Les devanciers nécessaires à cette brusque accalmie avaient été nombreux. Le temps fut le principal mécène de cette placidité psychique retrouvée, deux longs mois s’étant écoulés depuis l’annonce de la mort de Cymbor, mais les deux rencontres survenues peu auparavant avaient joué elles aussi leur rôle dans ce complexe engrenage qu’était la colère de Verith. Désormais, il se sentait incroyablement vide, et après seulement deux mois, il se languissait de sa terre natale, cette terre où ses pulsions belliqueuses trouvaient leur réconfort dans les duels, et où les siens restaient les maîtres absolus du continent au-delà de la mer. Ce lieu semblait alors si loin. Oh, aucune nostalgie ne peuplait l’esprit de Verith, loin de là ! Plutôt une profonde lassitude. Tout juste arrivé sur Armanda, il apprenait le décès de son frère et les nombreuses menaces planant sur le continent. Menaces qui, entre Dévoreuse et la magie Alayienne, restait de tout point contre la suprématie draconienne, mais pour celle maléfique de toutes ces entités meurtrières. Ainsi, Verith se confortait dans l’idée que cette terre, bien qu’il comptait avec détermination y asseoir la gente draconienne, ne méritait pas l’aide bienvenue qu’était celle du retour des dragons. Avec ces soucis d’équilibre et d’équité… Peut-être.

Verith s’évertuait à voler à une hauteur très respectable, lui permettant ainsi de toisant le monde évoluant en contre-bas, sans pour autant manquer d’être repéré par de potentiels ennemis –ces derniers courant les rues par ces temps troubles. Peu à peu, le dragon rouge prenait conscience des réels dangers dont Armanda était la victime, et outre son dégoût grandissant pour cette terre, il réalisait qu’il était temps pour lui de faire un choix. Pour l’instant, ses ouvertures lui restaient inconnues, mais l’illumination ne saurait tarder, et alors seulement, il réagirait selon son dessein. Des cieux où il progressait, petit point noir véloce entre les nuages, il survolait parfois quelques hameaux qui, fumant nonchalamment de toutes part, semblaient visiblement assiégés par ces fameux Alayiens, ces êtres dont Verith ignorait encore tant de choses, et dont l’image dans son esprit restait presque amorphe. Sur sa terre natale, le dragon rouge avait toujours conscience de ses ennemis, il les connaissait, les soupesait, parfois même s’agissait-il de dragons qu’il côtoyait depuis l’enfance. Désormais, sur Armanda, il concédait que ne pas connaître un minimum ses adversaires, comme il le subissait maintenant, était une véritable tare. Et ce continent semblait apprécier posséder des ennemis si mystérieux.

Désormais, Verith survolait ce que les Armandéens nommaient l’Empire, certainement le territoire où les Alayiens progressaient le plus rapidement. Perdu dans des pensées diverses, il s’affirma mentalement qu’il avait parcouru plus de lieux en deux mois sur Armanda qu’il n’en avait jamais parcouru en des années et des années sur sa terre natale. Il connaîtrait bientôt mieux les cieux d’Armanda que les Armandéens eux-mêmes. Il revisita intérieurement les quelques rencontres qu’il avait fait jusqu’ici, et en avisant un nouvel hameau détruit par les Alayiens, il se demanda combien des personnes rencontrées étaient encore vivantes. Où était Skade ? Où était Estelen ? Klaus était-il mort ou s’était-il rallié à la cause Alayienne ? Non, non, cela semblait impossible, même en le connaissant si peu. Involontairement, et ce bien à son plus grand désarroi, Verith ressentait l’implicite besoin de retrouver ce magicien, tout comme il était de son devoir de retrouver Skade et Estelen et de s’assurer de leur sécurité. De plus, un sentiment inné lui dictait que Klaus restait en vie, quelque part sur Armanda, mais il ne saurait expliquer quel phénomène le rendait si sûr de lui. Une fois de plus, il ne comprenait pas, et cela l’irritait.

Verith progressait donc, ainsi perdu dans le ciel, sans réel but, sans réel dessein. Sans aucune attente. Ou plutôt, avec une multitude d’attentes divergentes qui ne mèneraient à rien de chérissable par la suite et l’enfermerait de nouveau dans ce vide sans conséquence. Retrouver Skade et Estelen, et puis ? Retrouver Klaus, et puis ? Et surtout, venger Cymbor… et puis ? Le dragon rouge en était donc là de ses réflexions, c’est-à-dire bien peu avancé, lorsqu’il survola un minuscule point d’eau, où il décida de s’abreuver. Il ne mesura pas le potentiel danger que pouvait abriter un tel lieu, mare perdue sur les terres de l’Empire, et que les Alayiens auraient tôt fait de découvrir et d’exploiter à mauvais escient. Mais bon, au point où en était le dragon rouge, ce genre de « futilités » ne le perturbait guère, et il avait vite fait de se faire une raison : si Armanda l’avait accueilli –et l’accueillait encore- aussi hostilement, il prendrait plaisir à lui rendre l’appareil, comme il l’avait si merveilleusement fait durant deux mois. Ainsi, il se posa au sol, quelque peu maladroitement, et se pencha au-dessus de l’eau étonnamment limpide, où quelques nénuphars avaient élu domicile.

Soudainement, alors que Verith venait à peine de tremper le bout du museau dans l’eau claire, une ombre assombrit cette dernière. Tout d’abord infime, comme une piètre tâche d’encre dans un grand bassin remplit à ras bord, la silhouette grandit peu à peu, et le dragon rouge discerna bientôt, dans ces traits flous et sombres, les ailes magistrales qui caractérisaient ceux de son peuple, ce cou reptilien et les cornes si intimidante sur une tête osseuse au museau allongé. Nul doute, il s’agissait là d’un autre dragon, et d’une taille relativement conséquente, visiblement. L’ombre continua de s’intensifier, comme si l’immense créature d’approchait elle aussi du point d’eau en descendant des cieux, et bientôt, une tâche plus confuse, comme un apocryphe dans un texte ancien, se dessina sur le dos du dragon inconnu. Verith reconnut une silhouette Armandéenne normale, soit un elfe, un humain ou un vampire, que la créature reptilienne semblait soutenir, comme lorsque le dragon rouge avait porté Klaus sur son dos jusqu’à l’auberge. Un premier vol pas forcément très fameux, mais dont Verith gardait un souvenir amusé. Enfin, ce dernier redressa la tête et croisa les deux rubis qui servaient d’yeux au dragon, dont les écailles restaient d’un noir sombre et indécelable. Instinctivement, le reptile rouge se dressa complètement, préparé à toute éventualité.

