Bon et bien si la vie n'est pas un long fleuve tranquille, Isyndar peut le confirmer. Le répits, le repos, la quiétude étaient des mots bannis de son vocabulaire. Le savait-elle en choisissant Roëric comme dragonnier ? Peut-être au fond de son ancestrale intuition ? Après tout était-ce peut être cela qu'elle cherchait, une vie remplie d'aventures, de rencontres, parfois malheureuse comme avec ce vampire glacial ou celui qui avait réduit en cendre un village. Différents de son lié devenu un membre d'une horde humaine ou bien son maître comme il l'appelait lié quand à lui à une impériale humaine. Étrange comme des êtres jugés similaires pouvaient être autant antinomique. Elle avait encore à apprendre sur le peuple de son lié. La petite dragonne ne savait jamais lorsqu'elle en rencontrait un de quel genre il serait : un prêt à faire exploser une armée et tout ce qui l'entoure ou un prêt au péril de sa vie sauvé un être dont il n'est rien.

Bref, la vie ou le Dracos leur réservait enfin un moment de quiétude après une charge de l'armée humaine, Isyndar voulait en profiter pour se retrouver un peu seule avec son lié. Et quoi de mieux que de se restaurer un peu. Ayant tous les deux un régime un peu particulier, ils se détachèrent de la horde pour chasser quelques beaux gibiers dans la foret où ils se cachaient. Même si les loups adoraient lui apporter en guise de cadeaux un festin digne d'une reine. Éclore devant leur yeux et rester les premiers jours de sa vie à leurs côtés étaient un tel cadeau du destin que la petite dragonne était choyée au possible. Elle narguait son dragonnier avec ça, lui qui avait réussi à la perdre. Ça ne serait pas arrivé avec une horde de loups autour d'elle.

A pas feutrés, dragon et dragonnier entrèrent dans la foret, avec la promesse de ne pas croquer quelconque humain. Cela ne risquait pour Isyndar, elle leur avait assuré avec malice, avant de pousser du bout du nez son lié vers la foret. Inutile qu'il se sente gêner ou autre par sa condition.
Les premiers arbres les engloutissaient dans une pénombre qui oscillait entre chien et loup.

« -Le premier à ramener un gibier digne de ce nom gagne. » lui souffla-t-elle avec une pointe de défi.

Depuis leurs retrouvailles, la dragonne cherchait un peu plus le contact, même si au départ, elle boudait un peu de leur séparation, mais elle fut bien vite trop heureuse de le retrouver et surtout bien inquiète de le perdre de nouveau. Elle s’accrochait à lui comme une bernique à son rocher.

Quelques pas de plus, et la dragonne s'envola, bien décidé à ne pas le laisser gagner.  Espiègle, la petite grise survola de quelques mètres les lieux où son lié cherchait son précieux butin, afin de faire fuir toute créature vivante d'un bruissement d'aile ou d'un râle guttural.

Au bout de quelques minutes de vol, elle tenta une entrée en communication plus lointaine que les précédentes,  elle n'avait jamais tenté aussi loin de lui. Il fallait dire que les occasions ne s'étaient pas réellement présentées et une communication simple avait déjà été complexe et difficile à établir pour la dragonne.

« - La chasse est fructueuse ? »

Le vent sur ses écailles grisonnantes, rien de plus agréable pour la petite dragonne. Et pourtant ce n'était pas gagné. Isyndar avait eu du mal à comprendre le mécanisme symétrique des ailes, leurs puissances malgré la finesse de ses membranes et encore moins pourquoi voler puisque qu'elle devait sans cesse se camoufler dans les vestes des différents sauveurs de sa carcasse. En grandissant et grossissant, elle comprit la grande utilité. Une nouvelle cachette plus sûre et un point de vue imparable. Une nouvelle tour de garde, qui serait bien utile par la suite à son fugitif de dragonnier.

Et pour le moment, une chance par rapport à lui pour trouver nourriture. Il fallait dire qu'elle avait en face un adversaire de taille. Un chasseur né. Mais c'est de là que venait tout l'enjeu. Puis là il était question d'animaux, pas sa proie habituelle, un autre avantage pour la dragonne.
Fallait dire aussi que vivre avec un dragonnier vampirique réputé silencieux, fugitif depuis des années, d'être passée de mains en mains vampiriques depuis quelques mois et d'être élevée dans une horde de loup recherchée aidait la petite Isyndar à passer maître dans l'art de faire silence pour une créature de nombreux kilos. Elle marchait sur des œufs quand elle se déplaçait. Sur la pointe des griffes...

Camouflée derrière un bosquet touffus et piquant, Isyndar regardait depuis quelques minutes, le beau puma qui flairait une biche qui se trouvait dans le coin. La dragonne l'avait vu tout à l'heure, non loin de Roëric. Elle lui avait d'ailleurs fait peur. Il devrait donner assez de force à son lié pour continuer quelques jours, et puis ce met était des plus succulents.

