Swëtsein ! Parmi toute la ribambelle de lames noires qu'il avait à sa disposition, il avait fallu que ce vieux cornichon rance de Dessay refile le colosse en armure à la protection de Morgane. Après tous les efforts qu'avait déployé Logan pour s'en débarrasser une première fois, voila qu'il lui revenait dans les pattes. Coïncidence ? Il n'y croyait pas et parlerait plutôt d'une cruelle injustice, laquelle n'avait d'ailleurs pas manqué de faire bouillir le sang du Rat sitôt qu'il avait appris la nouvelle. Néanmoins, si sa première impulsion avait été d'aller trouver son épouse qui était certainement pour quelque chose dans cette affectation, il avait finalement préféré une approche plus directe : alors qu'il s'avançait vers les jardins, lieu de prédilection de sa chère et tendre qu'il convenait de vérifier pour espérer la trouver, il changea brutalement d'opinion pour diriger ses pas vers le corps-de-garde et plus particulièrement les quartiers de la guilde des Lames Noires. Il n'en apprécierait que davantage son entretien avec Morgane s'il avait le plaisir de lui annoncer que ce pauvre Hanz avait finalement dû être réaffecté ailleurs. L'ébauche d'un sourire effleura ses lèvres à cette idée mais fut rapidement chassée par un froncement de sourcils contrarié : avant d'en arriver là, il lui faudrait convaincre le principal responsable et s'il ne l'avait jamais rencontré, ce qu'il avait entendu du bonhomme ne présageait rien de facile. Pas le genre à se laisser impressionner ou acheter, malheureusement, même si Logan avait pour lui le prestige et l'autorité de la noblesse.

N'accordant qu'un regard dédaigneux aux quelques lames noires qui le saluèrent respectueusement à son arrivée à proximité du quartier général de la garde d'élite, il aboya l'ordre qu'on le mène auprès du responsable et se fit conduire par l'un des soldats qui avaient eu la malchance de se trouver sur son chemin jusqu'à une large porte de bois aux lourds renforts métalliques. Le soldat frappa une série de coups et attendit qu'on lui intima l'autorisation d'entrer pour inviter le Rat à le précéder, ce que ce dernier fit sans se faire prier en ouvrant violemment la porte pour venir se camper avec assurance devant le large bureau du non moins large commandant. L'officier se releva pour accueillir son visiteur inattendu mais n'avait pas encore achevé le mouvement que déjà, Logan vociférait :

« Qu'est-ce que cela signifie ? J'espère pour vous que vous avez une explication décente à me fournir, commandant. »

Le dernier mot avait été prononcé avec une pointe de sarcasme pour insister sur le fait que gradé ou pas, Dessay lui restait inférieur socialement parlant et n'avait pas intérêt à l'oublier. Sans attendre, et parce qu'il n'avait nulle peine à imaginer que le lent cerveau du vieux guerrier aurait besoin d'explications complémentaires, il poursuivit en persiflant :

« Je viens en effet d'apprendre que vous aviez arbitrairement décidé de l'affectation des lames noires à ma garde et à celle de mon épouse. L'empereur vous donne peut-être toute marge de manœuvre pour choisir les membres de sa garde personnelle, mais ce n'est pas mon cas ! J'ai mon mot à dire sur ceux qui ont pour mission de veiller à ma sécurité ou celle de mon épouse et mes enfants. »

Et principalement sur ceux qui seraient amenés à faire partie de son entourage mais de cela le Rat se garda bien de parler, il lui avait déjà été bien assez difficile de faire comprendre à ces abrutis de se tenir à l'écart de ses magouilles. D'accord, les gardes pouvaient avoir leur utilité, notamment quand l'un ou l'autre pécore oubliait sa place et tentait de se montrer violent à la suite d'une brimade quelconque, mais le Rat avait déjà bien assez de mal à construire son avenir de duc que pour s'encombrer de fanatiques un peu trop collant comme celui dont il venait se plaindre aujourd'hui.

« L'un d'eux en particulier n'a rien à faire dans la garde de mon épouse, je veux parler de ce Hanz Swëtsein. Cet incompétent n'a même pas été capable de protéger sa propre femme, et je devrais le croire digne de veiller sur la mienne ? Croyiez vous que je l'ignorais ? Et bien non, il vous faudra donc trouver un autre moyen de vous débarrasser de vos brebis galeuses, Dessay ! »

Oh que non, cet épisode, il n'était pas près de l'oublier et pour cause : les assassins avaient pris leurs ordres du futur duc en personne. Dommage cependant que ces incapables aient ratés leur cible mais de ce qu'il en avait appris, ils avaient été récompensés pour cela puisque la ''forteresse'' les avait massacré. Un mal pour un bien en vérité, Logan avait ainsi pu économiser la moitié de la somme prévue puisque personne n'était venu réclamer l'exécution du contrat et s'était débarrassé du gêneur, la lame noire effondrée par le deuil ayant à l'époque préféré quitter Elena. Du moins était-ce ce qu'il croyait...

Et bien là pour être en retard, il était en retard... L'homme parfaitement organisé qu'il était détestait cela mais on ne refusait rien à un empereur n'est-ce pas ? Sa garde aurait dû s'achever depuis déjà plusieurs heures mais Gregorist apparemment plongé dans le plus mortel ennui depuis qu'il était coincé au fin fond de son lit avait arbitrairement décidé que la matinée serait consacrée à un interminable bavardage sur la bonne tenue de l'armée impériale. Et quoi de mieux que l'homme chargé de veiller sur votre sécurité pour ce genre de dialogues ? Les heures avaient défilé à toute allure sur ce thème et Aaron s'était bien gardé de faire remarquer à son souverain que sa garde était terminée depuis longtemps et qu'il avait joyeusement sauté son repas.

Ce fut simplement l'arrivée timide de la Lame Noire chargée de remplacer Aaron qui stoppa le roi dans ses explications enthousiastes. L'homme se demandait évidemment pourquoi le début de sa garde prenait un tel retard et son étonnement rappela l'heure à Gregorist qui houspilla sévèrement le commandant en l'incitant à aller enfin prendre son repas. Un sourire de léger amusement sur les lèvres Aaron avait obtempéré aussitôt sans faire remarquer le moins du monde que le retard n'était pas de son fait. Le roi Gregorist en était déjà fort conscient lui-même.

D'un pas vif, il avait quitté les appartement royaux afin de rejoindre le corps de garde où l'attendait d'abord un bon repas et ensuite une tonne de paperasses qui allaient sans doute s'avérer très désagréables à gérer. Mais cela faisait parti de ses attributions et il n'avait pas l'intention de s'y soustraire. Enfin avant cela il avait un sort à faire à son repas ! La malchance voulu qu'il se soit souvenu pile à ce moment là qu'un document très important attendait sa signature en urgence. Il décida donc de passer d'abord par son bureau, il signerait ce fichu papelard avant de manger puis ne reviendrait qu'une heure plus tard, l'estomac bien plein.

Il était intallé à son bureau, une plume à la main quasi prête à orner le papier en question de sa sobre signature lorsqu'une série de coups frappés à la porte lui fit relever la tête. Allons bon... Le Dracos avait décidé qu'il ne mangerait pas aujourd'hui...

"Entrez !"

Assit bien droit sur sa chaise, tête relevée vers la porte, il s'attendait à la vision d'une lame noire, d'un officier à la limite venu pour lui faire son rapport mais certainement pas à cela. Si il y avait bien une chose qu'il ne supportait pas c'était que l'on claque les portes et ses lames en savaient quelque chose. Néanmoins il avait bien grand soin de mémoriser le visage de tous les Kohan, hommes femmes et enfants, du plus humble au plus haut placé et c'est sans doute ce qui évita un incident diplomatique des plus désagréables à cet instant. D'un seul coup d'oeil, il identifia l'individu qui venait de faire irruption dans son bureau et se leva sans brusquerie mais avec correction.

"Prince Logan..."

Stoïque devant cette explosion de colère à laquelle il ne comprenait goutte pour le moment, il le salua à la militaire, poing sur le coeur et sans le quitter des yeux. Par chance l'homme n'avait apparemment pas l'intention de s'arrêter là et les explications suivirent. Tiens donc... Apparemment l'antipathie d'Hanz pour le mari de Morgane Kohan était réciproque. Ce n'était guère étonnant en vérité... Ce qui l'était plus c'était que l'homme se montre si plein de fureur contre ce qui n'était en réalité que la routine de la cour. Aaron était responsable de l'affectation des Lames Noires depuis bien des années et c'était la première fois qu'on venait lui reprocher ses choix. Impassible, il réprima un haussement de sourcil devant la mauvaise foi de l'homme et le laissa poursuivre. Il eut par contre beaucoup plus de difficulté à contenir sa réprobation à l'évocation de la femme de la forteresse. Un peu incrédule devant tant de venin il laissa passer quelques secondes avant de se décider enfin à répondre d'une voix aussi posée et neutre que possible :

"Je suis sincèrement navré que nos affectations aient pu vous déplaire messire. Hélas je ne peux prendre en compte les désirs de chacun sous peine de rogner sur ma priorité première, à savoir la sécurité de votre famille. Là est sans doute la raison de la grande marge de manoeuvre que daigne me laisser l'empereur. Comme son père avant lui."

Les derniers mots étaient choisi à dessein et prononcé sur un ton calme lui permettant de rappeler adroitement à l'autre que si il n'était pas un noble il possédait tout de même une place de choix à l'oreille du roi et ceci depuis deux générations. La longue expérience qu'il avait de la vie aux côtés des plus hauts placés de l'empire lui avait apprit à savoir faire preuve du respect qui était dû à chacun sans pour autant se laisser intimider ou écraser. Une lueur assurée dans ses yeux pâles, il fixa le prince sans ciller, le laissant prendre lentement conscience de la réalité des choses. Tout commandant qu'il était, Aaron avait le bras assez long pour lui rendre la vie particulièrement difficile ou pour tout simplement le discréditer définitivement aux yeux d'un roi qui, de notoriété publique, n'avait pas de réel attachement pour l'époux de sa cousine. Bien sur il avait trop de loyauté et d'adoration envers les membres de la famille Kohan pour s'abaisser à ce genre de petit jeu, mais cela le prince ne pouvait le savoir n'est-ce pas ?

Lorsqu'il lui sembla que le message était bien passé, il reprit :

"Hanz Swëtsein fait parti de mes hommes les plus surs et les plus expérimentés. Pour l'avoir recruté et formé moi-même je peux vous assurer que ni sa loyauté, ni son efficacité, ne peuvent être remis en cause par ce qui a pu se passer dans sa vie privée. Votre épouse sera parfaitement en sécurité sous sa garde messire, je comprend votre inquiétude mais elle n'est pas fondée. Les Kohan me font l'honneur de m'accorder leur confiance depuis bien des années, je ne pense pas qu'il n'y ai de désaccord sur ce point au sein de la famille royale..."

Une flamme innocente dans les prunelles, il rectifia sa position machinalement sans vraiment le quitter des yeux. Il doutait sérieusement que son interlocuteur se risquerait à aller tester le niveau de confiance que les Kohan de pure souche accordait au commandant des Lames Noires. Et même si c'était le cas, il n'avait strictement rien à craindre. Désireux tout de même de ne pas froisser celui là, il termina avec plus de délicatesse :

"Puisque le choix des affectations à votre famille vous intéresse mon prince, peut-être voudrez vous sélectionner le capitaine qui sera responsable de votre propre garde. J'en ai déjà sélectionné quelques uns mais le choix final n'a pas encore été fait, souhaiteriez vous voir leur états de service ? Ce sont tous des hommes courageux, disciplinés et qui seraient honorés de veiller sur votre personne..."

Peut-être pas tous en vérité... Aaron était trop près de ses hommes pour ne pas ignorer que des rumeurs couraient sur l'hygiène plus que douteuse du mari de Morgane Kohan mais l'honneur de monter en grade et de commander sa propre garde plairait à la plupart. Attentif, il attendit la réponse, prêt à essuyer stoïquement une possible nouvelle vague de colère.