L'amertume et la fatigue se faisaient la guerre dans les plus reculés confins de son cœur. Depuis l'apparition des troupes Alayienne et la libération du Néant, l'harmonie naturelle du monde se délitait comme les mailles d'une vieille couverture. Il était bien entendu hors de question de rester sans rien faire, aussi, dès qu'ils avaient put déposer Zaphirel au domaine, ils étaient repartis afin de venir en aide aux villages humains tombés sous le joug des envahisseurs. Ils 'agissait surtout de soigner les blesser, innombrables non seulement parmi la population mais également les troupes humaines se repliant vers les grandes villes. Combien de fois avait-il dû user de sorts redoutablement coûteux en énergie afin de refermer des blessures qui auraient dû, à terme, causer la mort des victimes ? Il ne comptait même plus, tellement les cas étaient différents. De la gangrène à l'hémorragie en passant par la nécrose des tissus et les infections diverses, il ne manquait jamais de travail, et si il ne rechignait jamais à la tâche, il s'attristait cependant de voir l'état dans lequel était les humains qu'ils rencontraient. Et il y avait également à convaincre les civiles de ne pas se joindre au culte de ce nouvel esprit destructeur... Il fallait prêcher contre eux, et c'était de tout son cœur qu'il le faisait, n'hésitant pas à se servir de ses dons pour appuyer ses propres, tentant de redonner confiance et espoir à ce peuple ravagé par une guerre subite. L'influence de l'armée assaillante cependant était forte, et ils n'avaient pas la tâche facile à garder les paysans sur le meilleur chemin... Même si il continuait de faire campagne contre le dogme anti-magique, il n'était pas même certain que cela ai un effet à long terme. Il ne pouvait être certains que les villageois auxquels ils avaient parlés n'avaient pas, par la suite, sombré de nouveau... rien n'était certain en temps de guerre, en dehors du moment présent, et du but final si tant est qu'on en ai un. Ça ne l'empêchait pas de s'exténuer à la tâche, et ça n'empêchait pas Shaynar de l'accompagner.

En vérité, n'eut été le dragon noir, sans doute n'aurait-il pas put sortir des bois. La moindre blessure par une arme Alayienne serait sa mort, et leurs troupes grouillaient comme des fourmis dans les parages. La première fois qu'ils s'étaient posés la réaction avait été violente et sans hésitation. Et depuis c'était toujours la même chose. Heureusement, Shaynar avait des arguments frappant pour contrecarrer les projets homicides des Alayiens. Mais même ainsi, ils ne se posaient plus autant qu'il pourrait le souhaiter. Et de toute façon, voler était devenue une habitude. Un plaisir au départ, et à présent il se sentait d'autant plus à l'aise dans les airs, en totale confiance envers son compagnon à écaille. Il observait le sol qui défilait, les campagnes humaines assombries par la guerre, alors que les ailes magistrales du dragon noir les portaient tout deux à travers ces lieux désolés et dangereux. Il était amer de constater que les immensités qu'il parcourait autrefois librement lui étaient désormais interdites, de peur d'y trouver la mort. Et les choses ne semblaient pas prêtes de s'améliorer. Entendant finalement la voix de son partenaire de vol, il hocha la tête, même si Shaynar ne pouvait pas voir le geste, et lui répondit. * Oui, j'aimerais le voir. Il y a fort à parier qu'ils auront besoin d'une main secourable.... * Et lui même avait besoin de retrouver le sol. Ses jambes étaient engourdies, et il fatiguait, ne pouvait tirer autant de secoure de l'énergie de la terre, n'osant en demander trop dans un moment pareil. Il fallait que tout deux prennent un instant pour souffler, avant de replonger dans la spirale qu'était l'aide à apporter aux humains. Il ne s'agirait pas seulement de nettoyer le village et de soigner les blessés. Il fallait également préserver la terre, lui permettre de continuer à produire et vivre. C'était hélas le lot des guerres, tout était dépensé sur l'instant et l'hiver venu, ils tomberaient en masse sous les coups de la famine.

Se sortant de ses sombres pensées, il s'accrocha à l'un des piquants du dragon et à la selle, serrant les jambes. Pas plus inquiété que cela il regarda la terre se rapprocher en se maintenant de son mieux. Si sa petite taille et sa légèreté étaient des atouts pour les longs vols, il risquait toujours, en revanche, de voler à l'attérissage ou de se cogner contre les écailles de son presque lié. Appliqué à ne pas se faire expédier un peu partout dans la descente, il ne vit que tardivement l'immense créature qui semblait s'abreuver au point d'eau. Un dragon ? Il n'avait rien de commun avec ceux des générations éclosent depuis quatre ans. Il était énorme, et respirait la magie. Comme un songe venu de l'ancien temps. Il était bien trop gros pour être jeune, trop gros et trop puissant... C'était une perspective effrayante que de l'imaginer en colère. Mais étonnamment quelque chose le troublait, quelque chose dans les vagues profondes qui émanaient de lui comme des soupirs murmurants. Il n'aurait sut dire quoi, en l'instant, mais c'était troublant. Il s'accrocha d'autant plus fermement en voyant Shaynar se préparer à se défendre, et un frisson le parcourut avant qu'il ne se reprenne. Dans un duel de titan comme ça, il doutait d'être plus qu'un fardeau, mais ne laisserait certainement pas son presque lié seul. * Je crois que ça vaux mieux effectivement.... * Il ne se voyait pas descendre et s'éloigner de la protection du dragon noir. Curieux quoi qu'autant admiratif que saisit de respect devant cette énorme créature, il se garda bien de l'approcher de son esprit, laissant à Shaynar le soin d'entamer la conversation. Ne sachant trop comment se conduire dans un moment pareil, il préférait naturellement attendre qu'on s'adressa à lui, plutôt que de risquer de vexer le dragon rouge face à eux. En revanche, il ne manqua pas de se livrer à l'exercice rituel qui était d'observer le chant-nom du rouge, et c'était véritablement un travail de titan. La cacophonie qu'il percevait donnait tout simplement trop d'informations à la fois, tant la vie de ce titan du ciel était longue...