Le lien avec son dragonnier avait pris bien du retard depuis sa naissance, mais en peu de temps de retrouvailles, ils avaient travaillé là dessus. Il fallait dire que la dragonne était aussi bavarde que son lié, c'était pour dire. Ils devaient rompre leurs carapaces communes pour que cette faiblesse de renforce. Et ils y arrivaient plutôt bien. Isyndar s'appliquait à percer le silence et la solitude centenaires de Roëric pour s'imposer comme un refuge. Discrète, mais présente.
Le lien de la parole/pensée passait de mieux en mieux, la retransmission d'images un peu moins. Des flashs, plus que des images distinctes. Elle lui envoya ce qu'elle voyait. Le puma reniflant le sol.

« - Beaucoup mieux, je vise plus fort, quitte à jouer autant ajouter du piment. »

Il voulait jouer, et bien il jouerait mais il ne gagnerait pas. Ah ça non, elle s'en faisait un devoir.

Quelques instants plus tard, elle retrouva son lié, le puma dans sa gueule, trottinant vers lui, fière comme une reine.

« - Maître, c'est ça ??? Une biche, noble certes, mais c'est être petit joueur que de vouloir s'en prendre à un être aussi fragile. »

Elle le déposa à ses pieds, avec un brin de fierté.

« - Je te laisse commencer, le sang, c'est pas mon truc. »

Dit-elle en s'agenouillant dans le sol parsemé de feuilles, mousses et autres végétations.

"-Ce n'est pas un grand festin pour toi, mais c'est mieux que rien. Puis tu dois faire patte blanche face à la horde. On dirait qu'ils ont une dent contre toi. Le ressentit de dame Melusine doit passer aussi par ses loups. Un lien comme le notre?" Ajouta-t-elle avec ironie.

« - Nous ne sommes pas infaillibles cher dragonnier, voilà pourquoi j'ai besoin de toi. »

Un peu de flatterie ne faisait jamais de mal. Surtout que la petite dragonne avait réussi à ramener le dîner avant lui. Elle ne devait pas trop montrer que oui, elle lui était bien supérieure en bien des domaines. Surtout face à un chasseur né, comme il lui avait dit quelques minutes plus tôt. Il avait encore à apprendre ce jeune vampire, face à la mâchoire et à la puissance d'un dragon.

Le repas de son lié fini, elle commença le sien. En te taquinant un peu sur cette maigre consolation pour lui :

« - Je ne comprends pas ce que tu n'aimes pas. Sa chair est un met succulent. »

Mâchouillant, la petite écaillée ne put passer à côté de l'air songeur de son ami. Elle se doutait bien que cet autre attachement à la mortelle lui posait sûrement des questions d'ordre éthique, morale et un autre chose que la petite dragonne ne comprenait pas encore. Elle cessa de manger et elle le regarda en cherchant à lui envoyer réconfort et chaleur.

« -Faire ce qui doit être fait n'empêche pas pour autant de profiter de ta non vie. Rester en retrait comme un ermite, attendant ce moment béni que ton devoir soit rempli est-ce la solution ? »

Après tout, il semblait que son ami et maître ait trouvé l'équilibre peut être précaire entre son devoir, sa condition et ses sentiments. Pourquoi pas son lié ? Même si la petite dragonne ne voyait pas cela d'un très bon œil. Elle n'aimait pas vraiment qu'on s'approche de lui, de n’importe qu'elle façon. Mais avait-elle le droit de dire quelque chose ? Cela se passait bien avant qu'elle vienne lui bouleverser sa vie.

« -Mais sache que je t'appuierai, pour faire ce qui doit être fait. Mais ne pense pas que tout son entourage soit aussi maudit que lui. »

Bien sûr qu'il parlait de son prince. Enfin prince, que de titre, et le sien par fait. Il fallait cependant que la petite dragonne ajoute de que son sauveur lui avait dit.

« -Ce magicien qui m'a sauvé, celui qu'on a vu dans la grotte avec le prince vampirique. Il veut te voir, pas pour te nuire. Tu as en ta possession un médaillon qui appartenait à un être cher. Il veut juste te parler de ça. Ce médaillon t'as sauvé la vie de ce qu'il dit. Il était sincère. Je pouvais le sentir. »

Elle délaissa un instant son repas pour se lever et venir vers son lié.