Rodrick ! Evidemment... On en revenait toujours à l'empereur défunt dès lors qu'il devenait nécessaire de se draper sous l'autorité impériale. Même mort, le père de Grégorist et Esmelda restait pour beaucoup une figure d'autorité autrement plus convaincante que son fils et le vieux garde du corps n'était pas dupe : en signifiant au Rat que c'était bien Rodrick qui fut le premier à lui accorder sa confiance, il se protégeait. Sans se départir de son expression courroucée et bien qu'il dut relever la tête pour compenser le petit avantage en taille du guerrier, Logan soutint le regard du vieillard avec force conviction. L'espace d'un instant, il fut tout de même tenté par l'idée de lui ordonner de se rasseoir, pour reprendre l'ascendant mais s'en abstint finalement. Ce genre d'astuce aurait pu fonctionner face à un quelconque noble de rang inférieur, mais devant un militaire, il fallait manoeuvrer différemment. Il fallait penser comme un militaire : en le contraignant à rester au ''garde-à-vous'' , Logan conservait une certaine forme d'autorité ou du moins était-ce ainsi qu'il le concevait.

Malheureusement, cela ne suffirait pas et comme il s'y était attendu, Dessay restait solide sur ses appuis et ne s'en laisserait pas compter. Logan n'écoutait d'ailleurs plus que d'une oreille distraite les déblatérations de l'officier, préférant concentrer son attention sur les moyens de pression les plus susceptibles de porter. La menace semblait vaine tentative, de par ses fonctions une Lame Noire n'était pas du genre à s'inquiéter pour sa propre vie, voire même pour celle de sa famille si tant est qu'il en posséda une. Qu'importe, Logan avait pour habitude de dire que si l'on ne pouvait effrayer un homme, il suffisait de l'acheter : le tout étant de trouver le bon prix pour faire tomber les barrières les plus solides. Mais quel pouvait être le prix d'un homme comme celui qui se tenait devant lui ? Beaucoup de militaires ne juraient que par leur métier mais dans le cas présent, il semblait difficile de lui faire miroiter de l'avancement ou des perspectives de carrière, à son âge, il se tenait plus proche de la retraite que de ses débuts et la position qu'il occupait aujourd'hui était déjà l'oeuvre de toute une vie. De l'or ? L'appât du gain faisait souvent merveille, particulièrement auprès des basses castes, mais tout pécore qu'il était, le garde personnel de l'empereur bénéficiait d'un confort financier certain et si Logan ne rechignait pas à mettre la main à la bourse pour obtenir quelque service, corrompre un fanatique tel qu'une lame noire demandait un investissement un peu trop important. Des femmes, peut-être ? Avec l'argent, l'attrait de la chair était l'un de ces chemins sûrs vers la subordination d'autrui mais si les charmes des demoiselles pouvaient venir à bout des plus fervents jeunes hommes, Logan ne pensait pas Aaron de ceux là. Etait-il seulement encore capable de lever le drapeau, cet ours rabougri ? Non, décidément, la corruption ne serait pas la solution à son problème, pas cette fois...

Le visage du Rat laissa apparaître ce rictus qui le caractérisait tant, cet air supérieur chargé de dédain qu'il se complaisait à afficher devant les basses castes. Aaron remporterait cette manche, mais Logan n'était pas du genre à saluer son vainqueur lorsqu'il n'arrivait pas à obtenir gain de cause, que du contraire d'ailleurs, et c'est sans le moindre tact qu'il poignarda de ses mots l'orgueil du commandant :

« La confiance des Kohan... Ne soyez pas arrogant au point de la penser acquise, Dessay, car on ne peut pas dire que votre ordre ait particulièrement brillé ces derniers temps. L'empereur empoisonné, la princesse capturée et blessée par des vampires venus se promener jusque dans la salle du trésor sans être inquiétés et finalement cette vilaine blessure qui cloue notre cher empereur au lit depuis plusieurs semaines, ce ne sera pas une surprise que de vous apprendre que parmi les hautes sphères, certains commencent à soulever des questions sur votre efficacité et celle de vos hommes. A ce rythme, l'empereur pourra s'estimer heureux d'atteindre son vingt-cinquième anniversaire... »

Evidemment, il ne spécifierait pas que nombre de ces rumeurs et autres questionnements trouvaient leurs sources dans un mot ou l'autre qu'il avait lui-même glissée ici à l'oreille d'un riche marchand, là au cours d'une innocente conversation avec un comte influent de la capitale, et ainsi de suite. Car si les proches de l'empereur avaient tendance à préférer étouffer ce genre de mésaventures, Logan, lui, en faisait ses choux gras.
Une lueur cruelle scintilla l'espace d'un instant dans le bleu de ses yeux, avant qu'il n'asséna le coup de grâce :

« D'aucuns émettent même quelques doutes sur votre... loyauté, et les mauvaises langues commencent à prétendre que l'empereur serait plus en sécurité auprès des Lames Rouges. »

La loyauté. D'expérience, Logan savait précisément que c'était là une source sûre de faiblesse pour une lame noire : on pouvait bien les insulter de tous les noms qu'ils demeuraient de marbre, mais que l'on émette des doutes sur leur loyauté à l'empire, et ils s'effondraient tel un château de cartes. Quiconque s'y risquait s'exposait d'ailleurs à de sévères représailles, mais justement, Logan n'était pas n'importe qui et son mariage avec Morgane le mettait totalement à l'abri. Que le vieux commandant perde son sang froid et lève la main sur le Rat que c'en serait fini de lui, même si sous le manteau la famille impériale se réjouirait de le voir massacré par le poing rageur du guerrier, les lois était ainsi faites : attenter à l'intégrité physique d'un Kohan, fut-il issu d'un mariage matrilinéaire, était un crime qui vous valait à tout coup d'être pendu sur la place publique. Et si l'empereur pouvait changer les lois édictées par ses ancêtres, Grégorist n'en aurait pas le cran. Logan le savait, et il ne doutait pas que le commandant des Lames Noires le saurait aussi, alors il n'allait pas se priver de s'en amuser. Chacun son tour...

Après un silence pendant lequel il laissa ses mots peser lugubrement sur les épaules de Dessay, il fit claquer sa langue contre son palais puis reprit avec un sourire narquois :

« Montrez moi donc ceux que vous avez jugé dignes de moi, commandant, il serait fort regrettable que votre réputation se trouve de nouveau entachée par vos erreurs. »

Et le Rat prenait un malin plaisir à insister sur les mots tels que ''regrettable'' , ''de nouveau'' et ''erreurs'' mais après tout, peut-être cela passerait-il l'envie au vieil officier de lui déplaire de nouveau.

Le visage du noble lui déplaisait au plus haut point. Autant la majorité des Kohan partageaient les mêmes traits harmonieux et altiers sans s'avérer pour le moins écrasants, autant celui là affectait une petite dégaine supérieure qui lui seyait aussi mal que le nom illustre qu'il portait. Impassible, le vieil officier gardait ses remarques pour lui-même, sachant à quel point elles seraient mal reçue. Le problème étant que son interlocuteur ne semblait pas décidé à faire preuve du même tact. Touché... Une lueur glacée s'alluma dans les pâles prunelles tandis que ses jointures blanchissaient sur le pommeau de Fidélité. Savoir que l'autre essayait simplement de le mettre en colère en touchant des points sensibles ne l'aidaient pas vraiment et il lui fallu un effort surhumain pour rester maître de lui-même et ne surtout... Oh... Surtout pas répliquer.

Farouchement, violemment, il serra sa mâchoire jusqu'à l'en rendre presque douloureuse. Il savait pertinemment que son interlocuteur espérait avant tout le prendre en faute, et quoi de pire que d'agresser un Kohan que ce soit physiquement ou verbalement ? Son petit doigt lui disait que celui-ci se ferait un plaisir de faire une montagne de la moindre broutille et d'exiger mordicus de voir la tête du commandant rouler dans la poussière. Connaissant le sens du devoir de Gregorist et vu le regard rusé que l'homme posait sur lui Aaron n'était pas du tout certain que son ancienneté auprès du roi lui suffise à se sortir indemne d'une aventure pareille. Pas question donc d'offrir cette joie à ce petit... Hmm. Il s'oubliait. Respirer, voilà ! Là était la clé...

L'estocade le prit en traître au beau milieu d'une expiration soigneusement maîtrisée et il ne pu cette fois empêcher le rouge de lui monter au front. Un rictus mauvais dévoila ses dents aussi surement que l'aurait fait un vampire en rage et il répliqua insolemment :

"J'ai versé mon sang maintes et maintes fois pour l'empire, ma vie appartient à l'empereur et ma lame était déjà à son service avant que vous n'usurpiez ce nom. Sa Majesté n'a pas le moindre doute sur ma loyauté, et je ne crains en aucun cas sa justice."

Au contraire des hommes qui élevaient la voix lorsqu'ils se mettaient en colère, Aaron avait toujours plutôt fait le contraire. Grave, elle devenait de plus en plus basse à mesure qu'il parlait, de plus en plus froide jusqu'à devenir particulièrement glaciale et tranchante. Qu'on ne s'y trompe pas, ce calme de façade était en total désaccord avec la rage qui l'habitait à l'heure actuelle et son coeur porté par la fureur battait si violemment dans sa poitrine qu'il craignait un instant que le château tout entier ne l'entende. Conscient d'avoir été insultant, il se fit plus froid encore et mauvais pour interroger :

"En est-il de même pour vous messire ? Dois-je demander audience à sa Majesté afin qu'il nous donnes son avis sur la question ?"

La simple idée de tirer Gregorist de son repos pour une telle futilité augmentait encore sa rage, mais il ne croyait pas se tromper en pensant que ce prince de pacotille n'avait pas la moindre envie d'aller se frotter à son roi. Et même si c'était le cas lui-même ne s'en inquiétait pas vraiment, il recevrait sans doute un blame pour cette histoire d'usurpation mais cela n'irait pas plus loin. A condition qu'il ne brise pas le cou de ce freluquet avant d'arriver devant Gregorist... Il s'oubliait encore tiens... Allez un effort, lui qui passait sa vie à répéter à ses hommes qu'ils ne devaient jamais perdre leur sang froid se révélait un très mauvais exemple. Mais ce qui n'était que pensé ne portait pas un conséquences n'est-ce pas ? Il décocha au jeune noble un regard des plus transperçant avant de sortir un vieux classeur de sous une pile de feuillets. Froidement, il le tendit à son interlocuteur :

"Les quatre dernières fiches concernent quatre Lames Noires aux états de service irréprochables. Des hommes courageux et disciplinés au tempérament discret. Je pense qu'ils vous... Conviendront. Vous n'avez qu'à faire un choix."

Il avait sélectionné ces quatre là suite à ce qu'Hanz lui avait dit et ne pensait pas se tromper en songeant que le prince Logan choisirait de préférence un homme capable d'obéir sans poser de question et sans sourciller devant ses actes. A moins qu'il ne préfère les refuser en bloc pour le simple plaisir d'humilier le commandant de la guilde... Il n'avait rien à y gagner toutefois si ce n'était le risque de se retrouver avec un incapable notoire sur les talons pendant les dix prochaines années. Décidé à garder le peu de calme qu'il lui restait il inspira profondément tandis que le soit disant Kohan plissait les yeux pour décrypter son écriture serrée et attendit qu'il termine avant de reprendre prudemment, mais fermement :

"Pour en revenir à Hanz, lui et son détachement n'ont reçu l'ordre que de veiller sur votre épouse, ainsi que vos fils. Il ne vous sera en aucun cas une gêne, je l'ai chapitré sur ce sujet. Tant que la princesse Morgane ne craint rien, il sera quasiment invisible à vos yeux..."

Matois comme un chaton, féroce comme un loup, il avait mine de rien appuyé délibèrement sur le "tant que" et sur les mots qui suivaient. Ce faisant, ses prunelles claires n'avaient pas lâché le visage du prince, y cherchant subtilement une trâce de la preuve qu'Hanz n'avait pas su lui apporter. Ce ne serait pas suffisant bien sur, des doutes... Rien que des doutes... Mais quels doutes... A nouveau son visage afficha un rictus des plus méfiants, défiant même. L'autre pouvait penser ce qu'il voulait, il demeurait le serviteur des Kohan et donc quelque part son serviteur même si le nom sonnait faux sur lui. Mais qu'Aaron apprenne seulement qu'il avait osé lever la main sur la princesse, une Kohan de pure souche, et une tête roulerait aussitôt dans la poussière sous la lame experte du vieux guerrier. En attendant, il patienterait... Et c'est avec toute son expérience de vieux soldat qu'il reprit sa position militaire, calme, et attentif.

