Aldaria, cité du Savoir et de la Connaissance, réputée dans tout l'Empire et même au delà de ses frontières pour la qualité des mages qui y étudiaient et enseignaient. Faudar était un fruit de cet arbre majestueux que représentait la Superbe. C'était sa ville natale, la ville qui l'avait vu naître, grandir et apprendre. Il y avait été plus heureux qu'il ne l'avait jamais été, mais il y avait également souffert plus que dans nul autre endroit. Bien que le vieux mage résida essentiellement dans ses quartiers du palais impérial de Gloria depuis près de 20 ans, c'était à Aldaria qu'il se sentait vraiment chez lui. Il ne manquait d'ailleurs jamais une occasion de s'y rendre, cela lui permettait de revoir de vieux amis de la Confrérie du Dragon Blanc et de saluer son petit-fils.

Mais en l’occurrence, le vieil homme n'avait pas eu besoin de chercher un prétexte pour descendre à Aldaria : le grimoire qui avait été récupéré lors de la bataille de Feusacré était un ouvrage incroyablement précieux et faisait mention d'un artéfact plus précieux encore. En tant que mage de la cour, Faudar avait été l'un des premiers à étudier le grimoire et s'était vu accorder toutes les autorisations nécessaires pour conduire ses recherches comme il l'entendait. Mais le grimoire débordait d'une magie incroyablement pure et puissante, c'était trop pour qu'un seul homme puisse en appréhender la complexité, fût-il grand maître mage. Transporter le livre de Gloria à Aldaria aurait été trop dangereux, ce fut donc Faudar qui fit le voyage dans le but de s'entretenir avec ses homologues de la Confrérie de cet épineux problème et étudier les arcanes de la Superbe afin de pousser plus en avant ses investigations. Dévoreuse. Pouvait-il vraiment exister un artéfact aussi puissant ? Si l'on en croyait le grimoire, la bague possédait des pouvoirs incroyables et à supposer qu'un tel objet ne soit pas que légende, qui aurait été capable de forger un anneau si puissant ? Même en ayant étudié le passé d'Armanda et la prospérité de la magie lorsque les dragons se comptaient par centaines, il semblait inconcevable qu'un mage ait pu être suffisamment puissant pour créer un tel objet. Restait la possibilité que la bague soit l’œuvre d'une confrérie de mages similaire au Dragon Blanc, mais Faudar n'avait jamais rien lu qui eut fait référence à un tel groupuscule.

Ce soir là, le vieux mage avait encore passé la journée à étudier. Sans résultat. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ? 36, peut-être 48 heures ? A quand remontait son dernier repas ? Plus de 24 heures assurément. Mais ces contraintes physiques n'avaient pas encore eu l'occasion de s'attirer l'attention de l'érudit. Si l'esprit était fort, le corps suivait, car c'est l'esprit qui commande au corps et non l'inverse.
Aveugle bien qu'il ne l'aurait jamais avoué, Faudar ne pouvait plus lire au sens premier du terme. Mais il avait appris, au cours de ses longues années d'études des arcanes, que l'écriture elle-même est déjà une forme de magie. Disposer harmonieusement de l'encre sur un parchemin afin de créer des mots était comparable à l'utilisation qui était faite des flux énergétiques naturels que le mage manipule pour lancer un sort. La vue n'était dès lors qu'une banale facilité pour le lecteur non averti. Faudar, lui, avait dépassé ce stade de lecture. Lorsqu'il se tenait devant la page d'un livre, il puisait directement à la source même de l'écriture les mots qu'avaient couché sur le papier l'auteur. En plus de lire le texte aussi sûrement que s'il avait pu le voir, cela élevait sa conscience à un niveau supérieur. Faudar ne lisait pas un mot, il le ressentait et à travers lui, pouvait ressentir l'état d'esprit et les émotions sincères qu'avaient éprouvé le rédacteur lorsque celui-ci avait posé sa plume sur le papier. Conjuguée à l'esprit du hibou, cette faculté lui permettait également de déceler le mensonge à travers le papier.

