de ses yeux laissa place à une colère sombre. Valeureux vampire que de protéger les siens au péril de sa vie. Quelle force de caractère. Mais quelle folie.

« -Que pouvons-nous faire pour l'aider et le sortir de ce tourment de douleur ? Dites-moi et je vous aiderai. Je lui dois la vie et d'avoir retrouvé mon lié. »

Folie qui ne pouvait être liée qu'à une seule et unique personne. Celle là même qui causait bien des malheurs depuis sa naissance. Un nom qui revenait bien trop souvent dans son esprit. Elle n'était pas pour user de la violence, mais il allait falloir stopper la folie sanglante de ce vampire qui ne semait que chaos et désolation sur son passage.

« -Lorenz Wintel ! Maudit soit ce vampire !!! Un jour il paiera ses crimes. Que se soit envers notre frère blanc qu'envers nos dragonniers et les peuples qu'il opprime. Quelle créature abjecte !»

Isyndar battit de colère ses ailes sombres avant de se rattacher à la nouvelle de pouvoir revoir son sauveur.

« - Je serai ravie de pouvoir le revoir, lui apporter mon soutien et la garantie que je ne l'ai pas oublié. Il n'est pas mon lié mais le votre, mais son sort me concerne autant que pour vous. »

Quand à sa présence ici... Rien de politique. Du moins, pas en apparence. Encore un sauvetage.

« -Mon lié et moi sommes aussi loin de la participation des négociations qu'il puisse être possible. Mon dragonnier est venu aider son Maître et je l'ai suivi, car ses deux gugusse sont prompts dans l'art de s'attirer des ennuis. Il vaut mieux avoir un œil bienveillant sur eux. Je peux donc ainsi vaquer au plaisir de rencontrer certains des nôtres. »

Oui, elle en avait rencontré. Un seul. Et cela lui avait suffit à être bien moins enthousiaste quand aux retrouvailles avec d'autres écaillés. Imbécile !

« - J'ai eu le déplaisir de rencontrer le dragon d'or attaché à un humain. Il est imbus de sa personne, buté, borné. Et porte en horreur les vampires. Tenez vous, vous et votre lié loin de son arrogance. J'ai eu aussi l'honneur de rencontrer Skade, la mère dragonne, mais loin d'ici, bien avant mon voyage vers l'ouest. »

Sur une note plus douce, Isyndar ajouta en effleurant doucement l'esprit de sa sœur blanche :

« - Ces négociations auront au moins eut cet avantage. De réunir nos frères et sœurs d'écailles, car la vie nous a bien vite éloigné les uns des autres. »

Non seulement revoir, mais aussi parler, ce qu’elles n’avaient guère eut l’occasion de faire depuis leurs éclosions respectives. Un regard par ici ou par-là, le désir de partager leurs points de vue, leur opinion du monde, mais sans jamais y parvenir. Le temps les avait séparées et avait mis fort longtemps avant de leur offrir le plaisir des retrouvailles. Mais enfin cet instant s’ouvrait à elles, et elles pouvaient, pleinement, profiter de cet instant offert.

* Nous avons encore bien des choses à partager ensemble, dragonne de l’ombre. J’espère que d’autres rencontres auront lieu. *

Malgré sa propre fureur, la blanche perçut sans peine la colère d’Isyndar, et elle en fut satisfaite. Sincère, la petite grise pouvait donc vraiment s’avérer être une alliée. Si Silarae en avait douté, à présent ses doutes s’évanouissaient.

* Oui, et même en pensées sa colère aussi bien contre Lorenz que contre son lié était perceptible, il a préféré souffrir plutôt que voir mourir le rouquin. Un geste bien noble et stupide, il est condamné à souffrir des blessures de l’usurpateur. J’espère bien que cela puisse un jour lui être utile, mais le destin semble bien tortueux et je doute qu’il soit bien clément et je ne lui fait guère confiance. *

Non, mieux valait compter sur ses griffes et ses crocs mais aucun des deux ne semblait être d’une grande aide dans pareil cas.