Il en eut un bref moment le vertige, et cessa de jouer les indiscrets alors que la terre et Shaynar semblaient tourner sous lui. Clignant des yeux il inspira doucement et fit taire le léger mal de crâne que son entreprise lui avait valut. Chuchotant dans l'esprit de son presque lié, dans un coin que le rouge dédaignerait et qui leur était réservé à tout deux, il lui révéla sa petite inspection et ajouta. * Il n'a pas de lié. Il n'est pas d'ici.... * C'était tout ce qu'il avait put tirer clairement du tapage de son chant-nom, en ayant rarement vu un si brouillon et si chaotique, comme si il n'avait pas suivit la partition Armandéenne, et était écrit en un autre codage de sons. Il en était d'autant plus curieux. Pas d'ici ? Mais d'où pouvait-il venir alors ? D'une autre terre ? Il n'osait avancer plus dans les secrets de l'autre. A la place, il fit basculer sa capuche, pour avoir une meilleur vision de cette scène étrange.

Verith ne quitta pas des yeux les deux inconnus dans leur véloce descension des cieux, jusqu’à ce que les griffes puissantes et acérées du dragon noir agrippent le sol meuble. Presque instinctivement, ses ailes se replièrent sur son dos, dans ce geste caractéristique de la défense physique. Ainsi, le petit Armandéen demeurant sur son dos restait quelque peu dissimulé, et le dragon rouge ne put aviser sa race d’origine. Verith sentit le regard rougeoyant de son congénère le détailler rapidement, avant que leurs esprits ne commencent à s’effleurer, et que quelques paroles découlent de celui de l’inconnu. Une simple demande, joliment formulée, à laquelle Verith ne répondit pas, bien assez absorbé par le danger que pourrait représenter cette situation, surtout avec les nombreuses menaces tapies près de leur position. Il nota l’évidente jeunesse de ce frère d’écailles, et se demanda intérieurement s’il était né ici, sur Armanda, alors que les dragons avaient quitté ce lieu il y a longtemps. Il n’était pas le premier de sa race que Verith croisait sur ces terres. Silarae avait elle-même été l’objet de la curiosité du reptile rouge. Pourtant, leur juvénilité commune n’était pas le détail le plus étonnant de ces rencontres incongrues. Détail visible chez ce dragon, ou plutôt sur ce dragon.

Un presque-quoi ? Un presque-lié ? Un Baptistrel ? Qui était son lié ? Verith recula soudainement d’un pas, plissant ses yeux de reptiles aux pupilles d’or tout comme un Armandéen aurait haussé les sourcils en signe d’incompréhension. Il toisa avec d’autant plus de méfiance ce fameux Shaynar, fièrement dressé devant lui, en tentant de percer ce dialecte étrange, ces termes ignorés de Verith qui semblaient faire alors sa faiblesse. Et le petit être demeurant sur le dos du dragon noir paraissait se nommer Merithyn. Un prénom à consonance plutôt elfique à première vue. Le reptile rouge assigna donc cet Armandéen présent sur le dos de son congénère à un elfe, suivant une logique imparable –et suivant sa paresse, aussi, désireux de tarir un maximum de questions alors que d’autres affluaient déjà dans son esprit. En oubliant sa soif, Verith se concentrait davantage sur toutes ses interrogations tues, glissant dans son esprit de façon aussi fluide que le cours d’une rivière paisible. Enfin, pas si paisible que cela, plutôt en ébullition en vérité. Trop d’incohérences avec sa terre natale, trop de différences, de coutumes diverses, et un vocabulaire purement fantaisiste, visiblement.

Ainsi au bord de l’incompréhension, dévisageant simultanément Shaynar et le peu qu’il pouvait aviser de ce Merithyn, elfe qui pour l’instant ne s’avançait pas dans ce prélude de conversation, Verith reprit surface, le regard soudain bien plus froid, comme deux étrangers hostiles, deux représentants de continents distincts ayant fini de se soupeser et désireux désormais d’en apprendre chacun plus sur la venue, la condition et les mystères de l’autre. Malgré toute la colère présente dans les veines de Verith et le fatiguant de plus en plus depuis deux mois, il n’hésiterait à se dresser devant un nouveau conflit –si conflit il y avait en dénouement de cette situation. Ainsi, réduisant de quelques pas la distances instaurée entre Shaynar et lui pour pouvoir observer ce « presque-lié », Verith tomba d’accord avec lui-même sur ses origines elfiques et son étrange parure. Il était vrai qu’il n’avait jamais véritablement croisé d’elfes jusqu’ici, enfin pas de près, étant donné qu’en survolant les landes, il en avait avisé certain. Celui-ci, en tous les cas, ne ressemblait en rien à un violent et redoutable combattant. Comme Klaus, il s’agissait peut-être d’un mage, après tout ? Pourtant, même ce dernier possédait tout de même un physique relativement avantageux… Abrégeant le cours de ses pensées, Verith s’immisça dans l’esprit du dénommé Shaynar et du Merithyn qu’il supportait sur son dos, d’une voix psychique impassible :

°Faites donc comme bon vous semble, ma présence ne sera pas conséquence de vos actes si vous user de ce point d’eau. Je comptais quitter les lieux.°

Ce qui était faux. En réalité il venait, tout comme le dragon noir, de poser les pattes près de l’étang si prisé, mais peu importait pour l’instant. Sa soif restait bien assez étanchée pour le moment. D’autres sujets le préoccupaient, à son sens bien plus importants et pertinents que celui de savoir à qui revenait le droit de boire en ce lieu désert. Notant alors le fait que Shaynar s’était présenté, il jugea nécessaire d’en faire autant, son identité important peu pour un inconnu. Il lui serait alors bien plus aisé d’aborder ce sujet de « liés » qui le taraudait tant depuis les premières paroles de cette rencontre. De cela, il ne comptait pas quitter cet endroit sans avoir reçu d’amples informations concernant les sujets dont il se voyait encore ignorants.