Une présence nouvelle dans la bibliothèque se fit soudain jour à son esprit. A cette heure tardive, cela semblait plutôt incongru. Un voleur ? Non. C'était un être bon, motivé par la recherche de connaissance, il n'y avait aucune raison de s'alarmer. Sans y porter plus d'attention, Faudar se replongea dans sa lecture. Il avait trouvé un vieux grimoire qui traitait de procédés alchimiques complexes à travers lesquels le maître mage entrevoyait des possibilités d'explications sur la manière dont l'anneau Dévoreuse avait pu être infusé d'une telle puissance. C'était la première fois depuis plusieurs jours qu'il avait la sensation de progresser, aussi ne prit-il pas la peine de s'intéresser à la jeune elfe qui s'approchait de lui. Il n'entendit même pas lorsqu'elle s'adressa à lui, pas plus qu'il ne réagit lorsqu'elle s'assit à côté de lui. Il tenait une piste, il en était persuadé, ce n'était pas le moment de se laisser distraire.

Il n'eût pas vraiment le choix en fait, la jeune elfe savait visiblement très bien comment attirer l'attention. Dans le silence presque total des lieux, le bruit qu'avait fait le livre en se refermant se répercuta dans la grande salle de lecture comme un roulement de tonnerre. Furieux, le vieux mage se redressa brutalement, renversant la chaise sur laquelle il s'était tenu, puis affermit sa prise sur son bâton qui ne le quittait jamais avant de tourner son regard vide vers l'elfe.

"Petite effrontée ! Comment oses tu interrompre ma lecture ?! As tu perdu l'esprit ?"

Maintenant qu'il accordait davantage d'attention à la petite perturbatrice, Faudar remarqua qu'elle ne lui était pas totalement inconnue. Il ne lui avait jamais parlé, mais il l'avait déjà croisée dans le palais impérial de Gloria.

"Mais ? Je te reconnais. Tu es l'une des Larmes d'Alderick. Que viens-tu faire ici ?"

Faudar n'avait pas masqué l'hostilité qu'il portait à la petite elfe, le simple fait qu'elle ait refermé le livre devant son nez n'avait déjà pas vraiment été une bonne idée pour approcher le vieux maître mage, mais le fait qu'elle soit membre des Larmes ne jouait pas vraiment en sa faveur non plus. En effet, en dépit de ses efforts, le conseiller n'avait pu empêcher la création de ce groupe de chevaliers qu'il n'approuvait pas. Dévoreuse était dangereuse, très dangereuse, et il semblait irresponsable de chercher à s'en approcher avant d'en savoir davantage à son sujet. Heureusement, l'influence du mage impérial lui avait permis de faire valoir l'un de ses meilleurs apprenti à la tête de ce groupe. Klaus était un homme intelligent, s'il trouvait la chevalière, il agirait avec la prudence et le respect nécessaire devant l'inconnu. C'était du moins ce que Faudar pouvait espérer de mieux, quand bien même préférait-il sincèrement que Dévoreuse demeure introuvable jusqu'à ce qu'il ait pu en apprendre davantage sur cette bague mystérieuse.

Quand Nalaïa referma l'imposant volume, elle ne s'attendait en rien à une telle réaction. Le vieil homme se leva brusquement, renversant sa chaise au passage. Puis, d'un geste ferme, il saisit un bâton qui était à sa portée et se tourna vers la jeune Elfe. Celle-ci ne put s'empêcher de remarquer son regard vide. *Il est aveugle! Mais comment fait-il pour lire?* se demanda-t-elle. Cependant, pour une fois, l'indisciplinée chevalier des Larmes garda sa question pour elle. L'homme lui lança :

-Petite effrontée ! Comment oses tu interrompre ma lecture ?! As tu perdu l'esprit ?

Nalaïa sourit devant la réaction très brutale et inattendue du vieillard. Puis, après un léger silence, il reprit d'une voix où la guerrière à la crinière rousse sentit une pointe d'animosité :

-Mais ? Je te reconnais. Tu es l'une des Larmes d'Alderick. Que viens-tu faire ici ?

L'Elfe ne lui répondit pas tout de suite, fixant outrageusement l'érudit. En effet, ses traits ne lui étaient pas complètement inconnus. Ses cheveux gris entouraient un visage marqué par les années. Ses rides profondes laissait voir l'âge avancé de l'homme. Mais ce qui retenait avant tout l'attention de Nalaïa, c'était ses yeux d'un bleu étrange, comme éclairci par le temps. Où avait-elle bien pu le croiser? Au royaume des Elfes assurément. Il s'agissait de l'humain à qui le chasseur de vampire Solas avait enseigné l'art de la magie elfique. Mais elle ne parvenait pas à se remémorer son nom... Le chevalier des Larmes se ressaisit et prit alors la parole.