* Je te remercie, mais hormis éviter de blesser de blesser l’usurpateur jusqu’à ce que mon lié se soit libéré de son fardeau, tu ne peux rien faire. A part affuter tes griffes et préparer ta langue à gouter le sang du Maudit. *

La mention du coupable sembla mettre hors d’elle-même la plus petite, et en l’entendant mentionner leur frère d’écaille tué par lui, l’argentée gronda. Un simple vampire, un bipède avait osé attaquer puis prendre la vie de l’un des véritables souverains d’Armanda. Sa punition n’avait pas été assez forte, d’autant qu’il l’avait partagé avec une autre. Et qu’en était-il advenu du lié du dragon mort ? Ce qu’il fallait, c’était arracher au maudit un être comptant plus que les autres, pour qui il aurait donné sa vie. Mais pour cela, il fallait être capable d’éprouver un minimum de sentiments, ne pas être complétement aveuglé par la folie, ce qui était le cas de Wintel.

* Oh, il payera sa folie et son arrogance. Ce cafard sans ailes goutera un jour notre fureur, et à cet instant ses sorts de lâche et le don des esprits ne lui seront d’aucune utilité. Il comprendra que le titre qu’il s’approprie n’est pas qu’un mot mais qu’il faut l’avoir dans ton son être, ce qui n’est pas son cas. *

Elle se montrait encore bien aimable, le puits sans fond de son mépris, son dégout et sa haine pour l’être abject aurait mérité bien d’autres termes, mais elle bavardait avec l’une de ses pairs et il n’était pas question qu’elle s’abaisse à la vulgarité des bipèdes. Isyndar devait bien assez sentir le volcan bouillant qu’était son esprit.

* Nul doute que votre visite serait un grand plaisir pour lui. Oh, le rebelle est-donc ici ? Voilà qui est… surprenant. Ta présence ne peut être qu’une aide pour eux, Dracos sait combien les bipèdes sont irréfléchis et prompts aux bêtises les plus évidentes. Nul étonnement de voir les guerres se déclencher, nous sommes bien peu nombreux face à eux et, aussi irresponsables qu’ils puissent-être, ils s’estiment assez sages pour se passer de nos conseils. *

Parfois, la bêtise des peuples d’Armanda était plus que surprenante. Mais après tout s’ils voulaient périr et souffrir, le problème n’était pas celui de la Blanche. Le principal était qu’elle trouve un moyen de libérer son Frère-d’Ame.

* Un dragon d’or ? Je serai curieuse de voir combien sa fierté masculine est élevée. Je me souviendrai de cela Sœur d’Ecailles, mais qu’il s’avise à s’approcher mon lié avec une quelconque mauvaise intention et il connaitra la définition du mot douleur, si tant est qu’il est le courage de s’approcher. Il n’aime pas les vampires, je n’ai guère d’affinité avec les idiots, il ne touchera pas au mien. *

Elle réfléchit un instant tandis que la rencontre de la veille lui revenait en mémoire.

* Je crois que j’ai rencontré son dragonnier hier, s’il s’agit bien du même dragon ; un jeune humain sympathique, appréciant mon Frère-d’Ame. Je doute qu’il apprécie que son lié s’en prenne au mien. Quant à la mère dragonne… se serait un véritable honneur de la rencontrer*

Elle malaxa la terre de ses griffes, cherchant à l’amolir et la rendre plus confortable tout en apaisant la colère qui n’avait toujours pas disparue completement.

* Malheureusement, je doute que toutes ces rencontrent soient réellement bénéfiques... *

Sur une note d'espoir, Isyndar confirma les pensées de son interlocutrice. La joie de retrouvailles présentes mais surtout futures. Maintenant qu'elles s'étaient retrouvées, plus question de fuir encore des années la présence de l'une et l'autre.

« -Je nous l'espère, et sous de bien meilleures augures que celles de l'affrontement d'une guerre. Mais quand ton lié ira bien mieux, que le poids de sa malédiction ne sera plus qu'un lointain mauvais souvenir, nous nous reverrons. Car ton dragonnier a à parler au mien. De quoi, ce sont sûrement des affaires du temps ancien, ce passé cher aux bipèdes. »

Isyndar avança sa tête et cligna d'un regard doux, elle voulait lui insuffler force et courage. La dragonne grisée ne pouvait que partager sa peine, en comprendre l'inquiétude folle que devait avoir sa sœur blanche. Elle imaginait si jamais Roëric était ainsi, Isyndar serait folle de rage à chaque instant, elle douce et calme serait telle un volcan prête à exploser.