Ah, cette petite lueur assassine au fond des yeux, cette veine pulsante sous la peau de la tempe, le frémissement des narines sous la respiration lente, profonde, que l'on devinait sans mal habilement contrôlée. Autant de signes qui trahissaient une colère sourde que le rat dégustait avec volupté. Puisque le commandant des Lames Noires était trop têtu pour comprendre qu'il n'était pas dans son intérêt de déplaire à quelqu'un d'aussi important que celui qui était venu le trouver, au moins Logan retirerait-il quelque satisfaction de cette entrevue. Privilège du puissant sur le subordonné, le futur duc avait toutes les cartes en main pour mener comme bon lui semblait le petit jeu dans lequel il avait entraîné son interlocuteur : fut-il un haut gradé, Dessay n'en restait pas moins qu'un simple petit garde sans intérêt aucun pour le Rat. Trop fidèle et trop fanatique, un peu à l'image de Swëtsein en vérité.
Le sourire narquois de Logan s'effaça brutalement pour laisser place à une grimace de contrariété lorsque l'estocade porta le coup de grâce à une patience déjà bien malmenée. Tels les premiers gravats annonciateurs de l'avalanche, les mots du commandant et surtout le ton qu'il avait employé pour les prononcer laissaient entendre clairement que le point de rupture n'était plus loin. Le Rat pouvait bien bénéficier du prestige de son nom pour s'assurer qu'une agression sur sa personne serait punie de mort, un nom ne restait qu'une piètre protection face à une lame désireuse de s'abattre sur vous. La plus élémentaire prudence suggérait de ne pas insister et c'est en faisant mine de n'avoir pas entendu le qualificatif d'usurpateur dont le vieux guerrier venait de l'affubler qu'il répondit :

« Vous avez de la chance que j'aie mieux à faire de mon temps que de vous regarder vous faire humilier, Dessay. »

Pieux mensonge en vérité : si Logan avait été persuadé d'obtenir gain de cause devant l'empereur, il aurait lui-même traîné l'infortuné commandant jusqu'aux appartements royaux, pour le plaisir malsain de le voir écoper d'une punition exemplaire. Malheureusement, si Grégorist n'avait pas la trempe d'un dirigeant digne de ce nom, il ne portait pas le Rat dans son coeur en dépit des efforts de ce dernier pour lui plaire, et ce jeune imbécile aurait bien été capable de donner raison à son garde-du-corps plutôt qu'à un noble de haut rang. Pas étonnant que l'Empire se porte si mal dans ces conditions.
Sans se départir de cette arrogance dont il se drapait en présence d'inférieurs, il éluda définitivement la question en rappelant la Lame Noire à ses devoirs :

« Je croyais vous avoir demandé de me parler de vos hommes. J'attends. »

C'est qu'il ne faudrait tout de même pas oublier qui commandait dans cette pièce et quand bien même Dessay ne mit que quelques secondes pour présenter le classeur détaillant les hommes qu'il avait choisi, Logan consacra chacune d'elles à signifier son impatience : un soupir las, un tapotement insistant du bout des doigts sur le bois du large bureau du commandant, un coup d'oeil au plafond et finalement, un regard blasé lorsque ''enfin'' il put feuilleter les parchemins.
Son regard parcouru rapidement l'écriture manuscrite et quand bien même chacun des quatre candidats lui conviendrait aussi bien que les autres, il fit volontairement traîner les choses, plissant les yeux et semblant décortiquer attentivement chaque information, hésitant de l'une à l'autre.

« Pourriez faire un effort pour soigner votre écriture, un manchot avec une plume entre les fesses s'en sortirait mieux que vous... »

Maugréa-t-il sans même prendre la peine de relever la tête pour constater l'effet de cette nouvelle critique au demeurant parfaitement injustifiée s'il était nécessaire de le préciser. Finalement, quand il estima avoir suffisamment fait durer le suspense, il se frotta le nez et s'empara d'un feuillet au hasard, laissant ses doigts crasseux marquer le papier qu'il tendit au commandant.

« Celui-ci fera l'affaire, du moins je l'espère pour vous. »

Après tout, le pouvoir impliquait des responsabilités, non ? Si la Lame Noire qu'il venait de désigner devait se révéler inapte à le servir, le commandant venait de recevoir la garantie d'une nouvelle visite du Rat dans son antre, et ce dernier aimait à penser qu'après ce petit avant-goût, Dessay aurait l'intelligence de ne plus s'attirer les foudres du prince en devenir.
A moins qu'il n'ait tout simplement sous-estimé les capacités intellectuelles du vieillard qui venait innocemment remettre sur le tapis la question qui lui avait valu cette première visite de Logan, lequel eut une moue agacée avant qu'une lueur mêlant inquiétude et froides machinations ne traverse son regard.
Il fronça les sourcils et répondit d'une voix autoritaire :

« Qu'il se contente donc de veiller sur Morgane, il ne faudrait pas qu'il en vienne à manquer de vigilance parce que vous lui avez donné trop à faire. »

Impérial, il enchaîna :

« C'est le rôle du père de veiller sur la sécurité de sa descendance, les hommes de ma garde veilleront donc avec moi sur mes fils. Sauf bien entendu si vous avez des raisons de douter d'eux ? »

Piégé. Le commandant n'aurait aucun moyen de récupérer la main cette fois-ci, insister pour que Hakon et Valen soient placés sous la garde des hommes de Swëtsein plutôt que la sienne reviendrait à avouer qu'il n'avait pas confiance en ceux qu'il désignerait pour former celle du Rat. Une bonne chose de faite donc, la ''forteresse'' comme il aimait à se faire appeler se montrerait déjà bien assez énervant en se posant en défenseur de la fille du vieux Darius, Logan préférait s'assurer de garder un moyen de pression sur elle, et quel meilleur moyen de s'assurer de l'obéissance d'une mère que ses enfants ? Une fois de plus, les lois étaient en sa faveur, fût-il marié matrilinéairement, le père conservait le droit de disposer de ses enfants comme bon lui semblait : éducation, formation ou même fiançailles et mariages, il était seul maître au sein de son foyer et savait jouer de cette autorité sur son épouse. Et ce n'était pas une misérable Lame Noire un peu trop enthousiaste qui allait venir y mettre son grain de sel.

Désignant d'un doigt dédaigneux le papier qu'il avait remis au maître des Lames Noires, il ajouta :

« Quelques mots sur un parchemin ne suffisent pas à se faire une idée d'un homme, puisque celui-ci devra veiller sur mes fils autant que sur moi, j'aimerais bénéficier d'une petite démonstration de ses talents d'escrimeur. En fait, il me paraît même assez nécessaire d'assister à l'entraînement de vos hommes... »

Mince victoire, mais victoire quand même. Il avait vu juste quand au fait que ce cher prince n'avait certainement pas envie d'aller se frotter au sens de la justice du roi. Même la pique méprisante qu'on lui offrit ne parvint pas à éteindre la petite étincelle de satisfaction qui s'était allumée dans ses yeux. Le point était pour lui, n'en déplaise à messire. Quand à l'impatience sèche et arrogante dont l'autre faisait preuve à chaque instant, elle laissait Aaron de marbre. Sa longue expérience lui avait apprit que ce genre de comportement était typique des noblaillons en mal de reconnaissance et de légitimité. Les véritables Kohan n'avait jamais eu besoin de ce genre de choses pour inspirer le respect à tous et à toutes. Il n'était pas assez idiot pour le faire remarquer bien sur, et il ne se serait jamais permis le moindre relachement dans son attitude mais il n'en pensait pas moins. A courir à tout prix après le respect on ne récoltait que l'opprobre et le mépris. Ce garçon finirait sans doute par l'apprendre à ses dépends, mais ce n'était pas au commandant de le lui apprendre.

Parfaitement immobile, le vieux militaire attendit patiemment le verdict. Il avait retrouvé son sang froid et même la pique sur son écriture ne pu que le laisser de marbre. Maintenant qu'il avait cerné un peu plus son interlocuteur il se sentait mieux armé pour travailler calmement. Il ne pouvait pas se permettre de laisser de telles broutilles avoir un impact sur son devoir, après tout il était là pour servir les Kohan en toutes circonstances et tant pis si celles-ci devaient comporter de se faire insulter par un jeune freluquet malodorant. Aussi peu digne soit-il de son nom il le portait tout de même et l'honneur imposait de le protéger au même titre que les autres, il était donc d'une importance vitale qu'il accepte l'un des quatre noms sur la liste d'Aaron comme capitaine de sa garde, si ce n'était pas le cas celui-ci se faisait fort de lui faire miroiter sous le nez l'idée de se retrouver avec Hanz comme remplaçant. Voici qui devrait le décider ! Mais ce ne serait apparemment pas nécessaire. Stoïque et pas vraiment perturbé par la menace sous jacente, il approuva d'un signe de tête :

"C'est un choix judicieux mon prince. Il s'agit d'un bon élément."

Pas vraiment celui qu'il aurait choisit, mais ce n'était pas réellement étonnant que de s'apercevoir qu'eux d'eux n'avaient pas la même vision des choses. Enfin le principal était fait, Logan avait son capitaine et celui-ci se ferait fort de recruter lui-même ses hommes. Aaron préférait laisser une marge de manoeuver confortable à ses officiers, il était déjà assez difficile de mener un détachement sans se retrouver en plus avec des personnalités que l'on n'appréciait pas. Et même si ce n'était pas forcément celui qu'il aurait élu, il s'agissait après tout d'une lame noire donc d'un homme honnête et sérieux, Aaron y veillait farouchement. De plus de tous c'était certainement le plus discret et le plus accommodant. Sans doute aurait-il tout de même du mal à supporter le caractère de son protégé mais de toutes les Lames Noires il était sans doute l'un des mieux placés pour y parvenir. Ce qui n'empêchait toutefois pas Aaron de ressentir une certaine pitié à son encontre. Bon... Il s'arrangerait pour lui fournir un lieutenant très expérimenté pour le seconder, ainsi pourraient-ils se soulager l'un l'autre lorsque les gardes deviendront trop difficiles. Et plus il le brieferait soigneusement sur la situation et sur le caractère quelque peu spécial du prince. Ceci et le fait que sa solde soit quasiment doublé avec sa montée en grade suffirait sans doute à faire passer la pilule. Sinon... Et bien, la discipline ferait le reste.

La suite intensifia plus encore la lueur méfiante qui s'était allumée dans ses prunelles pâles. L'excuse du père aimant aurait pu tenir mais c'était sans compter sur les soupçons qu'Hanz avait réveillés en lui. Aaron n'était déjà pas du genre confiant mais voir l'insistance que le noble mettait à vouloir faire garder lui-même ses fils acheva de le convaincre qu'il n'avait décidément pas envie de prendre le moindre risque. Il ignora donc le mécontentement que cela allait sans doute engendré et riposta :

"Je suis navré messire mais sauf avis contraire du roi, la garde royale doit respecter son fonctionnement ancestral. La protection des enfants échoit toujours à la garde maternelle. Néanmoins vos hommes seront bien entendus à vos ordres et rien ne vous empêches d'affecter aussi l'un deux, ou plus, à vos fils. C'est d'ailleurs tout à votre honneur de vouloir le meilleur pour vos enfants et je peux faire passer des directives afin que les gardes de votre épouse s'entendent au mieux avec les votres au sujet de la protection de vos garçons."

Un rictus aussi malin qu'innocent s'afficha sur son visage à ces paroles, dit comme cela il allait être très difficile au père inquiet de prétendre que cet arrangement ne lui convenait pas. Aaron jugea bon de préciser :

"Quand aux hommes, ils ont été sélectionnés avec beaucoup de soin. On ne devient pas Lame Noire par hasard, ils ne vous feront pas défaut. Je m'en suis toujours porté garant, et c'est encore le cas aujourd'hui."