°Je suis Verith, fils de Skade, Mère des Tempêtes.° se contenta-t-il de répondre. °À mon plus grand désarroi, j’ignore ce qu’est un lié, mais je suppose que vous remédierez à cette ignorance.°

Il lâcha ces derniers mots en jetant un regard en coin à l’elfe, toujours installé sur le dos de Shaynar. Presque-lié, lié… dans l’esprit de Verith, ces deux qualificatifs restaient identiques pour l’instant, sans qu’il n’en pèse encore la teneur. La subtilité se ferait plus tard, il l’espérait, mais pour le moment, cette dernière l’importait peu. Une certaine méfiance planait encore dans son esprit vis-à-vis de la définition de ces termes. Quelle était encore cette mascarade dont les dragons de ce monde semblaient captifs ? Bien qu’avouer ainsi ouvertement ignorer un sujet visiblement si évident –Shaynar s’était tout de même présenter avec- aurait pu blesser Verith dans son orgueil, ce dernier se sentait tellement peu concerner par les mœurs et coutumes d’Armanda que ce défaut de savoir lui était presque égal. À un détail près : il touchait les dragons. Et il était un dragon. Effleurant de nouveau de manière lointaine l’esprit du reptile noir et de son compagnon, comme pour garder ses distances mentales, Verith ajouta, comme à lui-même, pour se convaincre de quelque chose d’inconscient :

°Ces diminutifs n’existent pas là d’où je viens.°

Le contact de l'esprit de Shaynar l'aida à se remettre. C'était qu'il n'avait pas l'habitude de s'attaquer à pareille source d'histoire. Tout comme au contact des vampires millénaires, il ne parvenait pas, passé un certain cap, à saisir les nuances de leurs harmoniques profondes... les subtilités étaient encore trop complexes, il manquait tout simplement d'expérience, et peut-être en serait-il ainsi à vie. Il y avait des limites à ce que son esprit pouvait appréhender de l'univers qui était le leurs, il en avait toute conscience, mais ne se résoudrait jamais à cesser de s'améliorer pour cela. Accepter la fatalité n'était pas se rendre service. Tout comme il ne comptait pas accepter la mort simplement parce que le néant tentait de prendre possession de leurs terres. Il y avait des choses en ce monde qu'on ne pouvait combattre, et d'autres qui paraissait invulnérable mais méritait d'être combattues. Lui ne combattait pas avec des armes, mais en affûtant des talents pouvant lui servir par la suite et en récoltant autant de connaissances que possibles... mais même si l'on omettait cela, il était d'un naturel curieux, c'était plus fort que lui, il devait absolument savoir. Et puis Shaynar déteignait sur lui au sujet de l'indiscrétion... Il lui était très difficile de ne pas retourner à l'assaut du défi que représentait le dragon rouge, mais il se contint, ayant déjà matière à réflexion.

Un dragon sans lié, c'était du jamais vu depuis l'éclosion des œufs offert par le Dracos. Tous avaient eut un dragonnier, qu'il soit humain, elfe ou vampire. C'était la promesse qui avait été faite. Mais celui-ci était seul. Comment vivait un dragon seul ? Que ressentait-il ? Comment vivait-il son éternité ? Lui-même n'était pas dragonnier. Il partageait l'esprit de Shaynar et son âme de leurs volontés à tout deux, et par la force du destin... Il ne savait pas ce qu'un dragonnier ressentait, mais il avait ses propres sentiments, et son amour pour le dragon noir, son besoin de sentir son esprit et de l’accompagner étaient déjà grands. Il n'imaginait pas le quitter, cela l'angoissait et l'attristait, même si, sans doute, un jour son temps arriverait à son terme et il rejoindrait l'esprit de la mort. Du moins il le supposait. Il aimait partager avec son presque-lié, quand bien même leur lien était délicat et qu'il fallait le travailler en permanence, et gardait toujours son esprit ouvert. Et si il avait beaucoup lut au sujet des dragons sauvages, il avait tout de même beaucoup de mal à saisir le concept. Peut-être tout simplement parce qu'il était impossible de se mettre à la place d'une de ces immenses et solitaires créatures, impossible de réellement comprendre leurs esprits... Il était aussi curieux que perplexe devant cette créature. Et assez mal placé, car il était prit entre les deux, ne sachant trop si il pouvait parler librement entre le marteau et l'enclume.

Sentant le regard du dragon rouge sur lui, il se laissa détailler, assez content d'être enroulé dans sa cape, tandis que lui même l'observait. Savoir que les termes de liés et de presque-lié étaient inconnu à ce voyageur venu d'au-delà des mers n'était pas étonnant, et pourtant, il partageait l'incertitude de son compagnon écailleux quand à la façon de les définir. C'était là des choses qui leurs étaient naturelles, et tout ce que l'on pensait naturel et acquis était d'autant plus difficile à rationalisé et inventorier... hors c'était présentement ce qu'on leurs demandait. Mais plus encore que cet exercice périlleux, c'était l'identité même du dragon qui le perturbait. Cela lui rappelait vaguement quelque chose, sans qu'il parvienne à savoir quoi. C'était beaucoup trop vague, ou peut-être au contraire trop précis. Sa mémoire ne lui avait pourtant jamais fait défaut auparavant... Mais il était incapable de retrouver ce qui lui manquait, et s'en était frustrant. Ça avait un rapport avec ce dragon, Verith, et ce qu'il disait... et dire qu'il ne pouvait pas trouver la réponse en usant du chant-nom de cet écailleux. Il finirait bien par trouver, les souvenirs ne disparaissait jamais vraiment, on avait simplement du mal à les rappeler à soit... ça viendrait, il trouverait, il le fallait bien. Mais en attendait la voix de Shaynar le tira hors de ses considérations.

