Mila devinait que Jacques Briselame irait droit au château. L’amoureux éconduit, qu’elle avait repoussé avec maladresse saurait indiquer où elle se trouvait et ferait valoir sa rédemption en collaborant à sa recherche. Vraisemblablement qu’il y mettrait toute son énergie, une culpabilité de haute trahison le menaçait désormais…
Elle devait agir vite. Avant que tout ne s’emballe. Elle ne pouvait reculer, convaincue de ne vouloir finir une vie de femme mariée auprès d’un parfait inconnu. Elle se soumit à la plus critique des décisions… revenir à Elena la Robuste pour changer de plan. Et surtout, s’équiper différemment, elle avait compté jusque là sur la protection de son compagnon de fuite et devait réviser sa situation.
Au cas où son signalement circulerait déjà, elle ôta ses colifichets reconnaissables, se coupa les cheveux à la hâte et se ceignit la poitrine. Elle ressemblait à s’y méprendre à un jeune homme, un peu fin certes mais musculeux malgré tout.
Sûre de son anonymat elle pénétra dans l’Armurerie dont l’enseigne représentait un Bélier. Des clochettes de pierres cristallines tintinnabulèrent à son entrée.
Un solide gaillard d’une trentaine d’années parvint à sa rencontre depuis l’arrière-boutique qui semblait être une forge. Ses mains étaient calleuses et noires de suie, de grosses bacantes rousses lui mangeaient le visage et lui donnaient un air sévère :
Qu’est-ce tu veux Gamin ?
* Ca marche…* Mila était satisfaite de son « costume ».
Je veux… j’aimerais acheter une Rapière !
Ouaip. Quelle taille, quel type, quel prix ?
Houla… euh cette taille, dit-elle en posant sa main à mi-cuisse, en métal noir ce sont celles que je préfère, solides, équilibrées, un vrai régal, la gloire d’Elena !
Le Forgeron la dévisageait. Il tâchait de jauger le sérieux de « son » client…
Et le prix… disons dans les 30 pièces ? Répondit-elle pour couper aux investigations de l’Homme.
35 minimum Gamin !
Bien… ça me va ! Mila se montrait de plus en plus impatiente, elle supportait mal être enfermée ici avec ce type qui la sondait du regard.
Ce s’ra tout ?
Ouaip. Dit-elle en le singeant * Par les Crocs du Dracos, j’ai une voix de Castrat, c’est pour ça qu’il me soupçonne… Andouille !*
Le Forgeron quitta la Belle et se rendit derrière le comptoir. Il décrocha d’un râtelier bondé d’épées de toute taille, aux lames noires étincelantes, une magnifique rapière. Il la lustra, lui redonna son tranchant avec minutie et la tendit enfin à Mila. Elle saisit la fusée de l’arme religieusement et la fit tournoyer prestement. L’épée lui convenait parfaitement. Elle éprouvait même une certaine fierté à manipuler cette Rapière.
C’est pour vous ? Demandait le Forgeron en fronçant les sourcils.
Ouaip !
Mais… c’est une lame pour les donzelles ça !
Exactement ! Le provoqua Mila avec espièglerie. Tenez, voici vos sous !
Et de tourner les talons aussi sec avant que le gars ne commence à raisonner…
Dans les rues populeuses d’Elena la jeune Fille passait totalement inaperçue. Elle ajouta à ses bagages quelques denrées sèches, une cordelette de chanvre, une torche et un briquet à amadou, une trousse d’écriture avec quelques parchemins et enfin un coutelas finement aiguisé qu’elle glana à droite et à gauche.
Puis elle quitta la ville à la faveur de la nuit tombante. Mila savourait pour la première fois de sa vie un sentiment de liberté absolue. Cela l’enivrait et la terrorisait à la fois ! Elle ne savait absolument pas où se rendre, quoique l’envie de rejoindre le fief familial la taraudait puissamment. Et pourquoi pas ? Valblanc était à quelques jours à cheval. Une semaine de marche à pied tout au plus ? Elle se glissa dans la noirceur de cette nuit sans Lune…