La demande suivante l'étonna quelque peu, mais après tout pourquoi pas ? Il n'avait aucune raison de refuser cela, et un détachement de vétérans s'entraînaient justement dans la cour. C'était sans doute mieux que ce soit eux plutôt qu'un groupe de jeunes qui n'auraient sans doute pas apprécié le caractère de ce Logan et qui se seraient moins bien tenus. Rapidement, Aaron rangea donc le classeur qu'il tenait encore et précéda son hôte à la porte :

"Si vous voulez bien me suivre, prince ?"

Logan s'était attendu à trouver forte partie en présence du vieux commandant de la garde impériale, mais il devait bien reconnaître avoir sous-estimé l'entêtement dont Dessay faisait preuve. Et encore une fois, le garde du corps se drapait sous l'autorité de l'empereur, lequel n'aurait probablement pas l'intention d'accéder à la requête du Rat. Quoique... Grégorist était blessé, alité et fatigué. En bref, il était diminué et vulnérable, en le travaillant un peu, Logan parviendrait peut-être à obtenir gain de cause. L'exaspération était une arme à double tranchant mais bien maniée, permettait souvent d'ouvrir bien des portes : il lui faudrait pousser la patience du souverain jusque dans ses ultimes retranchements, suffisamment pour le faire céder au caprice de son vassal mais sans brusquerie pour éviter un emportement qui lui vaudrait une sanction. Un petit jeu qu'il connaissait bien, et puis quelle satisfaction serait la sienne s'il revenait mettre sous le nez de cet orgueilleux pécore un ordre royal pour le contraindre à se plier aux directives du futur duc. De plus, s'il échouait à persuader l'empereur, il demeurerait toujours possible de trouver quelque âme suffisamment cupide que pour n'accorder à la vie d'un homme que la valeur d'une bourse d'or. Issue plus onéreuse certes, mais également définitive si couronnée de succès : puisque Swëtsein n'avait pas saisi le message la première fois, peut-être cela serait-il plus clair la seconde... Un problème, des solutions, c'était toujours ainsi que le Rat procédait et jusqu'à présent, celui lui réussissait plutôt bien.

Incapable de laisser le dernier mot à un individu issu des couches sociales inférieures, Logan eut une grimace dubitative avant de conclure sèchement l'épisode :

« Nous verrons cela. »

Trois mots pleins de promesses, pour mieux souligner au vieux guerrier que le Rat n'avait certainement pas l'intention d'en rester là. D'une manière ou d'une autre, il obtiendrait satisfaction. Il obtenait toujours satisfaction, et Dessay l'apprendrait à ses dépends. Ou plutôt, aux dépends de ce misérable Swëtsein. Un rictus étira les lèvres du Kohan à cette idée, et il lui fallut même s'efforcer de ne pas laisser échapper un ricanement nerveux. Pauvres fous qui se croyaient en mesure de s'opposer à sa volonté, Logan n'avait-il donc pas déjà prouvé par le passé qu'il avait l'étoffe d'un vainqueur ? Lui qui de fils de baron était devenu héritier d'un duché ? Et qui savait s'il s'arrêterait là, après tout, la vie était faite d'opportunités, il l'avait compris depuis sa plus tendre enfance et déployait des trésors d'ingéniosité pour les saisir. Quelques Lames Noires n'étaient pas de taille à lui résister.

Malgré la tournure de la conversation, ce fut un prince ragaillardi par ces pensées reluisantes et plutôt satisfait qui emboîta le pas du commandant pour s'en retourner vers la cour d'entraînement. Il se fichait éperdument d'assister aux exercices de la garde d'élite, toutes fines lames qu'ils soient, ces hommes et ces femmes n'étaient nés que pour servir et ne présentaient aucun intérêt à ses yeux. Sa démarche visait en effet essentiellement à distraire le gradé de ses obligations et à enfoncer un peu plus son amour-propre en lui rappelant qui portait le nom impérial, qui donnait les ordres, qui décidait. Les lames noires qui recevraient l'honneur de sa visite aujourd'hui s'interrompirent pour les saluer à leur arrivée sur le terrain d'exercices, et c'est non sans une satisfaction certaine que le Rat prit le vieux commandant de vitesse pour leur intimer l'ordre de reprendre l'entraînement. Il observa les passes d'arme d'un regard morne, certains des meilleurs bretteurs de l'empire se trouvaient là et le spectacle des lames s'entrechoquant avec force, vitesse et précision en auraient laissé plus d'un admiratif. Logan néanmoins eut grand soin de se composer un visage peu impressionné, feignant même un certain ennui et y allant régulièrement de son petit commentaire acide à l'attention du gradé qui l'accompagnait. Chaque remarque visait à vanter les qualités guerrières de son futur duché, celui dont la capitale avait gagné le surnom de la Robuste : tel exercice était plutôt pratiqué de telle manière à Elena, tel enchaînement était préféré à tel autre à Elena, les horaires d'entraînement étaient mieux pensés à Elena, et ainsi de suite.

Finalement, lorsqu'il estima que le calvaire qu'il espérait avoir fait vivre au commandant avait suffisamment duré et qu'il commença à s'ennuyer de sa présence, il prit congé, non sans gratifier le gradé d'une dernière remarque assassine. Rien de tel que d'humilier un officier devant ses propres hommes :

« J'en ai vu suffisamment, cela suffira. Vos méthodes étaient certainement très usitées par le passé mais souffrent aujourd'hui d'un archaïsme flagrant. »

Il jubilait intérieurement et ne le cachait qu'à grand peine, les hommes présents étaient sans l'ombre d'un doute des soldats expérimentés, des officiers solides et quand bien même ils vouaient certainement tous un grand respect à leur commandant, aucun ne pouvait ignorer le défilement des années. La retraite s'annonçait pour Dessay, et Logan prit un plaisir certain à le rappeler.

« C'est une chance pour vous et pour la sécurité de la famille royale que j'aie eu la bonté de vous accorder un peu de mon temps. Quand la situation de l'empire se sera apaisée et que je pourrais rentrer à Elena, je ne manquerais pas de vous faire envoyer quelques jeunes instructeurs, plus au fait des techniques modernes. »

Son regard fit un rapide aller-retour entre les lames noires et l'officier avant de conclure :

« En attendant, mieux vaut sans doute espérer que l'armée maintiendra les Alayiens hors de nos murs. »

Comme prévu et pour n'étonner personne, messire prince se révéla une vraie teigne pendant tout le passage en revue de la troupe en plein entrainement. Néanmoins Aaron ne s'était évidemment attendu à rien d'autre de sa part et ne s'en troubla donc pas outre mesure. Aux remarques acerbes il opposa une politesse parfaite et aussi lisse que le mur de totale désintérêt qu'il avait résolu de lui montrer désormais. Le vieux loup apprenait vite et était bien décidé à ne plus laisser la moindre prise à la langue de vipère de ce garçon là, qu'il caquète donc du soir au matin, ce n'est certainement pas cela qui l'empêcherait de dormir. C'est donc avec un calme et une maîtrise des plus honorables qu'il subit la glorification totale d'Elena, non sans un très léger amusement tout de même étant donné qu'il en était lui-même originaire et d'une, et qu'il avait en grande partie participé à l'amélioration des techniques de combat de ces vingts dernières années de deux. Il caressa un instant l'idée de faire part de cet état de fait au plus jeune puis renonça, il caquetait trop bien pour être interrompu décidément. Quand à ses hommes ils étaient trop disciplinés et concentrés sur leur entrainement pour prêter une véritable attention à ce qui se disait, et si c'était le cas ils étaient libres de penser ce que bon leur semblaient pourvu qu'ils restent efficaces. Aaron y veillerait.

Il était si profondément plongé dans ses pensées qu'il aurait été surprit par l'arrêt brusque du prince si il ne l'avait pas surveillé du coin de l'oeil et de cette partie spécifique de son cerveau que les longues années de garde attentive avait forgée à ce genre de veille presque inconsciente. Il s'immobilisa en même temps que l'autre et ne pu réprimer un haussement de sourcil des plus comiques en se heurtant à sa nouvelle attaque. Archaïques, ses méthodes ? Ben voyons... Croyait-il qu'il n'avait pas depuis longtemps pris l'habitude qu'on l'attaque sur son âge ? Si il ne pouvait prétendre que cela ne l'atteignait pas au moins un poil dans son amour propre on ne pouvait nier pour autant qu'il ne laissait pas destabiliser par ce genre de coups bas. Si c'était le cas il ne serait plus à ce poste, et il n'était pas né le petit jeune qui serait capable de prendre sa place et qui commencerait par l'envoyer rouler dans la poussière. Sauf erreur de sa part et de sa pauvre mémoire de petit vieux il lui semblait bien que ce genre d'aventure ne lui était pas encore arrivée et que c'était plutôt le jeune en question qui était allé soigner ses bleus et ses écorchures en même temps que son amour propre. Là encore il garda tout ceci pour lui mais il aurait été malséant de rester silencieux jusqu'au départ de l'autre, aussi répondit-il avec bonne humeur à la proposition :

"Ce serait un plaisir de les accueillir parmi nous."

Et de rosser leurs jeunes os... A moins que l'autre malin ne les lui envoit dans quarante-huit autres années il se faisait fort de garder le dessus sur ce genre de petit freluquet. Il connaissait les trois quarts des officiers d'Elena, il en avait même entrainés quelques-uns ou bien il avait entrainés leurs instructeurs. La plupart lui vouait un respect de plus appréciables et une bonne moitié serait trop maline pour accepter de relever le défi face à l'une des plus fines lames de l'empire. Quand à l'autre moitié ma foi... Un peu de jugeote pénétrant de force dans leur cervelle cela ne leur ferait sans doute aucun mal. Oui décidément il était de bonne humeur même si c'était paradoxal avec tout ce qui venait de se passer. Néanmoins il s'assombrit nettement lorsque le sujet des Alayiens vint sur la table, toute cette histoire lui déplaisait au plus haut point. Comme si Gregorist n'avait déjà pas assez de soucis sans qu'on lui rajoute un envahisseur sorti de nul part... Dédaignant la nouvelle agression dont il était victime, il se contenta de répondre avec gravité :

"Nos hommes sont valeureux, ils feront leur possible sous le commandement avisé de l'empereur et de son régent. Quand à nous autres Lames Noires, nous honorerons notre serment quitte à nous opposer seuls à toute cette engeance étrangère."

Un grondement approbateur lui répondit, preuve que ses hommes n'étaient peut-être pas si concentrés sur leur entrainement que cela. Peut-être ferait-il bien de se dérouiller un petit peu, cela lui permettrait de passer un peu de temps avec eux et de repousser encore un moment la tonne de paperasse qui menaçait de l'ensevelir à tout moment. Oui c'était sans doute une bonne idée, cela et prendre un repas aussi... Sentant que cet entretien si riche d'enseignement touchait peut-être à sa fin, il interrogea :

"Puis-je faire autre chose pour vous messire ?"

Remarquez bien que l'autre était tout à fait capable de lui inventer quelque chose rien que pour le laisser le ventre gargouillant encore un moment. Dommage qu'Aaron soit trop honnête pour pouvoir prétexter un rendez vous avec sa majesté, là au moins il était à peu près certain de ne pas être suivit. Mais fort de tout ce qu'il avait pu apprendre de ce Kohan par alliance il demeura stoïque, plus patient et attentif qu'un vieux matou qui sait parfaitement que cette méthode est la plus adéquate à son partenaire du moment...

Logan fut fortement tenté de répondre au commandant que pour pouvoir faire ''autre chose'' , il n'aurait sans doute pas été inutile de commencer par accéder à la demande que lui avait posée un noble de haut rang au lieu de s'entêter à lui déplaire, tel le vieil officier borné qu'il était. A moins que le gradé ne considéra comme un service le fait de lui avoir présenté les états de services des candidats au commandement de la garde personnelle du Rat ? Si tel était le cas, ce dernier se ferait un plaisir de lui rappeler qu'il n'était là qu'un acte des plus communs et qu'il ne s'agissait nullement d'une faveur aux yeux du futur duc. C'était un devoir, une obligation, un privilège même pour le commandant que de désigner ceux qui allaient servir le duché d'Elena. Si Dessay avait été suffisamment malin pour comprendre où se trouvait son intérêt, il aurait révisé son jugement sur l'affectation de Swëtsein plus tôt. Alors même s'il n'était pas difficile de comprendre que le commandant n'avait posé la question que pour des raisons purement protocolaires, non, il ne pouvait pas faire autre chose. Du moins, rien que Logan put réellement désirer, mais alors que les rouages de sa réflexion s'activaient à la recherche d'une quelconque corvée dont il pourrait affliger un officier de la stature de celui qui se tenait devant lui, il fut interrompu par les clameurs impromptues d'un serviteur essoufflé et vraisemblablement totalement paniqué.