* Oui... c'est une nouvelle d'importance. C'est un peu plus de la race des dragons qui réinvestit ces terres. Un peu plus de magie également... Nous pensions que les dragons d'antan ne reviendraient plus jamais, qu'ils avaient abandonnés Armanda à son sort. Et voilà que ce passé vivant revient à nous... * Il capta, comme un songe, les interrogations plus profondes du dragons noir et les pondéra un instant avant de donner un avis sur la question. * Il n'a pas l'air très au courant de ce qui se trame, ou si il l'est il le cache bien. Il est peut-être plus vieux que toi... mais je crois que, à plus d'un égard, vous n'aurez rien en commun. Guider les jeunes générations te reviendra toujours je pense... Tu as davantage conscience des vérités Armendéennes. Un lien entre ce dragon et peut-être d'autres, et les jeunes... une part d'un tout * Il était à présent, en plus d'admiratif et de réservé, vraiment enthousiaste quoi qu'il le cacha par pudeur * J'aimerais tant connaître son histoire.... Et le lieu d'où il vient ! Tu imagines si il pouvait nous indiquer le havre de ton espèce ? * Un instant il resta réservé avant d'ajouter, avec plus de conscience * Même si nous ne pourrions jamais y aller... pourtant cela serait déjà un énorme réconfort, comme sa présence, que de savoir que la race ancestrale perdure quelque part *

< Un dragon et un bipède, humain, elfe ou vampire, partageant une âme et un esprit, sont liés. Leurs lien est un don du Dracos, qui perdure à travers l'espace et le temps, permettant à un œuf d'attendre des centaines d'années avant d'éclore pour son élu. Un presque lié... et bien... c'est quelqu'un, qui n'a pas été choisit par Dracos et ne partage pas de lien pré-établis avec un dragon, mais qui a établit une relation de très intime confiance avec l'un des tiens, au point que le dragon et le bipède choisissent de fusionner tout de même, de force pourrait-tu dire, afin de partager un lien qui ressemble à celui des dragonniers sans vraiment l'être. Nous sommes les seuls à l'avoir vécu jusqu'ici. C'est... c'est sans commune mesure d'après nos annales >

Sa description était très académique. Plus que celle de Shaynar, mais il était vrai qu'il n'y avait aucun précédent à ce qu'ils avaient fait. Il ne regretterait jamais ce qui lui était apparut comme une pulsion aussi naturelle que de respirer. Sa demande avait été audacieuse, et pourtant... pourtant c'était ce qu'il devait faire. Il l'avait sut... ils l'avaient sut. Même si il ne pourrait jamais réellement expliquer à quiconque son geste et ses paroles. Il suffisait de savoir que le dragon noir comprenait, et le reste lui était égale. Il soutint la seconde question de Shaynar de sa propre curiosité...

Verith ne semblait pas saisir l’ampleur du simple mot « lien », unissant dragon et Armandéen. Il écoutait Shaynar, l’air sceptique, sans trop comprendre le pourquoi du comment d’une pareille doctrine. Son compagnon elfe, ou plutôt son « lié » appuya ses dires en détaillant leur propre partage, eux qui se prétendaient « presque-liés ». Le dragon rouge les détailla davantage tous deux, tentant de percer dans leurs infimes faits et gestes une potentielle particularité qui prouverait ce lien si complice entre eux. Décidemment, il ne saisissait vraiment pas. Pourquoi partager son âme avec des êtres si frêles et pragmatiques ? Pourquoi s’encombrer d’un tel fardeau, et ce davantage en période de menaçantes crises sur Armanda ? Aucune logique dans ce geste, aucun témoignage de puissance ou gage de résistance face à l’ennemi. Et puis plus que tout, aucune prestance, aucune fierté à partager son âme avec un Armandéen. Alors, par le Dracos Honoris, pourquoi faire subir ce genre de lien incommode à un dragon ? Sur l’instant, Verith s’estima heureux de rester encore « sauvage », comprenant qu’il s’agissait d’un docte commun que celle de lier son esprit à un Armandéen sur ses terres. Et ce, sous la volonté du Dracos en plus, c’est-à-dire de manière impénétrable et fichtrement incontournable.  

Et puis, tentant de prendre un peu de recul sur les faits, le dragon rouge concéda que l’Esprit dragon ne pouvait avoir établi un tel facteur sur Armanda de manière irréfléchie et inutile. Quelque chose devait symboliser la répercussion de ce lien, quelque chose de fort, de puissant. Quelque chose qui pousserait un dragon à accepter un Armandéen sur son dos, et ce pas seulement pour un court trajet désenchanté comme l’avait vécu Verith avec Klaus. Mais quoi ? Le dragon rouge se souvenait parfaitement de son premier dialogue avec un être d’ici, plus précisément le mage, et sembla revivre cette étrange sensation qu’était de s’immiscer dans l’esprit d’un Armandéen, au demeurant si différent de ceux des dragons –ce qui était après tout logique. Encore aujourd’hui, après deux où le temps aurait pu forger en lui une certaine habitude, s’adresser à un être d’ici dépourvu de sang draconien, par exemple Merithyn, lui procurait une sensation étrange. Peut-être pas désagréable, mais étrange. Il n’imaginait alors pas partager son esprit pour le restant de ces jours –si c’était bien le cas- avec un Armandéen. Comme une autre présence dans la tête. Cette affirmation aurait donné des frissons au dragon le plus robuste de sa terre natale.

Verith devait paraître d’autant plus étrange à ces deux interlocuteurs, car d’après le ton et les questions de Shaynar, il semblait complètement illogique, pour ne pas dire impossible, qu’un dragon sur Armanda ignore les vertus du « lien » dragon/dragonnier, et sa puissance innée. Oh, alors il n’y avait plus que six dragons sur Armanda… Pour un si grand continent, c’est vrai que c’était bien peu. En comptabilisant Skade, Estelen et lui-même, Verith parvint à neuf –en supposant que la famille resterait ici. Neuf ?! Il visualisa mentalement sa terre natale, et son lieu de vie, près des falaises abruptes, là où s’était déroulée toute son enfance, et où les dragons se pressaient par dizaines. Il sembla dérouté durant un dixième de seconde, avant de se reprendre, conscient de l’état véritablement alarmant d’Armanda. Mais bon, il pouvait toutefois s’estimer heureux de découvrir certains de ses congénères ici, car Verith restait persuadé en arrivant ici qu’il ne découvrirait aucune trace de dragon, en omettant Cymbor. Finalement, c’était l’inverse qui s’était produit… Il chassa cette pensée, et reporta son attention sur Shaynar, qui venait de le questionner au sujet de sa terre natale. Verith ne pouvait se résoudre à répondre précisément, et il se contenta d’esquiver quelque peu la question.

°Je viens d’une terre de l’autre côté de la mer, un continent comme celui-ci.°

Il n’en dit pas plus. Shaynar, quelque peu hésitant, posa alors une question à laquelle Verith s’attendait depuis le début, car la plupart de ses rencontres sur Armanda lui avait préalablement posé. Tous semblaient pires qu’intéressés par le nombre de dragons retournés sur le continent, et une certaine excitation trahissait toujours l’espoir dans leur demande. Après tout, les dragons restaient l’avenir de ces terres, tout comme ils avaient été leur passé. Seul le présent leur avait échappé. Mais Verith s’était convaincu de remédier à ce léger « détail » le plus rapidement possible. Le dragon rouge répondit donc ce qu’il avait répondu aux autres lui ayant posé la même question.