« -Mais ne perds pas espoir dragonne blanche. Ton lié me semble être un bipède au caractère fort. Bien plus qu'il ne laisse le paraître et à la bonté d'âme qui lui procure une armure invisible mais qui lui offre une force qu'on sous-estime encore. »

Isyndar l'avait senti. Sa force calme, ses paroles douces et qui n'appelaient pas à être contestées. Non Achroma était un homme bon aux valeurs irréprochables. Il savait ce qu'il faisait et avait sûrement une idée derrière la tête. De savoir comment s'en sortir.

« - Et le jour viendra où tu verras enfin les blessures être affligées à celui qui a osé défier la puissance des dragons et de leurs choix. »

Elle redressa la tête bien fière.

« - Et ce jour là, je serai à vos côtés, soit en sûre. »

Puis revenant à son lié à elle, qui lui donnait tout autant de soucis. Sauf que lui avait la bougeote et n'était pas cloué sur un lit.

« - Le nombre des années de nos liés doit leur conférés cette douce pensée folle. Et je préfère avoir un œil bienveillant sur lui, dans le cas où avec ses gros sabots il en vienne à se retrouver face au prince qu'il l'a maudit des siens. »

Sait-on jamais ? Elle avait fait l'expérience une fois, elle n'espérait ne pas recommencer. Ni de sa rencontre avec Lorenz ni de celle avec le lié doré.

« - Crois-tu ? Les rencontres avec les nôtres ? Je t’avoue avoir été déçue par ce dragon trop obtus, mais pas par la notre ni celle de la mère dragonne. Elle est sage et réfléchit et prompt à toute discussion, dragon, vampire et humain. Elle se questionne tout comme nous sur ce monde qu'elle a laissé et que nous éveillons de nouveau. Et ce n'est pas parce qu'un abruti aux idées arrêtées voue une haine à mon lié et contredit mes choix que je ne prends pas plaisir à revoir mes sœurs d'écailles. »

Isyndar lui transmettait avec une sincère affection et admiration des images de la grande dragonne, avant de serrer ses griffes dans le sol devenu bien meuble sous ses grosses pattes.

« - Personne ne peut contredire les choix d'un dragon pas même les siens. En espérant qu'il tienne alors de son lié, si ce dernier semble plus à même à une discussion polie malgré la différence de races. Je ne comprendrai jamais ces bipèdes. Se taper dessus avant de réfléchir à une solution de vie ensemble.

Sortir de la guerre ? Restait à savoir quand cela allait arriver. Les alayiens semblaient s’accrocher à Armanda comme des tiques sur un chien particulièrement appétissant, aspirant sa force vitale et dévastant sa peau.

* Voilà deux souhaits bien incertains. Je ne sais quand nous pourront libérer, bien que j’espère grandement que le moment approche. Mais après tout… Ils sont vampires, ils sont dragonniers, le temps ne leur manquera pas pour s’échanger leurs souvenirs. Laissons-les à leurs étranges discours ; te revoir sera alors un grand plaisir. Ces bipèdes sont parfois étranges… Mais il est vrai que la mémoire de leur peuple ne leur est pas offerte à la naissance. *

Bien sûr, ils n’avaient pas la puissance draconienne, ni les privilèges de ces souverains ailés. Quel dommage toutefois qu’Achroma doive pâtir de l’infériorité des siens. Il aurait dû naitre dragon, son âme étant bien plus distinguée que celle de tous les autres deux-pattes, mais si pareille situation s’était produite, elle n’aurait jamais été liée à lui. Or nul autre pouvait se targuer de mériter l’honneur faite par la Dame d’argent d’être choisi comme Frère-d’Âme et Chevaucheur. Que ce serait-il passé alors ? Serait-elle restée dans son œuf, frêle créature pourtant puissante, esprit déjà vieux dans un corps de nouveau-né ? Aurait-elle observé le monde de ses yeux aveugles, s’appuyant sur la puissance de sa pensée pour le parcourir, jusqu’à ce que le monde ait changé et que le temps ne recouvre sa coquille d’une cuirasse de poussière, puis de roc ? Qu’advenait-il donc des œufs non trouvés ? Bien sombres pensées qu’elle chassa doucement, les soufflant telles les flammes tremblantes de quelconques bougies. Non, elle aurait été libre, dragonne puissance et indomptable, gouvernant les cieux, chassant de ses crocs et des griffes quiconque aurait osé la défier. Regrettait-elle pareille vie ? Bien sûr, elle prônait la liberté et vivre ainsi détachée de toute chaîne était une utopie irréalisable qui la narguait méchamment. Mais pour autant, elle se savait incapable de renoncer à l’amour infini la liant à son vampire. Il était à elle et elle était à lui, quoi qu’en disent autrui, quoi que fasse un prince vampire. Il lui était impossible de vouloir une vie de liberté si c’était pour la vivre dans la solitude de ses pensées. Que tous les autres disparaissent, oui, mais qu’on lui laisse son Conteur. Il était le cœur de sa vie et le centre de ses pensées, à tout instant.
Laissant de côté ces étranges pensées, elle retourna au présent, répondant à la dragonne de l’ombre.