-Non, cher érudit, je n'ai pas perdu l'esprit, lui dit-elle avec un sourire. Je me présente, Nalaïa Melanwan, Chevalier des Larmes. Si je suis ici, c'est pour respecter le serment que j'ai prêté devant Klaus Fell. Je suis à la recherche d'indice sur Dévoreuse. En vous apercevant ainsi penché sur cet ouvrage important, je me suis dit que vous auriez très certainement des informations à partager avec moi. Je me doute que vous êtes ici pour des raisons presque similaires aux miennes, Faudar Adroared. Accepteriez-vous d'aider une jeune Elfe?

La guerrière elfique plongea son regard émeraude dans celui aveugle du grand maitre magicien. Si elle pouvait acquérir quelques connaissances sur Dévoreuse de lui, cela lui ferait gagné un temps précieux. Soudain, l'indisciplinée chevalier demanda :

-Je sais que votre temps est précieux. Mais, si vous pouviez m'en consacrer un peu pour améliorer ma magie? Je vous serez ainsi redevable et vous pourrez me demander ce qu'il vous plaira.

La jeune Elfe ne le laissa pas apparaitre, mais elle attendait avec une impatience immense et une appréhension peu-être exagérée, la réponse du vieil homme.

Le vieux mage tiqua devant la réaction de la jeune elfe. Loin de se confondre en excuses devant la réaction du vieillard, elle affichait une assurance tranquille et semblait presque s'amuser de la situation. Impulsive jeunesse. Elle devait avoir presque trois fois son âge et se comportait encore comme une enfant, Faudar l'aurait volontiers ramenée à la réalité d'un coup de bâton bien dosé mais il n'en fit rien. Il préférait attendre de voir ce qu'elle voulait exactement.
En tout cas, elle ne manquait pas d'aplomb, sa voix était tranquille et confiante lorsqu'elle lui demanda son aide à propos de Dévoreuse. Mais s'agissait-il vraiment de confiance ? N'était-ce pas plutôt de l'insouciance ou pire encore, de la naïveté ? Elle avait prononcé son nom, donc elle le connaissait et devait savoir qu'il n'était pas du genre à tolérer l'indiscipline. Pourtant, elle n'avait pas hésité à refermer l'ouvrage qu'il consultait devant son nez, chose que bien peu de personnes auraient osé faire.

Des leçons de magie maintenant ? De mieux en mieux. Mais loin de contrarier le vieux mage, le franc parler de la petite elfe commençait à l'amuser. Elle n'avait pas peur de dire ce qu'elle avait à dire et c'était un trait de caractère que Faudar savait apprécier à sa juste valeur. Il demeura silencieux un moment, jaugeant la petite indisciplinée qui l'avait interrompu. Confiance ou insouciance ? La limite entre les deux était ténue, l'excès de la première amenant irrémédiablement la deuxième et dans une situation à risques, cela pouvait très bien mener au désastre.

"Et bien. On peut dire que tu ne doutes de rien. Interrompre ma lecture et me tenir tête pour me demander mon aide sans même présenter d'excuses."

Il inspira profondément, la jeune elfe demeurait silencieuse et se contentait de le fixer en souriant. Le vieil homme soupira.

"Je suppose que l'on peut mettre ton insolence sur le compte de ton jeune âge. J'accepte de t'aider à améliorer ta magie, mais ne t'avise plus jamais de m'interrompre lorsque j'étudie. Maintenant, va réviser tes sorts et laisse moi travailler, j'évaluerais ton niveau demain matin."