°Non, vraisemblablement, je ne suis pas arrivé seul sur ces terres. Skade et ma sœur Estelen étaient avec moi. Quelques malencontreux désagréments nous ont séparé.°

Il songea à leur arrivée fracassante sur Armanda et ressentit soudainement le profond besoin de reprocher tout cela à Shaynar et Merithyn, malgré qu’ils n’y soient pour rien. Il se retint maladroitement, ce n’était pas le moment pour ce genre de petits jeux puériles, comme lui dicta sa conscience de dragon adulte. En prononçant ses paroles à l’égard de ses deux interlocuteurs, Verith avait songé au fait qu’il était, avec sa famille, certainement l’un des plus vieux dragons de ce continent, d’après les dires de Shaynar. Les dragonnets éclos ici restaient encore jeunes apparemment, pour ne pas dire très jeune. Et techniquement parlant, que Verith soit un des ainés dragons sur ces terres était un atout pour ses projets futurs. Un leader était toujours quelque avec un minimum d’expérience, au fond. S’adressant à Shaynar et Merithyn, le dragon rouge reprit :

°Je ne parviens pas à saisir la profondeur du lien qui semble vous unir. Tous les dragons nés sur Armanda sont-il vraiment porteurs de cette liaison d’âme avec un Armandéen bipède ? Ou certaines exceptions perdurent-elles, comme vous paraissez en être une avec votre « presque-lien » ?°

Shaynar avec effectivement raison, en y pensant. Il semblait peu probable que le dragon rouge, Verith, leurs disent d'où exactement il venait, sans doute parce que ses pairs ne désiraient pas être trouvés. Mais il ne pouvait croire pourtant qu'il y ai véritablement une bonne raison au départ des dragons d'Armanda. Ils avaient laissés le continent mourir, avaient laissés les peuples s'entre-tuer... Certes, ils étaient sans doute partit d'un commun accord et pour des raisons qui, à leurs yeux, étaient justifiables et justifiées. Bien entendu, les dragons possédaient une sagesse qui n'était pas celle des races mortelles, mais il ne pouvait guère s'empêcher de penser, amèrement : Une meilleur raison que la survie d'un continent entier et de toute sa richesse ? Sans Dracos, sans les œufs laissés par quelques unes de ces créatures ailées, Armanda serait progressivement morte, c'était certain. Il ne dit rien cependant, pas même à son compagnon écailleux qui semblait s'attrister de cette décision tout autant que lui. Mais puisque les anciens avaient jugés qu'ils n'étaient pas dignes de leur aide, ils s'en passeraient... après tout ils avaient leurs propres forces à présent, non ? Ils le prouvaient assez tout les deux, partageant une intimité qu'ils n'auraient pas dû avoir... Lui souriant au regard furtif qu'il reçut, il se calma quelque peu, retrouvant de sa sérénité alors que la créature face à eux prenait la parole une nouvelle fois, l'étonnant... les étonnant, une fois de plus. Il venait d'une terre semblable ? Semblable en quoi ? Y avait-il d'autres races que les dragons ? Des guerres ? Y avait-il la diversité qui était à la fois la force et la faiblesse d'Armanda ? Ou bien parlait-il simplement de paysage ? De climat ? L'elfe n'aurait sut dire, mais il semblait évident qu'il y avait une abysse de langage et de compréhension entre eux et Verith...

Avec douceur, il pressa son esprit contre celui du dragon. Non, les prochaines générations ne seraient pas seules. Ils auraient des parents, et des frères d'écailles. Ils auraient la chance de ne pas être les seuls dragons, avec le poids d'un continent sur les épaules. Il caressa les écailles de jais d'une main douce. * Tout les pères ne se sentent terrifiés à l'idée d'avoir une progéniture. Même si l'idée te semble impossible, que tu te pense incapable de parvenir à élever un dragonnet, peut-être qu'un jour cela arrivera, si tu trouves une compagne. On revient souvent sur ce genre de chose avec le temps. * Bien évidement, à une autre échelle, lui avait également, et avait toujours d'une certaine façon, très peur de la question de la parentalité. Jusqu'à rencontrer Eliow bien entendu. S'éprendre follement d'un vampire... et un vampire mâle de surcroît, vous rendait les choses infiniment plus simple, puisque de toute façon il n'aurait jamais put avoir d'enfant ainsi, et qu'il aimerait sans doute Eliow jusqu'à la fin de sa vie. Mais si par malheur il devait à nouveau tomber amoureux, et d'une femme ? Il ne ferait sans doute pas plus le fier que Shaynar. Comment pouvait-on même imaginer enseigner à un enfant ? C'était trop déroutant, il n'y avait rien de raisonnable ni de simple avec ces petites bêtes ! Était-ce la même chose pour des dragonnets élevés par leurs parents ? Si ça l'était, alors ils avaient au moins quelque chose en commun avec les races mortelles.

La suite écarta ce sujet plus léger. Un brusque serrement de cœur lui vint, une douleur sourde, venue du fond de son esprit, qui ne tarirait jamais complètement.... Elle disparut brusquement, comme elle était venue à la mention de l'être aimé, mais il resta un petit quelque chose, et quand il sentit la chape de l'esprit du dragon noir autour du sien, il se laissa enserrer, l'enlaçant aussi de son mieux et se pressa tout contre son esprit, reconnaissant lui aussi de ne pas être seul. Seul, il n'aurait plus été que l'ombre de lui-même,sans volonté et sans envie de continuer à vivre. Parce qu'Eliow avait été tout pour lui... mais cela ne se limitait pas à cela. C'était désormais Shaynar qui comptait le plus à ses yeux, et ce qu'il partageait avec lui était un trésor qu'il chérissait plus que toute autre chose. Si l'on prenait la masse comme une règle, l'on passait alors sa vie enfermé par des chaînes invisibles... Qu'eux soient une exception était un fait pratique, mais qui ne changeait rien à ce qu'il ressentait. Dragonnier ou non, lié, ou presque lié, il serait toujours là pour Shaynar, comme Shaynar serait toujours là pour lui. Ils étaient tout les deux, et il n'imaginait tout simplement pas le laisser... Ce qu'ils partageaient, dans l'intimité de leurs esprits, ça n'avait pas de prix.