* Oh, n’ait crainte ma sœur, je le connais, je sais la force qui sommeille en lui, mais il est vrai que la douleur est parfois insupportable, et l’idée qu’il paye, même de moitié, le crime commis par un autre est insoutenable. Et malgré sa force et son endurance, son corps s’affaiblit et ses jours passent dans la douleur. Il est temps que cela finisse, et que la paix lui revienne. Sa noblesse d’âme lui coûte bien des tourments. *

A la réponse qui suivit, elle ne put qu’être d’accord ; bien des vengeances allaient s’exercer lors de la mise à mort de l’usurpateur. Cet orgueilleux comprendrait ce que souffrir veut dire, et même si des décennies devaient être nécessaires pour que le châtiment soit parfait, peu importait.
De son esprit, la blanche insuffla une vague de reconnaissance à son interlocutrice, appréciant l’aide qui lui était offerte.

* Voilà qui est sage, en effet. J’aurai volontiers émit la même pensée si mon lié n’avait pas déjà été sous l’emprise du parasite. Prend garde au tien, ils semblent tous avoir la mauvaise manie de faire les pire bêtises au moment où s’y attend le moins. Je crains qu’ils ne se rendent pas compte que les années passées n’a guère soigné leur témérité aveugle. *

Oh, ils n’étaient nullement dénués de courage, bien au contraire ; ils semblaient même en avoir à revendre. Malheureusement ils ne songeaient nullement au futur, ne voyant pas les incidents produits plus tard, se laissant emporter par leurs passions.

* Ah ! Mais il est encore aveugle du monde qui l’entoure, d’autant que son dragonnier est un jeune humain, sans doute n’a-t-il pas conscience de ses faiblesses et bêtises. Il est mâle, sans doute ne possède-t-il pas notre gloire et notre sagesse. Il lui faudra sans aucun doute du temps pour éclaircir et s’ouvrir à ce qui l’entoure. Voir en noir et blanc est un raisonnement bien puéril. Je suis de ton avis, inutile de laisser un enfant trop obtus gâcher ces retrouvailles. Il nous faudra un jour nous retrouver toute deux devant la mère dragonne, un échange ensemble ne pourra qu’être intéressant.*

Oui, bavarder avec ses deux sœurs, donc elle connaissait l’une et la respectait et admirait la seconde, bien qu’elle ne l’ait jamais rencontré, était une perspective fascinante. L’opinion de ses sœurs l’intéressait, et observer le monde et l’étudier à leur côté était magnifique. Les images que lui envoyait la petite dragonnes étaient scintillantes de sentiments agréables. Oui, elle avait hâte de rencontrer cette noble créature.

* C’est exact, mais au moins peut-il l’influencer et tenter de le raisonner. L’humain plus raisonnable que le dragon, voilà une étrange idée. Les bipèdes sont incompréhensibles en bien des points, se battre entre eux n’étant pas l’un des principaux, bien au contraire.*

Non, la bataille, l’adrénaline, voilà des choses intéressantes, qu’elle connaissait et appréciait. Que les dragons en revanche soient si peu écoutés… Non, elle ne s’y ferait pas, et comptait bien un jour changer les choses.

« - Et pourtant nos liés ont aussi une bien grande mémoire, une bien longue vie, comparée à la notre. C'est là toute l'étrangeté de la chose. Nous sommes jeunes, nous sommes nées hier. Nos liés ont vu déjà de nombreux hivers, mais pourtant notre mémoire est là pleine de chose que nous ne savons pas, mais qui arrive à nous guider. L'alliance, ce lien, est des plus étrange. »

C'était là, un des nombreux questionnement de la jeune dragonne grise. Curieuse, elle cherchait à comprendre ce qui avait pu les amener à disparaître et à revenir. Eux, cachés depuis la nuit des temps.