Mais cela ne pouvait évidemment pas se terminer aussi simplement. La jeune femme était venue se renseigner sur Dévoreuse et n'avait de toute évidence pas l'intention de laisser le vieil homme en paix avant d'avoir eu ce qu'elle voulait. Alors que Faudar réinstallait son siège avec un sort de télékinésie et se préparait à reprendre sa lecture, elle resta fermement campée sur ses deux jambes, inclinant légèrement la tête comme pour lui signifier qu'il ne pourrait la renvoyer aussi facilement. Il avait espéré la voir tourner les talons en le comblant de remerciements, après tout le mage officiel de la cour impériale des Kohan venait d'accepter de la prendre pour élève, mais elle n'avait visiblement pas l'intention de s'en satisfaire. Faudar laissa échapper un grognement avant de reprendre, sans détourner le visage de son livre.

"Si je comprends bien, en plus d'être insolente, tu es têtue."

Imperturbable, affichant toujours son sourire angélique, l'elfe le regardait fixement.

"Je ne veux pas que tu te renseignes sur Dévoreuse avant d'avoir amélioré ta magie. Tu n'es pas prête. Cet anneau n'est pas un artéfact ordinaire : si tu n'es pas à la hauteur, il te détruira. Ton assurance fait plaisir à voir et ta détermination te sera précieuse lorsque tu seras confrontée aux pouvoirs de la bague, mais tu dois d'abord progresser. Pour l'instant, tu es insouciante et impatiente, mais il te faudra encore beaucoup de temps et de travail avant de te prétendre capable rechercher de Dévoreuse."

La jeune Elfe était demeurée impassible face aux remarques du vieux mage. Celui poursuivit :

-Je ne veux pas que tu te renseignes sur Dévoreuse avant d'avoir amélioré ta magie. Tu n'es pas prête. Cet anneau n'est pas un artéfact ordinaire : si tu n'es pas à la hauteur, il te détruira. Ton assurance fait plaisir à voir et ta détermination te sera précieuse lorsque tu seras confrontée aux pouvoirs de la bague, mais tu dois d'abord progresser. Pour l'instant, tu es insouciante et impatiente, mais il te faudra encore beaucoup de temps et de travail avant de te prétendre être capable rechercher de Dévoreuse.

-Vous avez raison Faudar Adroared, lui dit la jeune Elfe. Je ne peux me lancer à la recherche de cette chevalière sans améliorer mon niveau magique. J'en ai conscience et ce malgré mon jeune âge, contrairement à ce que vous pouvez penser. Et, je dois bien avouer que mon caractère têtu et indiscipliné peut vous déranger. Je ferais donc de mon possible pour me tempérer.

Elle marqua une pause avant de reprendre sans vraiment lui laisser le temps de parler :

-Sur ce, je vous souhaite bonne nuit et je vous dis à demain. Ici même non?

Elle n'attendit même pas sa réponse pour quitter les lieux et chercher où dormir. Elle se doutait bien que le mage impérial était un professeur exigeant. La guerrière à la crinière flamboyante se mit en quête d'un hébergement. Par chance, elle trouva une auberge encore ouverte. Elle y pénétra sans grand espoir et se réjouit d'apprendre qu'il leur restait une chambre libre pour cette nuit. Le chevalier des Larmes monta donc dans sa chambre et déposa ses affaires. Sans attendre, elle écouta le conseil du vieil érudit et révisa ses sorts. Une fois sûre de se souvenir de tous ceux qu'on avait pu lui enseigner, Nalaïa Melanwan se débarrassa de ses vêtements couverts de poussière et de sueur et se glissa dans son lit. Elle ne trouva le sommeil que bien plus tard, excitée par son rendez-vous avec Faudar Adroared.

Le lendemain matin, la jeune Elfe aux yeux d'émeraude se leva avec le soleil. Une heure plus tard, elle se patientait dans les arcanes, assise à la table où se tenait le grand maître magicien la veille au soir. L'endroit lui parut très différent à la lumière du jour. Heureusement, le vieil homme ne se fit pas attendre très longtemps...

Tandis que la jeune femme s'éloignait, Faudar laissa échapper un long soupir. C'était un drôle de numéro, surtout considérant qu'elle appartenait aux gens du Beau Peuple. Elle avait une fougue que les elfes d'un âge similaire avaient pourtant appris à tempérer depuis longtemps, mais à bien y réfléchir, était-ce vraiment un mal ? Par certain aspect, l'elfe lui rappelait le petit Fabius, éternel impatient avide d'apprendre un maximum de choses en un minimum de temps. Faudar n'avait jamais eu besoin de le pousser dans ses études, au contraire, et si l'elfe montrait la même volonté dans son apprentissage, elle serait une bonne élève.
Le vieux mage reprit sa lecture où il l'avait interrompue et lorsque sa silhouette quitta finalement les arcanes pour se diriger vers les appartements qui lui étaient réservés en tant que membre des Dragons Blancs, la nuit était déjà très avancée.