Il se décida finalement à parler. Non pas dans l'esprit du grand dragon rouge, mais physiquement, de sa véritable voix qui, malgré son son enchanteur, renfermait un léger trémolo de maintes émotions entremêlées. « Je ne sais ce que vous avez put entendre de nous ancien, mais ceux des vôtres qui ont éclot ici sont un présent inestimable fait à notre terre. Il n'y a pas de mot pour décrire pleinement ce qu'ont été ces éclosions. Néanmoins, comme le dit Shaynar, les dragons n'ont pas seulement été liés aux mortels pour renouer les liens brisés, mais également parce qu'il n'y avait aucune dragon sauvage pour les guider. Vous êtes le premier depuis presque mille ans. Et comme vous le savez sans doute, les dragons sont la magie, et la magie la vie pour nous tous.... C'est pourquoi nous sommes si empressés d'en savoir plus à votre sujet... » Il sourit piteusement « Je ne suis pas un dragonnier, je n'ai jamais été désigné pour l'être. Et l'est toujours accepté. Mais ce que je partage avec Shaynar vaux bien le lien qu'ils entretiennent avec leurs compagnons de cœur. Nous avons choisit notre destin parce que nous partagions de très forts ressentit. J'étais extrêmement proche de son dragonnier, et quand il a rejoint l'esprit de la mort Shaynar était le seul être qui me restait, et qui comprenait la peine que je ressentais, comme je comprenais une part de la sienne.... J'ai juré de ne jamais le quitter, car à mes yeux ma place est avec lui quoi qu'il arrive. En bien ou en mal » 

HRP : Vraiment désolée pour le retard, j'ai eu une grosse panne d'inspiration ><

Verith se surprenait à écouter avec attention les paroles des deux presque-liés, tout ouïe à leurs explications. Il avait conscience que connaître un milieu hostile comme celui-ci lui serait d’un grand secours à l’avenir, et ce continent recélait, à son avis, encore bien trop de mystères. Décidemment, depuis quelques jours, une vague d’informations concernant Armanda était venue le cueillir en haut de son ignorance, et commençait à le redescendre jusqu’à avoir les pattes sur terre. Althaïa lui en avait appris long sur Dévoreuse –comme l’avait fait Klaus deux mois plus tôt avec Skade- et surtout les Alayiens, tandis que Shaynar lui apprenait que les dragonnets de ce monde partageaient leur âme avec des Armandéens et que lui et l’elfe étaient « presque-liés ». Un pareil flux d’informations aurait repoussé bon nombre d’innocents, mais Armanda restait, au-delà des principes fortement ancrés dans Verith, un lieu véritablement à part entière, spécial et parfois même plaisant. Tant de choses restaient à élucider et découvrir que Verith ne savait plus si se concentrer sur toutes les menaces n’était pas qu’une infime partie de ce continent, finalement. Enfin bref, pour l’instant, il semblait trop surpris par cette histoire de lien psychique entre deux êtres pour se poser ce genre de questions.

Soudain, Shaynar sembla quelque peu dérouté par les paroles du dragon rouge. Il souleva de manière peut-être un peu sceptique le fait que Verith était arrivé sur Armanda avec sa mère. Oui, sa mère, celle qui l’avait élevé sur leur terre natale, Estelen et lui, et qui était revenue ici pour retrouver son autre fils, Cymbor, mort depuis. En soit, la présence même d’une mère n’était pas si déroutante, si ? Verith acquiesça d’une infime oscillation de la tête comme seule et unique réponse, fixant le dragon noir d’un œil intéressé. Qu’est-ce qui pouvait bien le laisser aussi pantois, la tête penchée sur le côté ? Soudain, le dragon rouge comprit, et se sentit incroyablement idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt. L’évidence de la situation lui avait échappé. Évidence à tel point frappante qu’il avait omis de poser la griffe dessus : les dragonnets nés sur Armanda n’avaient pas de mère. Verith s’estima démesurément chanceux, pour le simple fait que naître dans une véritable famille lui avait offert de solide base et une connaissance de son propre monde infaillible. Il avait appris d’instinct à instinct, puis avait forgé son propre parcours seul, alors que les dragonnets d’Armanda suivait désormais la trace de leur lié.

Shaynar ne tarda pas à assurer cette pensée en lâchant d’un ton quelque peu accusateur des paroles crues. Oui, les dragons ayant quitté Armanda avaient abandonné leur descendance aux mains des peuples Armandéens. Oui, ils avaient conscience de cette optique mais ne semblaient pas s’en être davantage préoccupés. Oui, on pourrait alors croire qu’ils n’avaient aucune sympathie vis-à-vis de leurs œufs. Verith, lui, né au-delà des mers, pouvaient assurer qu’une part de ces affirmations n’était que rage vis-à-vis des dragons ancestraux ayant quitté Armanda, rage qui de toute évidence aveuglait facilement. Lui-même avait certainement les idées trop arrêtée pour comprendre la peine des dragonnets ayant grandi sans parents ni rien. Sans véritable attache ou même exemple. Il savait que les dragons avaient une bonne raison, et cela lui suffisait, il ne demandait pas plus. Merithyn ne tarda pas d’approuver les dires de son presque-lié, appuyant comme l’avait fait à peu près chaque Armandéen que Verith avait rencontré l’importance des dragons pour ce continent, de par leur magie et leur vitalité. Le reptile rouge, à force d’entendre cette affirmation rabâchée, commençait à prendre conscience de l’ampleur de ces dires, et pas seulement pour lui-même.