« -En tout cas Silarae, je vous redonne mon aide. S'il faut au plus vite libérer votre lié, mon sauveur, je serai là, à vous suivre, vous guider. Ce serait pour moi, bien plus qu'un honneur. Je lui dois la vie, je l'aiderai presque autant que mon propre lié. »

Déterminée aussi bien dans le regard que dans les griffes. Il n'était pas son lié, mais elle avait pour lui un grand respect et un profond attachement. Et le fait qu'il soit en plus dragonnier prouvait sa juste valeur. Deux dragonnes veillaient sur lui.

« -Le mien est un jeune vampire au cœur d'or et à l'allure sombre. Il place avant lui ceux qui comptent à ses yeux, même s'il semble détacher de tout même de moi. Mais c'est ça façon d'être. Mais nul n'est parfait. »

Et c'était au final une qualité.

« -Preuve il en faut, un dragon qui refuse d'accepter le choix de ses sœurs. Je serai par contre ravie de rencontrer son lié humain ou même un lié elfique. Pour comprendre nos choix, et le lien entre tout cela. Car je suis sure qu'il y en a un. Outre le fait que nous les avons choisit. Notre mémoire, nous, notre esprit doit nous guider vers des chemins sans que nous en connaissions encore tout l'aboutissement. »

Pourquoi ses frères ou sœurs avaient choisis d'autres liés que des vampires alors que quatre dragon avaient fait ce choix controversés. Décidément, il y avait encore beaucoup à savoir sur eux mêmes, même si cela allait de soit que ce choix était ce qu'il était: indiscutable.

« -La mère dragonne en sait peut être quelque chose. Il nous faut en effet la rencontrer toutes deux. Notre rencontre fut brève, mais ce court moment m'a suffit pour me sentir dragonne, avoir l'envie de déployer encore bien plus mes ailes sur ce continent. »

Une belle rencontre, timide rencontre, mais un bonheur sans fin, même si cela a faillit se solder par le croquage de son lié. Oui, il s'attirait bien souvent des ennuis. Mais qu'est-ce qu'un peu d'animations et d'aventure dans la vie. Un bon remède contre la monotonie. Isyndar s'y était faites. Elle en riait presque.

« - Il faut croire que nous ne sommes pas parfaits, mais ce sont de nos défauts que nous apprenons le plus. Et nos liés sont une extension de notre être, notre âme. Voilà la clé du fin mot de cette histoire. Enfin c'est ce que je pense. »

La dragonne de l'ombre se retrouvait dans son lié, et en même temps il était son opposé parfait. Souvent elle s'était demandée pourquoi l'avoir choisit, lui, le vampire solitaire. Un choix étrange, mais elle sentait dans son cœur, cette inexplicable attirance vers ce que cet être pourtant mort était. Une force brute cachant un éclat de pureté.

« - S'il n'y avait que leur luttes de pouvoir et l'envie de dominer l'autre. Ils sont changeant comme le vent. Au moins nous gardons une constance nous autre dragon. »

Isyndar se redressa avec fierté, un brin d'arrogance dans le regard et dans son attitude.

« -Douce sœur d'écailles, je ne t'ai que trop retenu. Je te laisse retrouver ton noble dragonnier, ta présence auprès de lui doit être un réconfort. »

lui souffla-t-elle d'un regard doux, en clignant des yeux et en battant de ses ailes.

*Certes, mais notre sagesse est bien supérieure à la leur, non seulement par notre statut même de dragons mais aussi par ce savoir incroyable dont nous détenons la clé. Notre éclosion est peut-être récente, sœur d’écailles, mais les longues années passées dans le creux de nos œufs nous ont permis de longues réflexions, or même éveillés les bipèdes sont peu enclins à ce genre de… distractions.*

Hormis Achroma qui passait peut-être trop de temps à réfléchir, mais comme son statut de Double Royal semblait l’indiquer, ces réflexions ne se faisaient pas toujours au bon moment. Dracos, cette histoire, elle peinait à la digérer.

* Je préfère ne pas savoir ce qu’est la vie d’une créature non liée, elle doit être courte et pleine de risques inutiles et stupides. L’alliance, c’est certes un lien étrange mais sur lequel repose notre puissance. *

Encore que les elfes et les vampires avaient une constitution bien plus solide que les humains, ils avaient donc davantage de chances de rester indemne que ces derniers qui eux, en plus d’être impétueux, arrogants et irréfléchis, étaient bien fragiles.