« Commandant Dessay ! Commandant Dessay ! Je dois voir le commandant ! Je dois ... ! »

Aux abords du terrain d'entraînement, un jeune page d'une quinzaine d'années se débattait furieusement dans les bras de la lame noire chargée d'en garder l'entrée en réclamant l'autorisation de s'adresser au vieil officier pour un motif de la plus haute importance. Une lueur sournoise traversa les prunelles bleutées du Rat qui ordonna d'une voix sèche :

« Laissez le passer voyons, vous n'entendez pas ? C'est important. »

Et quelle que fut la nouvelle, il était très curieux de savoir de quoi il pouvait s'agir, ce d'autant plus si cela ne le regardait pas. Ils en auraient bien vite le coeur net, le garde eut une seconde d'hésitation mais après un regard par dessus l'épaule du prince, que ce dernier préféra ignorer, libéra l'adolescent qui se dégagea aussitôt pour se précipiter en haletant vers eux.

« Eh bien, parle ! »

Arrivé à leurs pieds, le gamin s'efforça laborieusement de reprendre son souffle. Il paraissait avoir couru à travers tout le palais pour porter son message et n'avait visiblement pas ménagé ses efforts pour le délivrer dans les plus brefs délai. Levant les yeux vers les visages interrogateurs qui le surplombaient, il se décida finalement à annoncer la nouvelle dont il avait reçu la charge :

« Monseigneur, le Roi... Le Roi est mort ! »

Il y eut une seconde de flottement tandis que le regard froid et calculateur de Logan s'embrasait devant la nouvelle. Ses muscles se raidirent puis il plissa les yeux pour darder un regard sévère sur le petit messager qui s'était adressé à Dessay. En temps normal, le Rat l'aurait déjà giflé pour lui enseigner le respect de l'ordre hiérarchique, mais l'annonce revêtait une importance telle qu'il en oublia totalement ce détail, préférant se concentrer sur l'essentiel :

« Si c'est une blague, tu vas en prendre pour ton grade... »

Evidemment, ce n'était pas forcément pour les bonnes raisons que Logan parlait ainsi, même si son discours demeurait irréprochable et pouvait être interprété de la sorte. Non, ce qu'il redoutait véritablement, c'était la possibilité que la joie qui venait d'éclairer cette journée barbante s'envolerait en éclats lorsque le gamin avouerait avoir tout inventé pour monter son canular. Néanmoins, le messager hors d'haleine continuait de répéter à mi-voix, entre deux profondes inspirations, que le Roi était mort et l'idée prenait de plus en plus de poids à mesure que le spectre de la plaisanterie de mauvais goût s'éloignait.
Prudent, le Rat conserva un mutisme strict et se contenta d'un regard vers le commandant pour guetter sa réaction, quand bien même une multitude de commentaires tous plus corrosifs les uns que les autres lui brûlaient les lèvres.

Bon alors, il partait oui ou non ? Aaron en avait assez de la présence malodorante de ce gars là, tout aussi demi Kohan qu'il soit. Mais au moins il était à peu près certain qu'ils n'allaient plus s'éterniser très longtemps, il devait avoir plein de trucs de princes à faire après tout, et leur conversation était terminée non ? Il entendait déjà son repas qui l'appelait, ainsi que la tonne de travail qu'il aurait à rattraper derrière... Malheureusement pour lui il devait être écrit quelque part qu'il ne mangerait pas aujourd'hui, et de toutes façons son appétit allait être bientôt coupé net. Les cris du serviteur bloqué par l'un des gardes attirèrent aussitôt l'attention des pâles prunelles mais ce fut le prince Logan qui parla. D'un signe de tête, Aaron confirma son ordre et le gamin pu enfin parler.

« Monseigneur, le Roi... Le Roi est mort ! »

Un silence pesant suivit l'annonce, mais Aaron n'aurait pu jurer que ses hommes étaient tous silencieux. En réalité ses oreilles s'étaient bouchée avant même la fin du mot "mort". La phrase qui tournait dans sa tête ne parvenait pas à prendre le moindre sens dans son cerveau et se contentait d'y tourner comme une infâme bouillie. Mort... Roi... Seigneur. Mort... Roi ? Aucun déclic ne se faisait dans son esprit et contrairement à son caractère habituel il se contentait de rester planté là, clignant stupidement des paupières et parfaitement incapable de prendre la plus petite décision. Paradoxalement ce fut le regard pensif du prince posé sur lui qui lui permit enfin de reprendre ses esprits et de remettre les sons dans le bon ordre. Le roi... Le roi... Mort ? La violence explosa enfin tandis qu'il bousculait le noble pour se précipiter sur le page et le saisir au collet :

"C'est impossible !"

Il mentait, c'était obligatoire. Le roi ne pouvait tout simplement pas mourir c'était... Dracos... C'était un gosse ! Aaron l'avait vu naître, grandir, il lui avait apprit tout ce qu'il savait avant d'avoir la joie de le voir devenir un formidable empereur. Les jeunes ne mourraient pas avant les plus âgés, ce n'était pas dans l'ordre des choses et toute son expérience de vieux loup ne pourrait suffire à lui en faire démordre. Gregorist était en vie, dans son lit, en bonne voie de guérison et le gosse qu'il tenait entre ses mains allait payer très cher sa mauvaise blague.

"Gardez moi le au frais !"

Sans comprendre ce qui lui arrivait le pauvre serviteur se retrouva balancé à nouveau entre les mains de la lame noire qui l'avait bloqué l'instant d'avant et même si il avait eu l'envie de protester il n'en aurait sans doute pas eu le temps car le commandant était déjà loin. Plantant là les lames et le prince qui allait de toutes façons sans doute lui emboiter le pas, il se précipitait vers les appartements royaux.


Les flots de larmes coulaient dans l'antichambre qui jouxtait la pièce où reposait le roi mais les joues d'Aaron étaient sèches. Il venait de sortir de la pièce, comme les autres, afin de laisser place nette au régent Korentin. De toutes façons il n'aurait pu y rester plus longtemps, la vision glacée de son souverain immobile à jamais lui transperçait le coeur plus surement qu'aurait pu le faire n'importe quelle arme. Effondrée, la Lame Noire en faction auprès du roi lors de ses derniers instants avaient dû rejoindre le corps de garde. Rien ni personne ne pourrait jamais convaincre cet homme qu'il n'était pour rien dans la fatale rechute de Gregorist Kohan. Et rien non plus ne pourrait retirer le regrets d'Aaron, c'est lui qui aurait dû recevoir la blessure qui avait fini par s'infecter. Il n'était pas responsable de l'infection, mais jamais son empereur n'aurait dû recevoir la moindre égratignure sous sa garde. Il avait échoué à accomplir la seule chose qui avait un sens à ses yeux.

"Commandant ? Les hommes auront besoin de vous entendre... Ils... Ils ne veulent pas y croire. Les rumeurs les plus folles vont courir dans le royaume..."

Hagard, le regard d'Aaron se posa sur le garde sans sembler vraiment le voir. L'âge semblait cette fois l'avoir bel et bien rattrapé mais l'argument de l'autre sembla le frapper. Ses hommes avaient besoin de lui... Sa place était au corps de garde. Et pas seulement d'ailleurs... S'éclaircissant douloureusement la voix il ordonna :

"Doublez la garde du régent... Je veux dire... Du roi. L'empereur... Il doit être protégé"

L'homme hocha la tête et alla rejoindre les gardes de Korentin qui se trouvaient déjà devant la porte de la chambre de feu Gregorist Kohan. En se retournant pour partir Aaron aperçu Logan apparemment fulminant, Korentin l'avait donc mis à la porte lui aussi ? Rien d'étonnant... La mâchoire d'Aaron se serra jusqu'à craquer lorsqu'il songea aux liens profonds qui unissaient ces deux là et à la souffrance que le survivant allait ressentir. Des trois cousins Gregorist et Korentin avaient sans doute été les plus proches, Fabius était plus réservé mais la nouvelle allait sans doute le pétrifier sur place lui aussi... Un éclair de souffrance pure passa dans le regard clair du commandant tandis qu'il expirait lentement pour conserver son calme et ne pas s'écrouler. Sa faute... Il en porterait la responsabilité toute sa vie mais son devoir à présent était d'aller rejoindre ses hommes et de s'assurer que tous les Kohan restent en sureté, en particulier le nouveau roi fragilisé par son deuil. Lui n'avait pas le droit de se laisser aller, pas maintenant.

Prenant sur lui, il redressa les épaules et s'apprêta à sortir lorsque le seul serviteur présent dans la chambre désormais mortuaire passa la tête par la porte entrebaillée :

"Ordre est donné à tous de quitter l'antichambre, Kohan exceptés. Le seigneur Korentin ne veut plus voir personne ici hormis les membres de sa famille. Et vous Dessay."

Coupé dans son élan, le commandant s'immobilisa, décontenancé. Il se doutait bien qu'après un événement pareil Korentin allait vouloir s'entretenir avec lui mais si vite ? Aaron n'était pas vraiment sur d'avoir sa place ici, surtout maintenant que tout le monde partait et qu'il s'apercevait qu'il était seul avec... Logan... Apparemment les autres Kohan n'étaient pas encore arrivés. Magnifique... Mais puisque la politesse n'admettait pas de retard il fut bien obligé de prendre la parole pour briser le lourd silence qui s'était installé dans la pièce :

"Messire... Acceptez toutes mes condoléances..."

Un peu guindé, d'autant plus d'ailleurs qu'il se sentait à peu près mille fois plus en deuil que cet être qui ne connaissait après tout Gregorist que depuis quelques années mais les conventions étaient respectées. Cet homme venait de perdre un membre de sa famille même si par alliance, la décense imposait de lui formuler ces mots et tant pis si ils étaient mal reçu. Ce qu'il lui avait dit un peu plus tôt dans la journée ne cessait de tourner dans sa tête et il s'attendait quelque peu à recevoir les reproches les plus amers de la part de celui qui l'estimait sans doute coupable, tant pis. Il était bien loin de toute ces basses considérations à présent, Gregorist était mort, cette seule constatation l'emplissait d'une détresse qu'aucun prince au monde ne pourrait plus accentuer. Un peu nauséeux, il rectifia sa position machinalement en attendant que le nouveau roi l'appelle près de lui ou que d'autres Kohan entrent dans la pièce. Il devait tenir bon, son devoir l'imposait.

Et de deux. Deux générations d'empereurs tombés sous la responsabilité du vieux commandant. Le tout saupoudré de cette douce ironie que de voir l'annonce leur parvenir justement maintenant, alors que cette tête de mule vantait il n'y avait pas cinq minutes encore les mérites de son ordre. Ah, il pouvait être fier de lui, rarement garde personnel de l'empereur n'avait obtenu un si bon score : le père d'abord, le fils aujourd'hui, il ne faisait visiblement pas bon être numéro un avec un Dessay dans son entourage et Logan se félicitait de ne pas être le prochain. Enfin presque, s'il avait été dans la course pour le trône, ç'aurait plutôt été le commandant qui aurait eu du soucis à se faire, mais puisqu'il en abordait la question de la succession, qui serait le prochain, justement ? Selon les lois de primogéniture, Korentin devenait l'héritier légitime, Grégorist n'ayant reconnu aucune succession et la princesse... La princesse avait été offerte aux elfes n'engendrerait donc jamais aucune descendance, l'on pouvait en cela remercier feu l'empereur. Quant à Korentin... Cette lavette n'avait pas les épaules pour gouverner, après la période de deuil, nul doute que les cartes devrait être redistribuées, et rapidement car la guerre avait cette fâcheuse tendance à ne pas vouloir attendre. Après dix-sept ans d'attente, il semblait bien que le moment tant attendu pour jouer de l'atout se présentait enfin, et fidèle à ses habitudes, le Rat aurait à coeur de dissimuler quelques as dans sa manche avant de prendre place autour de la table.