Verith écouta tour à tour Shaynar et Merithyn ponctuer leur réponse d’infimes brides de leur histoire, et de ce mystérieux dragonnier et ami mort, les laissant tous deux dans la peine qu’ils tentaient de décrire. Ils s’étaient en quelque sorte instinctivement liés –pour surmonter cette épreuve ? Le dragon rouge ne sut trop quoi ajouter à cela. Il laissait s’écouler de longues secondes, l’air pensif, et avait de toute façon conscience que ses deux interlocuteurs désiraient en faire autant. Verith n’était pas un dragon compatissant, et les presque-liés ne semblaient pas implorer une quelconque attention de sa part sur leur histoire, alors il passa rapidement dessus. Mais encore une fois, les liens extrêmement forts qui paraissaient se tisser entre les dragons et les Armandéens de ce monde laissèrent le dragon rouge pantois. Les deux compagnons en face de lui étaient la preuve véridique de l’échange implicite qui avait lieu entre deux êtres en tout point si différent. Il prit alors la parole, songeant à ces liens extrêmement solides, mais aussi aux profonds maux causés par la mort de l’un des deux protagonistes :

°Même les plus grandes prouesses ont un revers de la médaille. Ne jamais vivre seul jusqu’à la mort, certes, mais l’un rejoint toujours l’ombre avant l’autre, c’est le prix à payer.°

Verith reporta soudainement son attention sur Shaynar et Merithyn, comme s’il venait tout juste de s’adresser à lui-même, et changea prestement de sujet. Il ne désirait pas s’avancer sur le thème des dragonnets abandonnés sur Armanda, comprenant l’irritation de Shaynar et peu enclin à y prendre part. Sa colère était déjà assez grande pour l’instant. Toutefois, il nota intérieurement de revenir sur ce sujet à une prochaine occasion, quitte à défendre alors les dragons de sa terre natale. Un détail lui revenait à présent, et il lui tarda d’en apprendre plus à ce sujet. Il jeta donc son regard de braise sur l’elfe et prit la parole dans l’esprit de ses interlocuteurs :

°Shaynar t’a présenté comme étant un… un Baptistrel, je crois. Qu’est-ce donc que ceci ? Un ordre ?°

Toute chose avait un prix, certes, c'était la loi de ce monde. Rien ne se gagnait gratuitement, et pour un instant de bonheur, la main du destin vous plongeait souvent en des années de malheur. Mais ainsi le monde allait, et ainsi l'on chérissait encore davantage les rares instants de sérénités et de joies que l'on recevait, comme les plus précieuses gemmes du cœur de la terre, plus brillantes que les saphirs, plus dures que les diamants... des souvenirs que l'on oubliait jamais, qui réchauffait le cœur. Comme tout les instants qu'il avait passé en compagnie de Shaynar et Eliow, de leurs premières rencontres à cet instant sous la lune, à leurs nuit dans l'auberge d'Aldaria, à tout les instants, tout au long de la route vers les montagnes... leurs vie au campement vampirique, le retour des liés au royaume elfiques, même dans la souffrance... et à présent, son lien avec le dragon noir, ce lien qui l'aidait plus que toute autre chose et qui représentait une grâce indicible, celle d'avoir quelqu'un pour soit en tout les instants, et d'être là pour ce quelqu'un... Ils avaient tout deux perdus Eliow, pour des raisons différentes. Mais Shaynar avait raison, souvent les dragons mourraient avec leurs liés, lui était... un cas à part, par le déroulement des événements et par son destin, il était resté, comme lui. L'on disait souvent que les elfes pouvaient mourir d'avoir le cœur brisé, et il se souvenait avec une netteté horrifiante de la folie qui l'avait saisit lorsque son bien aimé avait finalement rejoint les bras doux de la mort. Il avait manqué se tuer, et le pire était qu'il ne regretterait jamais ce geste. Comme il ne regrettait pas d'être toujours en vie, et de partager ces précieux instant avec Shaynar.

La question suivante cependant, lui tira un sourire, comme la référence de son presque-lié à leurs première rencontre aux abords des bois elfiques. Il ne fallait surtout pas lancer un Baptistrel sur son art, c'était un sujet qu'ils se plaisaient à évoquer sous toutes les coutures et dans les moindres recoins, en chantant et en parlant, et sans doute en faisaient-ils trop, mais leur amour de la musique et de la vérité occupait une place centrale en eux, le moteur même de ce qu'ils étaient bien souvent, cela faisait battre leurs cœurs et palpiter leurs âmes. Rayonnant, il répondit avec entrain et affection.

« Oui, nous sommes un ordre. Nous les Baptistrels sommes les chanteurs les plus doués d'Armanda, ayant poussé notre art à la perfection. Nous vivons pour la musique, pour la paix et pour l'harmonie, car c'est à travers elles que nous élevons notre conscience vers les esprits. Voit-tu, nous étudions souvent de très longues années, des centaines pour nous autres elfes, sur bien des sujets. Nous sommes des gardiens des connaissances, neutres, nous ne favorisons personnes, et aidons toutes les races pareillement. Notre vœux nous interdit de mentir, car le mensonge est une profanation autant de l'âme que de la puissance des mots, tout comme nous avons jurés de ne pas tuer, et de n'attaquer personne. Ce serment nous lient aux esprits plus profondément que leurs autres, et sont garant d'une magie antiques qui nous est particulière. Nos chants peuvent appeler la puissance des esprits, guérir les plus terribles maladies, ou bien soulager les âmes... ils accompagnent les morts dans leur voyage, et les nouveaux-né dans leurs premiers pas en ce monde, ils soulagent les maladies, les angoisses, les blessures. Nous chantons pour honorer les esprits, honorer chaque chose en ce monde, et remercier les puissances des précieux dons que l'on nous a fait. Nous ne sommes que douze maîtres, depuis la création de notre ordre aux prémices de l'âge d'argent il n'y a jamais eut que douze Baptistrels en même temps, car notre essence ne peut se répendre davantage. Si l'on devait nous donner un véritable rôle, en dehors de celui de guérisseurs, ce serait celui d'arbitres, dans les guerres et les évolutions de notre continent » Il hésita un bref instant puis ajouta « à ce sujet justement... je nourris depuis quelques temps déjà une idée, au sujet de l'invasion Alayienne et d'une possible issue pour nous tous. Je pense que je vais appeler à un grand rassemblement des peuples sur les terres de mon ordre, afin de négocier une alliance pour repousser les envahisseurs. Seuls nous courrons à notre perte, mais peut-être qu'ensemble nous avons une chance de nous en sortir. C'est un ultime recourt, et puisqu'aucun autre ne jugera de cette solution en raison des haines raciales il revient, je le pense, à nous autres d'y songer.... Accepteriez-vous d'y participer également ? Vous pourriez rencontrer les autres dragons, et bien entendu, la sagesse d'un ancestral serait la très bienvenue en une telle période.... »