Le lendemain, il retrouva l'elfe assise à la table qu'il avait occupée hier. Tout autour d'eux, des mages aux tenues plus ou moins extravagantes se déplaçaient silencieusement d'une armoire à une autre à la recherche de tel ou tel ouvrage avant d'aller s'installer dans un fauteuil ou sur une table afin de consulter les écrits qui avaient su s'attirer leur intérêt. Le silence qui régnait contrastait violemment avec l'agitation digne d'une fourmilière qui secouait les occupant des lieux. Célèbres dans tout l'Empire, les arcanes attiraient chaque jour des dizaines et des dizaines de visiteurs et pourtant, on entendait jamais plus que quelques phrases échangées à mi-voix ou des bribes d'une conversation étouffée.

Le vieil homme s'approcha de l'elfe, lorsqu'il parla, sa voix était calme et paisible.

"Et bien ? Pourquoi attends-tu bêtement ?"

D'un geste circulaire du bras, le mage désigna les dizaines de bibliothèques qui occupaient les lieux.

"N'y a-t-il pas suffisamment de livres à ton goût ?"

La jeune elfe sembla hésiter sur la conduite à tenir mais Faudar ne lui laissa pas le temps de poser des questions.

"Si tu veux apprendre, tu dois consacrer chaque instant de libre à étudier. Je peux te montrer la voie, mais c'est à toi de travailler.
Bien, suis moi maintenant. Je dois évaluer ton niveau et cela ne peut se faire ici."

Le vieux maître mage conduisit la jeune elfe hors de la bibliothèque et se dirigea vers une autre aile de l'immense bâtiment qui était réservée aux membres du Dragon Blanc. C'est dans cette partie des arcanes que l'on pouvait trouver les laboratoires que la confrérie mettait à la disposition de ses membres ainsi que tous les équipements nécessaire à l'étude de la magie. L'accès à cette zone était restreint par une barrière magique que ne pouvaient franchir que les Frères, les Soeurs ou ceux qui étaient invités par ces derniers.

"La Confrérie du Dragon Blanc mène d'importantes recherches dans cette partie des Arcanes, tu ne pourras jamais venir ici sans moi."

Faudar mena son élève à travers les couloirs jusqu'aux niveaux inférieurs. Ils arrivèrent finalement dans un grand hall dont l'un des murs donnait accès à plusieurs lourdes portes de bois et d'acier. Devant chaque porte se trouvait une torche, certaines étaient allumées, d'autres étaient éteintes. Sur le mur qui leur faisait face, un grand écriteau mentionnait "Salles de maîtrise."

"Ce sont des salles d'entraînement spécialement conçues pour la pratique de la magie. La torche permet d'indiquer qu'une salle est occupée ou libre : lorsqu'on entre, on allume la troche, quand on en sort, on l'éteint."

Le maître et son élève s'approchèrent d'une porte dont la torche était éteinte. Faudar inclina imperceptiblement son bâton vers la torche qui s'embrasa, puis ouvrit la porte et invita la jeune elfe à le précéder.
Les salles de maîtrises étaient de vastes pièces dont le sol était composé d'un dallage blanc immaculé. Les murs de pierres polies étaient très clairs également, l'endroit transpirait de tranquillité. Du côté de la porte, le long du mur, on trouvait soigneusement alignées des sphères de pierre de tailles variées.

"Les murs, le sol et le plafond de cette pièce sont enchantés par de très puissantes runes de neutralisation. Tu peux user de ta magie sans retenue, tu ne causeras pas de dégâts."

Adepte de l'exemple plutôt que du long discours, Faudar affermit sa prise sur son bâton. Une boule d'énergie bleutée apparut au sommet de la tête de l'arme. D'un geste du poignet, la mage envoya la boule incandescente s'écraser dans le mur opposé. A l'impact, le projectile sembla s'enfoncer dans le mur de pierres avant de disparaître totalement, sans laisser la moindre égratignure.