Le regard semi-amusé de Logan suivit la course du vieux Dessay avant qu'il ne daigne s'engager dans son sillage d'un pas tranquille, non sans prendre soin d'accorder ses faveurs au petit bout d'homme qui avait illuminé sa journée :

« Laissez le gamin filer, il n'a fait que ce qu'on lui demandait. »

« Mais, le commandant... »

« Je me fiche du commandant, soldat, oublieriez vous le nom de celui à qui vous parlez ? »

« Non, monsieur. »

Forcée de se soumettre devant le nom d'un Kohan, la Lame Noire obtempéra, visiblement à regret, et le serviteur décampa sans demander son reste. Il n'était pas bien difficile de comprendre que le garde redoutait déjà sa prochaine rencontre avec son chef, mais Logan s'en moquait bien et s'éloigna sans un salut.

En arrivant en vue des appartements du roi, le Rat comprit rapidement que le gamin n'avait pas menti, Grégorist était mort et bien mort, il suffisait de voir l'affluence de visages éplorés, plus ou moins sincères selon les cas, des courtisans du jeune défunt. Tous patientaient dans l'antichambre princière, certains demeuraient assis, le regard éteint ou embué de larmes, dans les confortables fauteuils qui meublaient l'appartement, d'autres faisaient les cents pas d'un bout à l'autre de la pièce et les derniers s'échangeaient quelques murmures par petits groupes. D'un pas assuré, le Rat se présenta devant la porte de la chambre où reposait la dépouille, pour confirmer de ses yeux ce qu'il savait déjà, mais en dépit de son appartenance à la famille royale, le garde lui refusa l'accès. Ordre de sa majesté Korentin : le nouvel empereur avait tenu à rester seul pour se recueillir et l'insistance de l'aspirant au titre de duc d'Elena ne suffit pas à faire basculer la volonté du garde. Ah, il commençait bien son règne, le nouveau souverain : son prédécesseur n'était pas encore froid que déjà il se drapait de l'autorité impériale. Maugréant entre ses lèvres, le Rat abandonna finalement et se contenta de réquisitionner le siège le plus confortable pour attendre la bonne volonté de ''son altesse''.

Imité en cela par toute l'assemblée, Logan se crispa lorsque la porte s'entrouvrait sur le visage du serviteur venu annoncer les nouvelles consignes du roi. Mais au contraire de tous, un sourire narquois étira ses lèvres et son visage se tourna tout naturellement vers la vieille Lame Noire tandis que l'ordre venait d'être donné à tous de se retirer, à l'exception de la famille royale. Le rictus s'estompa bien vite cependant devant l'exception qui était accordée à Dessay. Non mais... Depuis quand un simple porte-lame issu des basses castes, fut-il commandant, bénéficiait-il de privilèges qui auraient dû demeurer réservés aux seuls Kohan ? Boudeur, Logan resta assis, un pied posé négligemment sur le genou, sans accorder un regard au guerrier éploré.

Lorsque Dessay vint lui présenter ses condoléances, Logan prit le temps de gratter du bout du doigt une trace qui marquait le talon de sa botte avant de daigner lever les yeux vers le commandant, se composant avec soin un visage grave et sévère, parfaitement approprié à la situation. Sous le masque en revanche, il aurait volontiers arboré un sourire radieux devant l'affligeant spectacle de ce qu'était devenu l'orgueilleux vieillard qui lui tenait tête moins d'une heure auparavant. C'est qu'il faisait moins le fier maintenant que son précieux empereur avait rejoins le monde des Esprits, et s'il espérait un peu de compassion, voire de considération, de la part du Rat, il se mettait l'épée dans l'oeil.

« Vous ne manquez pas de culot de venir ainsi vous adresser à moi, Dessay. »

Frapper un homme à terre, cela n'avait certes rien de glorieux, mais cela n'en restait pas moins un excellent moyen de se défouler aussi Logan ne se fit pas prier : puisque le commandant voulait tendre le bâton pour se faire battre, il ne regretterait pas le voyage.

« Voulez vous me rappeler, je vous prie, qui a prêté serment de défendre la vie de celui qui repose de son dernier sommeil juste derrière ces portes ? Qui me vantait encore récemment, à moi proche parent de l'empereur, les mérites et la valeur des soldats de son ordre ? Qui se drapait pompeusement devant moi de bénéficier de la confiance des Kohan ? Voilà ! Voilà ce que nous a coûté la confiance que nous avions placée en vous, Dessay ! L'empereur est mort, fauché dans la fleur de l'âge, alors même que l'Empire est plongé dans la guerre et avait plus que jamais besoin d'un pouvoir fort. Vous pouvez être fier de vous ! »

Son regard s'assombrit tandis qu'il reprenait avec la délicatesse d'un couperet s'abaissant sur la nuque du condamné :

« S'il vous reste un tant soit peu de respect pour ceux que vous avez endeuillé de votre incompétence, vous allez quitter cette pièce pour retourner à votre bureau et rédiger la démission que vous remettrez prochainement à votre nouveau souverain. Vous avez fait votre temps, Dessay, il est temps de passer le flambeau... »

HJ : ouala, désolé pour le retard (j'ai fais passer l'intrigue avant du coup hier ^^"). Je me suis amusé à faire entrer un nouveau PNJ, sa présence à Gloria est un peu tirée par les cheveux mais ça peut passer et je trouvais la rencontre intéressante. A voir si ça te convient c'est un PNJ donc tu peux la faire parler et bouger sans soucis. Quand à Korentin si besoin pour la suite je l'intégrerai dans mes posts.



Gagné, il s'était attendu à une réponse méprisante, voir agressive et sans doute aurait-il dû parier dessus mais c'était trop tard, dommage. Ses traits se durcirent à mesure que les mots acérés de l'autre le heurtait. Il n'était absolument pas surprit, s'étant lui-même fait à peu près les mêmes reproches et même après réflexion il ne voyait pas très bien comment répondre à ça. Ce n'était pas nécessaire d'ailleurs, il savait ce qu'il avait à faire et prenait lui-même ses propres responsabilités. Nul besoin de la rage acide d'un prince pour ça, d'autant plus qu'avec ce qu'il avait apprit sur lui l'instant d'avant il avait bien du mal à croire que l'accablement de son interlocuteur était tout à fait crédible. Peut-être se faisait-il des idées, c'était difficile à dire mais il était trop méfiant pour l'éviter. D'un autre côté l'autre ne gagnait pas grand chose à la mort du roi, Korentin prendrait sa place et la rumeur disait qu'il n'aimait pas beaucoup plus son beau cousin que Gregorist l'avait fait.

Il se reconcentra sur son interlocuteur au moment où celui-ci reprenait sa campagne d'écrasement, l'incitant à quitter la pièce pour rédiger sa démission. Allons bon, n'avait-il donc pas entendu les ordres du nouveau roi ? Voulait-il déjà dès les premières heures commencer à s'opposer à son autorité ? Voilà qui commençait mal... A moins qu'il n'ai une bonne raison de ne pas vouloir qu'Aaron soit dans la pièce au moment où il échangerait avec Korentin ? Voulait-il profiter de son deuil pour une raison ou pour une autre ? Une flamme de plus en plus méfiante dansa dans ses yeux pâles, on ne se refaisait pas et tout accablé qu'il était il ne pouvait museler son instinct protecteur. Pas question qu'il laisse Logan s'adresser seul à Korentin, et pas question non plus qu'il désobéisse à un ordre direct. Quand à sa démission.. Oh elle viendrait bien entendu, et avec elle la fin de tout car il ne comptait pas continuer à vivre sans la raison qui l'incitait à se lever chaque jour. Mais pas avant que son devoir soit entièrement soldé, il devait en effet passer le flambeau et s'assurer que son successeur aurait toutes les clés en main pour veiller sur le nouvel empereur. Cela prendrait au bas mot quelques mois, il en profiterait sans doute pour voir Rachèle au moins une fois et implorer son pardon. Ensuite.. Il se reposerait.

"Je suis navré prince mais c'est au nouvel empereur que je rend avant tout des comptes. Son désir est que je reste dans cette pièce, rien ni personne ne m'en fera donc sortir."

Et autant dire qu'il ne parlait pas à la légère. Le dernier qui avait tenté d'éteindre la lueur têtue qui s'était allumée dans ses prunelles l'avait regretté plus qu'amèrement. Aaron n'était jamais aussi inébranlable et assuré que lorsqu'il avait reçu un ordre clair. Il s'y accrochait alors avec la dernière énergie et n'en démordait pas une seule seconde, l'univers aurait-il dû s'écrouler qu'il n'aurait pas quitté cet endroit. Il baissa un peu la voix pour continuer :

"Quand aux reproches dont je fais l'objet... J'en ai pris acte. Je remettrai mon épée au roi si c'est ce qui lui agrée."

Connaissant parfaitement bien Korentin pour l'avoir assez poursuivit à travers tout le château il ne croyait pas se tromper en pensant que cela ne lui agréerait pas justement. De quoi lui donner assez de temps pour organiser son départ et faire en sorte qu'il soit bien protégé. Lorsque ce serait fait il représenterait sa démission avec plus d'insistance, la suite serait entre les mains des esprits. Ou plutôt non, de Korentin. Ce qui revenait à peu près à la même chose dans l'esprit discipliné d'Aaron. Attentif, son regard se reporta sur la porte toujours close. Combien de temps allaient-ils demeurer là en silence ? Des heures sans doute... Ce n'était pas pour le déranger vu le nombre de gardes interminables qu'il avait passé dans sa vie mais il ne doutait pas que le petit prince à ses côtés serait très vite impatienté même si il ne le montrerait peut-être pas. Voilà qui n'allait pas arranger son humeur... Fort heureusement une distraction vint briser le climat insoutenable et Aaron en remercia une seconde le Dracos avant d'identifier la suite de la personnalité qui venait d'entrer et de blêmir en mettant un genou à terre. Un garde en service n'avait pas cette obligation mais sauf danger immédiat il n'avait jamais consentit à offrir moins que cette marque de respect à celle qu'il avait toujours désigné dans le secret de son esprit comme Sa Dame. Entrée dans l'antichambre de son pas léger et aérien, elle n'en pesait pas moins de toute sa présence envoûtante sur les gens présents et il baissa la tête avec humilité lorsqu'elle lui fit la grâce de poser le regard sur lui après avoir un instant effleuré les prunelles du prince Logan. Ce n'était pas à lui de parler en présence de deux représentants de la famille royale mais les mots franchirent ses lèvres avant qu'il ne puisse les retenir :

"Dame Rachèle... Je... Je vous demande pardon..."

Il avait mentit l'instant d'avant en prétendant ne rendre de compte qu'à l'empereur, sa véritable allégeance se trouvait devant lui et il se fichait pas mal de ce que Logan allait bien pouvoir en dire ou en penser. A aucun moment Gregorist n'avait ignoré le lien particulier qui existait entre le commandant de sa garde et sa mère, Korentin et Fabius ne l'ignoraient pas non plus. Si Aaron avait quitté la garde de Rachèle pour se consacrer à son fils c'était uniquement sur la demande insistante de la concernée et non sans un immense regret. Il avait aimé Gregorist, il aimait beaucoup Esmelda ainsi que Korentin et même Fabius quelque part qu'il avait aussi vu grandir mais Rachèle restait le centre même de son existence. Pour la première fois, une larme coula sur sa joue lorsqu'il songea à la douleur atroce qu'elle devait ressentir à la perte de son fils. Aurait-il été assuré de lui faire du bien qu'il se serait transpercé le coeur ici, sur l'heure, devant-elle. Il la connaissait néanmoins trop bien pour faire une chose pareille et elle ne l'aurait pas laissé faire.

"Relevez vous Aaron, et taisez vous. Le chagrin vous a toujours rendu sot. Quand à vous Logan, je ne m'attendais pas à vous voir quasiment seul ici. Où est Fabius ?"