« - Tous n'ont peut être pas ton courage de partir ou lutte au plus près, d'une façon différente. En tout cas, il m'a sauvé la vie. Il a juste ajouté qu'il te mettrait un coup de pied aux fesses si tu me reperdais. » ajouta-t-elle avec ironie. « - Mais, je sais que ça n'arrivera plus. Maintenant, les airs peuvent devenir mon refuge. »

Isyndar se cala derrière son lié. D'ici peu, il la prendrait encore pour un dossier confortable. Comme presque souvent. La petite écaillée avait beau râler de cette position qui était la sienne. Elle n'en demeurait pas moins heureuse. Un lien de plus créer avec celui qui la fit sortir de son œuf.

« - Je serai de moins en moins faillible. Il est vrai. Dit toi que tu auras bien plus de puma à déguster. Pas un seul, plusieurs. Et puis avoir choisis comme compagne de cœur une humaine n'aide en rien les rapports gustatifs. Monsieur le solitaire, te voilà lier non pas une fois mais deux. »

Là était tout le paradoxe de son lié. Un trait de caractère qu'elle appréciait : la complexité de son être, de sa vie passée et de ce que sa vie future allait lui offrir. Il pouvait dire ce qu'il voulait, son dragonnier n'était pas cet être froid, au cœur mort qu'il prétendait être ou bien qu'il fut autrefois. Etait-ce sa faute ? Que son arrivée avait changé les choses ? Peut être, il est des liens que l'on ne peut expliquer.

« - La prochaine fois je te le laisse en vie ce félin, s'il n'y a que ça pour faire plaisir à mon dragonnier. »

La dragonne en jouait presque les vexer. Elle qui avait été le chercher avec fierté et honneur. Même si au fond, elle savait que le problème était autre : cette faim qui le tiraillait. Tout comme sûrement le sentiment de conscience qui devait émerger en amont. Maintenant qu'ils connaissaient les loups et qu'ils étaient membres de cette horde, le repas, son alimentation pouvait causer quelques soucis d'éthique. Mais la dragonne appréciait cet effort qu'il pouvait faire pour la jeune humaine. Même si Isyndar voyait d'un œil un peu noir cette relation. Et ce malgré le respect que la dragonne éprouvait pour l'humaine.

« -Ne pas se mouiller, voilà bien mon dragonnier, je comprends bien mieux pourquoi c'est moi qui ait apporté le repas ce soir. »

La dragonne avait vite compris que son lié n'était pas friand de la politique actuelle des siens. Et que fuir une grande partie de ces dirigeants était un choix aussi réfléchit qu'obliger. Isyndar, de ce qu'elle avait perçu, avait bien compris que ses sauveurs avaient au moins un trait commun avec Roëric. Ne pas avoir forcément que des comptes à rendre à leur souverain. Ce qui fut une chance pour la dragonne.

« -S'ils sont malins, ils seront restés endormis attendant le moment propice à révéler leur vrai nature. S'ils le peuvent. Car en face, ce vampire qui est votre prince ne semble pas dépourvu d'intelligence. »

Quand aux siens. Il y avait à dire aussi. Le seul problème c'est que les rares rencontres avec d'autres dragons se résumaient à un champ de bataille et l'urgence de rester en vie ou bien cachée sous une tente. Comment tisser des liens ? Dans la violence comment pouvoir se parler en terrain neutre. Une chance déjà, ses deux sœurs étaient des liées de vampires. Est-ce que cela aiderait ?

« -Oui, j'ai pu rencontré la dragonne de ce vampire. Celle qui était aussi dans la grotte, ainsi que celle du dragonnier qui m'a emporté au loin du camp vampirique. Mais je n'ai pu halas guère plus communiquer avec ses sœurs d'écailles. Je t'avoue que cela ma manque. Je sais que je ne suis pas seule, mais je rencontre ceux des miens toujours dans l'urgence, dans des instants de crise. Je ne sais que trop penser de ses rencontres furtives. »

Il détestait perdre. Non, elle ne l'avait pas remarqué. Elle aimait le taquiner sur ça. Car sur ce point, la petite dragonne lui ressemblait bien. Et pourtant, elle comptait quelques hivers de moins que le vampire. Mais c'était quelque chose d’innée. Une fierté mal placée. Ou bien était-ce parce que après tout, et ce malgré son jeune âge, elle savait bien qu'elle serait et qu'elle était déjà une créature dotée d'une intelligence et d'une réflexion bien au delà de celles des autres peuples. Mais bon, elle ne dit rien. Ce n'était guère le genre de la petite grise de se vanter. Sauf pour taquiner son lié.

Mais le moment n'était plus à ce genre de taquineries douces. Isyndar sentait bien que Roëric se sentait un peu coupable qu'elle n'ait pu rencontrer un autre dragon. Ou à peine. C'est vrai que faire connaissance au milieu d'un champ de bataille ou bien dans une tente cachée, il y avait mieux. Mais là sa pensée différait de son lié.