"Ces sphères sont là pour te servir de cible si tu en as besoin."

Joignant le geste à la parole, Faudar tourna son regard vide vers des sphères de taille moyenne qui décollèrent du sol et se mirent à flotter à travers la pièce à différentes hauteurs. Certaines décrivaient des trajectoires rectilignes horizontales ou verticales, d'autres suivaient une course circulaire et finalement les dernières semblaient évoluer de façon aléatoire.

"Maintenant, montre moi ce que tu sais faire."

-Et bien ? Pourquoi attends-tu bêtement ?

La jeune Elfe sursauta en entendant la voix du vieil homme. Elle se leva pour lui faire face. Son bras décrivit un arc de cercle pour désigner les rayons débordant de livres. Il poursuivit :

-N'y a-t-il pas suffisamment de livres à ton goût ?

Nalaïa sourit en comprenant la phrase du maitre magicien. Elle hésita sur sa réponse mais Faudar Adroared ne lui laissa pas le temps de poursuivre plus loin sa réflexion.

-Si tu veux apprendre, tu dois consacrer chaque instant de libre à étudier. Je peux te montrer la voie, mais c'est à toi de travailler. Bien, suis moi maintenant. Je dois évaluer ton niveau et cela ne peut se faire ici.

Le chevalier des Larmes suivit l'érudit à travers les arcanes. Elle découvrit avec étonnement l'existence des salles de maitrises et leur fonctionnement. Lorsqu'ils pénétrèrent dans l'une d'elle, le mage lui expliqua certaines choses avant de lui en faire la démonstration. Après cela, il fit s'élever des sphères dans les airs et le vieil homme dit à Nalaïa de lui montrer ce qu'elle savait faire. Elle hésita, cherchant dans la liste des sorts qu'elle connaissait, celui qui lui correspondait le mieux. Elle finit par trouver ce qu'elle souhaitait. Se plaçant alors face aux cibles, elle se concentra, se représenta la gestuelle. Une fois sûre d'elle, la jeune Elfe plaça devant elle sa main. Puis, elle forma, avec le pouce et l'index, un rond au niveau de son visage. Une tornade apparut soudainement, faisant soufflé un vent magique dans toute la pièce. Elle sentit l'air jouer avec ses cheveux couleur de feu. Ensuite, la tornade se dirigea vers les sphères qui se mirent à "danser" au gré des mouvements du vent. Aussitôt, ses mains formèrent un nouveau geste. Elle replia son index et son pouce pour présenter un poing fermé et plaça vivement sa main droite à plat à côté de la première. Elle pria pour que son entreprise réussisse. Elle n'avait jamais tenté de combiner ces deux sorts jusqu'à aujourd'hui, bien qu'elle les avait déjà utilisés par le passé. A son plus grand soulagement, elle vit apparaitre une bulle d'eau qui emprisonna tornade et sphères. Elle maintint le sort quelques instants encore, fière de son succès, avant de faire disparaitre le tout, laissant les sphères retombées sur le sol de la salle de maitrises.
Un sourire sur son visage aux traits fins, elle se tourna vers le mage aux cheveux d'argent et lui lança, comme victorieuse :

-Qu'en pensez-vous cher maitre Faudar Adroared?

Le vieil homme demeura imperturbable durant la petite démonstration, même lorsque l'elfe déchaîna la force du vent en invoquant une tornade, il lui avait suffit d'un maigre effort de concentration pour s'entourer d'un bouclier magique qui le préservait du courant d'air. Toute son attention était tournée sur sa perception du monde extérieure, il avait scrupuleusement suivi la vitesse et la précision des gestes de l'elfe ainsi que l'écoulement des flux d'énergie qui les avaient accompagnés.

Elle n'avait pris que peu de risque, mais quoi de plus normal quand l'on se sait jugé que de présenter ce que l'on connaît le mieux ? Car il était évident qu'elle avait l'habitude d'utiliser ces invocations, ses gestes avaient été nets et sûrs, même si l'enchaînement des sorts avait été un peu plus hésitant. Faudar avait également pu sentir dans la magie qui émanait de la jeune elfe qu'elle n'avait pas le potentiel pour devenir une magicienne de haut rang, mais il y avait néanmoins une base de travail susceptible pour peu qu'elle y accorde les efforts et le sérieux nécessaires d'en faire une magicienne correcte. Le vieux mage ne regrettait donc pas d'avoir accepté de lui enseigner ce qu'il savait, ce ne serait probablement pas du temps perdu.