Elle s'était avancée en parlant dans un léger bruissement de ses simples atours. Lorsque Aaron s'étonnait de la voir abandonner les tenues fastueuses qu'elle avait pu porter lorsqu'elle régnait auprès de son mari elle lui avait répondu avec un sourire qu'elle se devait désormais de se faire discrète et de laisser la place à la prochaine impératrice ainsi qu'à sa fille Esmelda. D'ailleurs elle était bien trop vieille pour porter des tenues de jeunes femmes. Aaron n'était bien évidemment pas de son avis, et personne d'autre d'ailleurs car malgré les quelques marques que le temps avait imposé à son visage elle restait d'une beauté pure et délicate. Celle là même qu'elle avait transmise à sa fille au point que ces deux là se ressemblent de façon frappante. Mais d'accord ou pas d'accord il n'était pas homme à s'opposer aux désirs de sa dame et la simplicité lui allait de toutes façons à merveille. Lentement, il se releva et porta un regard furtif vers le doux visage qu'il n'avait plus revu depuis quelques mois. Il n'ignorait bien sur pas que Rachèle était de retour à Gloria depuis quelques temps et qu'elle s'y était faite pièger par le siège mais il n'avait encore pas pu prendre le temps d'aller la voir à son grand dépit. Avec une certaine curiosité, il observa l'échange entre les deux nobles en se demandant ce qu'ils pouvaient bien penser l'un de l'autre. Rachèle était une femme extrêmement intelligente formée aux intrigues de la cours depuis son plus jeune âge. De plus son statut de reine mère la mettait bien au dessus du prince dans la hierarchie du royaume. Voilà qui était plutôt intéressant...

"Alors Logan ? Ignorez vous où se trouve mon neveu ? Vous êtes pourtant souvent ensembles..."

Le maintien de la Dame restait assuré malgré la pâleur maladive de son visage et la lueur de pure souffrance qui brillait de temps à autre dans ses prunelles. Un mélange d'admiration et de profonde tristesse s'empara d'Aaron en la voyant s'efforcer, non sans réussite, de rester forte comme Rodrick l'aurait fait face à une si funeste nouvelle. Elle perdait son seul fils, sa propre chair et malgré tout elle continuait de penser au bien du royaume... Quelle merveille que cette femme.

"Aaron ?"

Plongé dans ses pensées, il réprima un sursaut lorsqu'elle s'adressa à nouveau à lui et se raidit, dans l'attente de ses ordres.

"Allez m'annoncer à Korentin. Je veux voir mon fils."

Cet ordre là passait au dessus de tout le reste et c'est sans hésitation qu'il se dirigea vers la porte afin d'y frapper avec retenue. Le dragonnier ne serait pas content d'être dérangé, mais Aaron savait qu'il n'en tiendrait pas rigueur à Rachèle. Toute hierarchie mise à part, quoi de plus légitime que le désir d'une mère ?

Le roi, le roi, le roi. Encore et toujours le roi. Le vieux en était véritablement complètement frappé. Logan connaissait la réputation de fanatiques des lames noires, mais celui qui les dirigeait en était véritablement la cerise sur le gâteau. L'empereur lui eut-il ordonné de copuler avec une chèvre que le pauvre animal y passerait, et encore l'officier aurait-il redoublé d'ardeur à chaque bêlement plaintif s'il avait pensé pouvoir ainsi plaire à son souverain. Néanmoins, aussi ridicule soit-il, cet attachement à la couronne pouvait s'avérer une qualité précieuse pour celui qui se trouvait dessous justement, et Logan comprenait mieux pourquoi en dépit de son âge avancé, Dessay bénéficiait encore de la bénédiction du roi. Car Korentin n'exigerait pas la démission du vieux, de cela, ils pouvaient en être certains. Dommage, mais prévisible. D'ailleurs, en dépit de l'affront et de l'agacement que le barbu lui évoquait, le Rat lui-même n'était pas tout à fait persuadé qu'il se débarrasserait d'un tel personnage s'il devait un jour poser les fesses sur le trône impérial : l'obéissance aveugle était rare, il ne fallait pas gâcher.
Cette idée parvint même à arracher un rictus passablement amusé au Rat, qui s'interrogea l'espace d'un instant sur la nature véritable de la dévotion du commandant : était-ce l'homme ou la fonction qu'il vénérait tant ? A en juger par la vitesse à laquelle il avait fait sien le nouvel empereur, Logan pouvait raisonnablement miser sur la fonction, quoique Korentin demeurait apprécié à la cour et Dessay ne devait certainement pas déplorer que la souveraineté de l'empire soit incombé au duc d'Aldaria plutôt qu'à un autre.

Recentrant son esprit sur des pensées plus immédiates, Logan jeta un regard noir au commandant avant d'asséner :

« Ne confondez pas désir et tolérance, l'empereur tolère votre présence, il ne la requiert pas. »

Non mais que croyait-il ? Le calme retomba finalement dans la pièce, Dessay semblait avoir compris qu'il n'aurait pas le dernier mot et préféra se tenir coi, sans pour autant daigner se retirer comme le Rat le lui avait suggéré. Vieille bourrique têtue. Pourtant, au fond de lui, Logan aurait donné beaucoup pour avoir parmi ses laquais pareil adorateur. C'était toute l'ironie de la situation : au service d'un autre, le commandant était une gêne, mais l'on ne pouvait totalement se départir d'une certaine forme de jalousie face à une telle adulation.

On entendit soudain une porte s'ouvrir, mais ce fut en direction de la sortie et non vers la chambre mortuaire que se tournèrent les regards. Rachèle ! Aucun doute possible, c'était bien la mère de feu l'empereur en personne qui venait de se joindre aux occupants de l'antichambre. La douleur de la perte transpirait par chacun de ses pores tandis qu'elle s'avançait à pas lents vers eux, mais elle restait pourtant drapée de la dignité d'une femme qui fut impératrice, et le demeurerait encore à titre honorifique jusqu'à sa mort. Subitement radouci par cette nouvelle présence, le Rat se leva pour s'agenouiller aussitôt et saluer respectueusement, à l'instar de Dessay, avant de lui répondre le regard bas :

« Je n'ai malheureusement aucune réponse à vous apporter, Majesté. J'étais en compagnie du commandant lorsque la terrible nouvelle nous a été communiquée, et nous sommes immédiatement accourus. »

Evidemment, toute trace de rictus s'était envolée de son visage à l'instant précis où la reine mère était entrée, de même que sa voix avait perdu ce ton cassant et dédaigneux qu'il avait employé jusqu'à présent en s'adressant à Dessay. Désormais, son visage s'était composé un air grave, peiné, voire même douloureux tandis que sa voix s'était chargée d'une compassion admirablement feinte. En bonne carpette qu'il était, Logan redoublait de courbettes et autres petits gestes de soumission devant une personne de si haut rang, toute trace d'arrogance avait disparu et son attitude ne dénotait désormais que le plus profond désarroi devant le deuil de l'impératrice.

« C'est un terrible malheur que celui qui frappe notre famille aujourd'hui, Altesse, aussi permettez moi d'être le premier à vous présenter mes plus sincères condoléances. S'il est quoi que ce soit que je puisse faire pour adoucir quelque peu votre peine... »

Il laissa la fin de sa phrase en suspend, la suite tombait sous le sens. Sincère, il ne l'était évidemment pas et chaque geste, chaque mot n'était tourné que vers l'unique objectif de plaire et d'être bien vu. De part son statut, Rachèle avait de nombreux et puissants appuis parmi la noblesse et toute femme qu'elle était, elle faisait partie de ces personnes qu'il était précieux de pouvoir compter parmi son cercle de proches. Logan ne l'ignorait pas, tout comme il n'ignorait pas non plus qu'elle conserverait toujours une certaine méfiance à son égard. Prétentieuse vieille bique, elle n'était pas plus que lui une Kohan de sang mais se permettait de le croire sous prétexte que le fruit de sa chair l'était. Pathétique. Pathétique, mais précieux, alors il s'en accommoderait en silence.

Conservant une distance respectueuse avec la nouvelle venue, le Rat suivit de son regard glacé la silhouette du vieux guerrier tandis que celui-ci s'en allait docilement accomplir le souhait de sa reine.

HJ : bon je joue deux perso en un au final mais c'est pas comme si c'était la première fois si soucis n'hésite pas et pas d'inquiétude pour le temps que tu prendras à répondre, profite de tes vacances

Conscient de la royale présence dans son dos, il n'hésita pas une seule seconde à frapper trois petits coups discrets à la porte que les gardes venaient de lui dévoiler en s'écartant devant lui. Un long silence lui répondit sans qu'il perde patience, Korentin avait demandé à ce qu'on ne le dérange pas et il n'était pas vraiment étonné de voir qu'il ne souhaitait pas leur faire ouvrir tout de suite. Derrière lui il entendait Rachèle qui acceptait gracieusement les condoléances du prince Logan. Se trompait-il où ressentait-il une certaine sécheresse dans le ton de la Dame ? Intelligente comme elle l'était elle ne pouvait avoir manqué de cerner cet homme là, et Aaron s'en félicitait par ailleurs. Même si la porte qui s'ouvrait devant lui pour lui laisser apparaître la mine outrée du serviteur ne lui laissait pas le temps de réfléchir plus à la question. Déjà l'homme ouvrait la bouche pour le réprimander mais les prunelles pâles d'Aaron étaient déjà posée sur la haute silhouette qui s'était approchée dans le dos du valet. Pâle et sévère pour l'une des rares fois de sa vie, Korentin le toisait sans douceur :

"Commandant ? Je n'ai pas été assez clair ?"

Conscient de l'indélicatesse qu'il y avait à se tenir sur ce seuil où il n'était pas le bienvenue, Aaron recula d'un pas respectueux sans chercher à jeter un regard dans la chambre et ce faisant il pivota pour laisser voir les occupants de la pièce à son souverain.

"Pardonnez moi Majesté, mais..."

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Rachèle le coupait :

"C'est moi qui ai demandé à voir mon fils. Majesté. Pardonnez la douleur d'une mère qui ne peut attendre plus longtemps de voir de par ses yeux le malheur dont on l'a informée"

Silencieux, Aaron jeta un regard discret au visage du nouveau souverain qui ne semblait pas se faire à ces nouveaux titres. Korentin semblait perdu, complétement écrasé par le chagrin mais il répondit avec une dignité qui amena une lueur approbatrice dans les pâles prunelles :

"Dame Rachèle... Vous êtes toute pardonnée bien entendu, on aurait dû m'annoncer votre présence. Entrez le voir, nous vous rejoindrons dans quelques minutes..."

Et de lui accorder ainsi adroitement le temps dont elle avait besoin pour pleurer son fils. Le coeur serré, Aaron inclina respectueusement la tête lorsqu'elle passa devant lui. Se serait-il écouté qu'il l'aurait suivi afin de lui accorder le soutien de son bras mais il savait qu'elle ne l'aurait pas toléré, ni Korentin d'ailleurs et encore moins Logan. Ce n'était pas sa place comme il se le rappela très vite et à l'instant où il faisait un pas pour se placer dans l'ombre du nouveau roi celui-ci se tourna vers lui non sans avoir d'abord salué son cousin par alliance :

"Logan... Je pensais voir Fabius ici avant vous. Qui vous a informé ?"

Sous entendu qu'il n'était pas sensé l'avoir été si tôt... Aaron ne pu s'empêcher de se mordre les lèvres silencieusement en songeant que Gregorist n'aurait pas fait preuve d'une telle maladresse mais Korentin était ainsi, du genre à mettre les pieds dans le plat.. Il faudrait qu'il apprenne à faire avec le caractère de ce nouvel empereur qui l'incitait d'un geste à quitter son ombre pour entrer dans la conversation. Ce n'était pas une place qui lui plaisait mais il n'était pas question de discuter et de toutes évidences Korentin voulait lui parler ou il ne lui aurait pas ordonné de rester dans cette pièce. Néanmoins le dragonnier restait silencieux, les yeux posé sur un Logan qui décidément n'aurait pas dû se trouver là, Aaron en était de plus en plus conscient et réprima un toussotement des plus gênés devant cette scène perturbante. Korentin voulait lui parler... Seul... Mais il pouvait difficilement mettre Logan dehors alors qu'il avait exigé d'instant d'avant la présence des Kohan. Il était clair comme de l'eau de roche que lorsqu'il avait choisit ce terme il n'avait pas une seule seconde pensé aux Kohan d'alliance et encore moins à son beau-cousin ! Il pensait à son propre et véritable sang, pas aux rajouts éventuels. Lentement, le commandant laissa son regard faire la navette entre le visage fermé de Korentin et celui certainement proche de la vexation de Logan puis il risqua :

"Mon... Majesté ? Voulez vous que je repasse plus tard ?"