* Votre aide nous sera précieuse, dragonne de l’ombre. Je n’oublierai pas votre promesse, et je vous appellerai sitôt que le besoin d’aide se fera sentir. Qui donc pourrait s’opposer à deux dragonnes ? Mais il y a auparavant bien des choses à régler… *

Avoir une dragonne pour alliée, compagnon, liée et sœur d’Ame, voilà qui était déjà beaucoup, s’assurer la sympathie d’un autre et son soutien en cas de problème, presqu’un amour en plus d’une reconnaissance, c’était plus inédit et incroyable. Silarae leva la tête, fier de son lié. Sa nature même lui avait permis de s’attirer la gloire de la plus noble race ; malgré ses bêtises, elle ne pouvait qu’’être orgueilleuse de s’être liée à la perle rare qu’était le vampire, un être si fascinant, à la fois simple et complexe.

* Détaché de toi ? Voilà qui est étrange. Et pourtant votre lien semble fort. Je serai ravie de rencontrer ton lié, Isyndar. Que tu l’ais choisi est une preuve s’il en est de sa différence face aux autres. *

Oui, elle était curieuse de rencontrer cette curieuse créature. Observer un vampire hors de l’influence du Maudit, voilà qui était curieux. Bien sûr son jugement serait influencer par la proximité de son objet d’étude avec Isyndar, qu’elle-même appréciait, mais il s’agissait d’un début.

* Oui, je suppose que… quelque chose nous pousse à préférer nos lier, alors que nous sommes encore dans l’œuf, à tout autre bipède. Et pourtant il semble que tous les liens ne soient pas les mêmes, ni dans la force ni dans la façon de l’envisager. Peut-être une quelconque magie nous soumet-elle à ses règles ? Quoi qu’il en soit, je serai curieuse d’obtenir une réponse. Notre mémoire ne semble pas le posséder. *

Se laisser manipuler par la magie ? Aussi haute soit l’estime que la blanche portait à cet art, l’idée d’être ainsi privée de sa liberté de choix était fort désagréable. Nul ne pouvait s’imposer aux ailés. Achroma était à elle parce qu’elle l’avait voulu, c’était ainsi. Et pourtant… Cette petite phrase de sa jeune sœur trouvait un écho en elle, et le désir d’éclaircir ce mystérieux point. Peut-être la mère dragonne en saurait-elle plus. Une raison supplémentaire de s’entretenir avec elle le moment venu.

* Oui, il semble que les raisons de la rencontrer s’ajoute au simple envie d’une telle rencontre. *

Se détendant, Silarae inclina la tête, ses yeux d’or fouillant ceux de sa vis-à-vis, cherchant à l’accrocher.

* Pas parfaits ? Certes, mais au moins pouvons-nous nous targuer d’être plus sages que toutes les autres races réunies. Nos liés nous complètent car ils sont par eux-mêmes déjà exceptionnels, tous n’en auraient pas la possibilité. Nous nous complétons et nous comprenons, là repose l’harmonie du lien. Nos identités se mêlent pour ne devenir qu’une et la parfaire. Certains ne l’ont simplement pas encore développé. *

Il était difficile de ne pas songer au dragon d’or dont avait parlé sa sœur d’écailles. Bien qu’il soit adulte sans aucun doute, il n’écoutait donc guère son lié.

* Oui, c’est exact. Et de tous les humains sont les pires. Mais ils sont également les plus fragiles, sans doute cherchent-ils à atteindre le sommet de la puissance constante et éternelle. Leur respect pour nous décroit car ils recherchent le leur. Leur prétention s’affermit. C’est une bien étrange époque, et les questions seraient sans fin si l’on voulait toutes les poser. *

Inclinant brièvement son énorme tête à la hauteur de celle qui lui faisait face, elle souffla sur le nez d’Isyndar, témoignage de son amitié, avant de déployer les ailes immenses qu’étaient les siennes, brisant des branches, soulevant les herbes sous leur puissance.

* Le temps file hélas sans s’arrêter. Nous nous reverrons ma sœur, et en attendant cet instant, je te souhaite les bienfaits du Dracos, ainsi qu’à ton dragonnier. *

Reculant, elle retrouva suffisamment d’espace pour son envol et, d’une propulsion élégante, regagna le ciel libre et désert.