« - Nous en avons un. Il diffère peut être de mes semblables. Ou bien c'est que nos dragonniers ont trop de rancœur et de passif entre eux pour voir qu'ils sont dans le même camp. »

La dragonne tourna sa tête vers son lié pour mieux le regarder. C'est vrai que leur discussion n'avait jamais été amené vers le sujet de leur implication dans la guerre des peuples qui se profilait à grands  pas.

« - Notre camp est celui de la liberté des peuples, des créatures, dans le respect de tous. Même pour les vampires. Pas de la façon radicale et destructrice de votre soit disant prince. »

Du moins, ce qu'elle avait vu et compris de lui. Mais une chose était sûre, elle ne l'aimait pas et si la dragonne pouvait ou pourrait un jour lui mettre une griffe dans son engrenage, et bien elle le ferait. Sa seule erreur : s'en être pris à l'un de ses frères d'écailles. Qu'importe qu'elle ne l'ai jamais rencontré. S'en prendre à une créature si pure et si noble qu'un dragon méritait la morte comme seule souffrance. Et même si Isyndar n'acceptait pas ce genre de méthode ou solution radicale face à un problème rencontré, lui avait passé outre le bon entendement et ce qu'un dragon pouvait accepter. Et rien que pour cela, elle et ses frères et sœurs d'écailles se retrouveraient.

« - Peut être que de nombreuses tombes devront être creusées, mais la folie destructrice d'un homme au nom de sa loi, sa folie, sa vengeance, mènera à l'unisson de celles de nombreuses autres contre lui. Au final, la sienne sera la plus profonde. »

Les prochaines nuits seraient peut être difficiles, les journées longues, mais la dragonne de l'ombre se faisait à l'idée de l'incertitude de chaque lendemain, tout comme celle de son lié quand à leur devenir. Ne l'avait-elle pas choisit pour ça, tout comme pour le guider sur une ligne qui permettait l’émergence et la reconnaissance de la race vampirique.

"- Et promis, le prochain repas. Il sera digne pour toi."

Après tout, elle s'était faite à cette idée. Roëric avait besoin du sang d'humains, d'être pensant, tout comme eux. A la différence d'autres de ces compatriotes. Il ne jouait pas avec sa nourriture. Et cela faisait toute la différence pour la dragonne. Prôner la paix ne se faisait qu'à base de concession.

« - Les dragons la creuseront eux-mêmes. Il a tout de même oser ôter la vie d'un des nôtres. Il n'y a pas pareil crime en ce monde. »

Un brin d'arrogance et de rage dans le ton pourtant souvent calme et serein de la petite dragonne couleur cendre. En peu de temps, auprès de son lié, en contact avec lui à chaque instant, elle s'était vite forgée un caractère net et bien trempé. Autrefois timide, effacée, suivant juste son lié dans ses pattes, Isyndar sentait peu à peu des idées s'imposer, une influence venue d'on ne sait où la façonnant.

« - Et la voilà son erreur. Se faire des ennemis chez bien plus fort et haut que lui. Et en bien grand nombre. »

Isyndar grogna en irisant ses écailles. Il était rare de la voir ou l'entendre avoir de l’animosité pour une quelconque créature. Mais ce vampire avait dépasser la ligne de tolérance de la petite écaillée. Un de ses frères, un fils du Dracos. Ce dernier se vengerait.

Mais voilà, cette escapade nutritive n'avait de nom que pour la dragonne. Son âme sœur quand à lui s'était fait un en-cas en attendant le dîner. La petite dragonne avait dû faire avec cette particularité vampirique. Surtout par le fait que son dragonnier était respectueux envers ses pauvres proies. Pas un chasseur tel le chat jouant avec une souris. Et qu'il chassait raisonnablement, sans carnage. Et qu'il ait conscience que cette soif carnassière envers un autre peuple, comptait aux yeux d'Isyndar. Cela prouvait qu'elle avait bien eu raison de sortir sous la caresse de ses doigts.

« - Tu es ce que tu es Roëric. Un vampire a des nombreuses qualités et de grands défauts. Comme les Hommes et les elfes. Les dragons font cas à part. » ironisa-t-elle.

La créature se leva avec douceur pour rentrer au campement de la Horde.

« -Tu iras seul, je resterai avec les loups. Je préfère. Je te porterai préjudice. Puis les loups me manquent. »

Enfin plus leurs attentions à son égard. Le centre de ce petit groupe, à se faire papouiller, dorloter, cajoler, à se faire nourrir. On avait beau dire, ils paraissaient pour des vilains bougres, mais ils avaient un cœur pur et vaillant. Auprès d'eux, elle se sentait forte et admirée, il fallait l'avouer et ne pas négliger cet aspect. Et même si cela devait être difficile pour son lié de vivre au milieu de ce sang qui coulait devant lui, la dragonne pensait bien que ce retrouver au milieu des loups, d'un groupe, d'une vie collective ne pouvait lui être que bénéfique.