Pas hyper adroit non plus mais il ne voyait pas comment débloquer la situation autrement qu'ainsi. Il offrait une porte de sortie aussi bien à son empereur qu'à Logan qui avait techniquement plus le droit d'être là que lui. Son expérience à la cour lui soufflait que cette situation tendue ne pouvait qu'avoir des conséquences fâcheuses pour les trois protagonistes, Korentin ne gagnait rien à vexer Logan sous les yeux d'un subalterne qui risquerait fort de faire ensuite les frais de la mauvaise humeur du prince humilié. Mais le roi ne l'entendait apparemment pas de cette oreille :

"Non Dessay, ce que j'ai à vous dire est urgent. J'ai fais mettre à l'isolement la lame noire qui était de garde aujourd'hui."

Alors là pour le coup il ne comprenait plus et c'est bien bêtement qu'il demeura la bouche ouverte, complétement largué et entrainant par là même l'impatience de son interlocuteur qui gronda :

"Ne faites donc pas cette tête, c'est un acte préventif. Je n'y crois pas une seule seconde mais certains conseillers me poussent à effectuer tout de même une enquête afin de bien valider les causes de la mort du roi. Votre Lame Noire sera interrogée, et je ne veux pas que cela fasse d'esclandre parmi vos troupes. Est-ce bien clair Dessay ?"

Une simple routine donc... Une sage précaution même, mais qui avait tout de même du mal à passer comme le prouva le temps qu'Aaron mit à déglutir et à répondre enfin quelque peu à contrecoeur :

"J'y veillerai Majesté."

Korentin approuva d'un signe de tête, certainement conscient de l'effort qu'il fallait à Aaron pour seulement imaginer une seule et minuscule seconde qu'un de ses gars puisse y être pour quelque chose dans la mort de Gregorist. Un autre qui allait peut-être avoir un avis différent c'était bien Logan, et le vieux garde ne se priva pas de jeter un oeil acéré vers celui-ci afin de lui faire bien comprendre qu'il n'apprécierait que très moyennement la moindre remarque sur ce sujet. Il n'ouvrit pas la bouche néanmoins, est-ce qu'on coupait la parole de son empereur ?

"Il ne sera pas le seul à être interrogé bien sur... Nous ne pourrons pas éviter les rumeurs, autant s'y faire tout de suite mais je compte sur votre plus grande discrétion à tous deux au sujet de cette enquête. Vous me ferez le rapport complet et détaillé de toute cette journée et de celle qui ont précédées le décès de mon cousin commandant. Et vous messire Logan, quand avez vous vu le roi pour la dernière fois ? Quelque chose vous a-t-il semblé suspect ?"

Conservant un mutisme discret, Logan resta sagement à l'écart des échanges entre l'héritier de la couronne et la mère endeuillée. Ppourtant, entendre qualifier Korentin du titre de Majesté avait vraiment quelque chose de dérangeant aux oreilles du Rat, comment pouvait-on jamais imaginer qu'un tel homme aurait la force de caractère pour diriger un Empire ? Il suffisait pourtant de poser les yeux sur lui pour se rendre compte qu'il n'avait tout simplement pas les épaules pour assumer de telles fonctions. En vérité, Logan ne lui aurait pas même confié un duché et de toute évidence, Aldaria ne devait sa prospérité qu'à son positionnement géographique qui l'avait jusqu'à présent tenue à l'écart de la guerre et des difficultés qu'elle pouvait engendrer. Si les Alayiens avaient débarqué dans le sud du continent, les choses auraient certainement été bien différentes... On en arriverait presque à le regretter.

Tandis que la reine mère se retirait pour veiller la dépouille de son fils disparu, la voix du duc devenu empereur arracha le Rat à ses pensées. Non, décidément, cet empereur là ne lui plaisait pas du tout et s'il s'agenouilla pour saluer comme il convenait de le faire, le regard qu'il posa sur la noble silhouette pour lui répondre se révéla froid et distant au possible.

« Un jeune garçon, venu me trouver tandis que je discutais de questions de sécurité avec le commandant Dessay. »

Il aurait été plus que difficile de ne pas remarquer l'ironie sous-jacente dans le choix de chacun des mots, et s'il restait parfaitement conscient que le jeune messager était venu trouver le garde personnel de l'empereur défunt plus que le cousin par alliance, ce dernier ne pouvait que se féliciter de s'être trouvé au bon endroit au bon moment.

Une lueur amusée traversa les pupilles bleutées lorsque l'empereur fit part de sa décision de tenir à l'écart le garde en faction au moment du décès, notamment devant la réaction du commandant. Les remarques les plus corrosives lui brûlaient maintenant les lèvres, c'est qu'il semblait tomber de haut, le vieux soldat, à entendre son empereur douter de la fiabilité d'une lame noire. Affligeant spectacle dont Logan se délectait, car enfin, ce n'était pourtant pas faute de l'avoir mis en garde : la confiance s'effrite aussi rapidement que se construit la méfiance et l'ordre que commandait Dessay n'avait pas vraiment brillé ces derniers temps. Quand bien même Korentin essayait de relativiser en précisant ne pas croire à cette possibilité ne serait-ce qu'une seconde, le mal était fait : les graines du doute étaient plantées, il y croyait suffisamment que pour prendre la précaution de demander une enquête. Bien légitime au demeurant. La mort de Rodrick d'abord, qui bien que l'enquête conclut à un accident ne pouvait totalement faire omettre la possibilité d'un accident ''arrangé'' , et celle de Grégorist aujourd'hui, entachaient sérieusement la réputation d'excellence des lames noires.
Avec un regard assassin vers le vieux gradé, Logan prit soin de ne pas laisser oublier ce fait en précisant le plus sincèrement du monde :

« C'est une sage décision, Votre Altesse, la guerre est une époque propice à la trahison et il semblerait que ces dernières années se soient révélées particulièrement néfastes pour nos souverains bien aimés. Il n'est pas heure à faire preuve de négligence, même pour épargner le petit confort de quelques soldats qui ne se sont déjà accordés que de trop grandes largesses. »

Docile, le Rat répondit d'un hochement de tête à la requête du nouvel empereur. Ne pas encourager la rumeur ? Se tenir discret sur la nature de l'enquête ? Voila qui se trouvait très certainement dans ses possibilités... Mais quel dommage de priver les occupants du palais de si croustillants sujets de discussions, et puis, pouvait-il raisonnablement cacher la vérité ainsi ? Etait-ce digne d'un empereur que de dissimuler à son peuple des faits aussi importants qu'une enquête soupçonnant la trahison d'une lame noire ? Logan pouvait-il se rendre complice de pareille tromperie ? Il n'en était pas très sûr... Non, pas sûr du tout.

Pourtant, le rictus qui déformait ses lèvres s'effaça bien vite et il eut un haussement de sourcil perplexe lorsque l'attention de Korentin revint vers lui pour lui demander ce qu'il savait.

« La dernière fois que je l'ai vu ? Au moins plusieurs semaines, avant même sa blessure. Je ne voulais pas le fatiguer en me rendant à son chevet pendant sa convalescence... »

Et il n'avait surtout absolument pas la moindre envie d'aller perdre son temps à tenir la main d'une larve comme Grégorist. Sage précaution finalement, comme le démontraient les évènements : au moins rien ne pourrait lui être reproché même s'il doutait qu'un Kohan de sang ait le cran d'essayer de l'accuser. A l'exception de Fabius peut-être, mais le comte du Landain n'avait aucun intérêt à écarter le Kohan par alliance, les deux hommes poursuivaient chacun des objectifs différents et n'avaient aucune raison de rivaliser l'un avec l'autre, bien au contraire.
Finalement, sa voix se teinta d'une inquiétude feinte à la perfection pour s'enquérir nerveusement :

« Quelque chose de suspect ? Vous m'intriguez, Majesté, auriez-vous des raisons tangibles de penser à un assassinat ? »

La légère ironie qui vibrait dans la voix du prince emplissait Aaron de fureur, bien plus que tout le reste d'ailleurs... Certes, la façon dont Korentin avait mis involontairement l'accent sur son non désir de voir son beau cousin là n'était pas des plus adoites mais il était à présent le roi, il faudrait bien que ce Logan se mette au pas... Une légère lueur d'inquiétude passa dans les prunelles du vieux garde à cette pensée, il n'était pas certain que le nouveau souverain saurait trouver en lui l'autorité nécessaire pour cela. Pourvu que cela vienne avec le temps... Nul n'avait cru que le jeune Gregorist mourrait avant d'avoir eu une descendance et Korentin avait donc été sans doute le premier à se croire à l'abri de tout risque d'héritage. Grossière erreur que cela, à présent il était mis devant le fait accomplit et il allait devoir prendre le plis de ces nouvelles fonctions très vite... Il restait un bon duc, habile dans la gestion financière et juste avec ses sujets. Cela au moins était rassurant, il avait une base sur laquelle s'appuyer. Et sa dragonne aussi...

Les dragons... Aaron ne savait trop qu'en penser. C'était des créatures magnifiques bien sur et de sérieux atouts pour son peuple mais ils étaient si jeunes... Pouvait-on vraiment s'appuyer sur leur mémoire ancestrale pour les considérer comme possédant une sagesse au dessus de tout ? Jusqu'à quel point Korentin écoutait-il sa dragonne ? Un dragon lié à un empereur... C'était une toute première dans l'histoire de l'humanité et il ignorait totalement si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Au moins lui offrait-elle un soutien et une légitimé sans faille. On ne pouvait que respecter un empereur, mais un empereur dragonnier cela avait quand même une sacrée classe, lui-même était bien obligé de le reconnaître ! Et tiens... Etait-il sensé protéger la dragonne autant que son lié ? Le laisserait-elle faire ? Tout ceci était des plus troublant...

Il revint à la surface juste à temps pour capter le regard assassin du prince et y répondre par la plus suprême indifférence. Bon d'accord elle était feinte, mais il ne voulait pas montrer à Logan à quel point il était touché et même douché par les doutes qui semblaient peser sur son ordre. Ce désarroi s'ajoutait à celui de la mort de son roi bien aimé, le plongeant dans une affliction d'autant plus totale qu'il ne pouvait s'y complaire. Renfrogné, il suivit l'échange entre les deux hommes en silence comme sa fonction l'y prédisposait et tourna la tête vers l'empereur lorsque celui-ci secoua la sienne :

"Non, aucune. Mais nous ne devons négliger aucune hypothèse."

Pas très causant sur ce point le souverain... Pas de quoi rassasier la curiosité malsaine qui brillait dans les yeux du Kohan par alliance. Aaron nota ceci d'un coup d'oeil aussi acéré que paranoïaque et ne pu s'empêcher de se réjouir quelque peu de la méfiance quasi instinctive que Korentin semblait ressentir à l'égart de Logan. Ah il y avait quand même une bonne dose de la sagesse Kohan dans le sang de celui là ! Quand à la façon dont il les congédia tout deux avec fermeté, elle réalisa l'exploit de tirer un demi sourire discret à notre lame noire.

"Dame Rachèle a besoin de temps. Une mère doit rester prioritaire lorsqu'il s'agit de son fils. Vous ne vous inclinerez pas sur sa dépouille aujourd'hui tous deux, revenez demain au plus tôt."

Korentin était las, plus que las même, cela s'entendait dans son ton. Mais sa décision demeurait sans réplique, et elle était légitime au moins en ce qui concernait Dessay. La famille devait passer avant lui, aussi farouche ai été son attachement à Gregorist. Logan le prendrait peut-être autrement, moitié Kohan qu'il était. Mais Aaron lui brûla la politesse, faisant fi pour une fois de toute son éducation :

"Bien sur sire. Nous pouvons patienter. Je reste à votre disposition pour votre bon vouloir."

Et de le saluer dans la foulée avant d'amorcer sa sortie, entraînant par la même un Logan qui, d'accord ou non, n'avait plus d'autre choix que de vider les lieux...