Sa présentation terminée, Nalaïa se retourna vers lui en souriant pour lui demander son avis. Visiblement, elle semblait très satisfaite de sa prestation et espérait qu'il en soit autant pour son spectateur. Le maître demeura silencieux un instant, puis prit une profonde inspiration avant de lui répondre de sa voix usée :

"Cela ne suffirait même pas à divertir les badauds dans un spectacle de rue."

Cela pouvait paraître dur, mais le vieil homme n'était pas du genre à complimenter ses élèves, cela les rendait arrogant et leur donnait une sensation de maîtrise qui nuisait à leur étude. Sans pour autant les rabaisser, il préférait les voir garder à l'esprit qu'ils étaient des apprentis et qu'à ce titre, ils avaient encore des progrès à faire.

"Néanmoins, j'accepte de poursuivre ton entraînement. Nous allons passer à la première leçon, mais tu ne devras pas te contenter d'un peu de vent et d'eau. Ce n'est pas en exécutant des sorts que tu maîtrises déjà que tu parviendras à progresser. Si tu souhaite t'améliorer, tu dois t'aventurer dans la pratique de sorts supérieurs avec prudence et respect envers la magie que tu souhaites maîtriser."

Lentement, le vieil homme vint se placer face à la jeune femme, à environ une dizaine de mètres de l'endroit où se trouvait son élève.

"Maintenant que tu m'as montré que tu maîtrisais quelques invocations de base, voyons comment tu te défends face à une attaque magique. Je veux que tu utilises ta magie pour te défendre, tu ne dois pas chercher à esquiver."

Une petite boule de feu à peine plus grande que le poing d'un homme apparut alors au sommet du bâton de Faudar.

"N'oublie pas ce que je t'ai dis, si tu veux progresser, tu dois t'exercer avec des sorts que tu ne maîtrises pas encore totalement. N'aie pas peur d'expérimenter ou de flirter avec tes limites, je suis là pour veiller à ce qu'il n'arrive rien de fâcheux. "

Au sommet du bâton, la boule de feu doubla de volume.

"Es-tu prête ?"

Lorsqu'elle lui eut confirmé que oui, le vieux mage inclina son bâton et la boule de feu vola vers la silhouette de l'elfe. Il était peu probable qu'elle parvienne à se défendre du premier coup, peut-être même n'aurait-elle pas la volonté de tenter une parade magique et se laisserait aller à esquiver. Si tel était le cas, ils recommenceraient, car c'était justement le résultat auquel voulait arriver Faudar : elle devait échouer pour apprendre, car elle devait apprendre de ses erreurs pour progresser.
De son côté, il resta parfaitement concentré sur son projectile, se tenant prêt à le vaporiser avant qu'il ne puisse blesser son élève si elle ne parvenait pas à se défendre.

Lorsque FadarAdroared commenta sa performance, le sourire qui éclairait le visage de la jeune Elfe disparut. Déçue de ne pas avoir su l'impressionner, elle se vexa quelque peu. Mais se souvint bien vite de ce qu'elle avait entendu sur le vieux professeur et les leçons que ces grands élèves avaient subies. Alors, elle se redressa et but avidement les paroles du maitre magicien. Sa première leçon. Son esprit se nourrit des connaissances du mage, ses yeux brillèrent de curiosité. Son tempérament indiscipliné avait laissé la place à une élève attentive. Ce vieil homme avait un effet sur elle auquel Nalaïa ne trouvait aucune explication. Puis, il lui demanda :

-Es-tu prête?

Et comment qu'elle l'était. Elle acquiesça d'un mouvement de la tête et se prépara à se défendre contre cette boule de feu qui grossissait au bout du bâton de l'érudit aux cheveux d'argent. Nalaïa ne connaissait qu'un unique sort de défense mais il ne lui serait d'aucune utilité. Ecoutant les conseils de son professeur, le chevalier des Larmes se remémora ses lectures sur la magie elfique et se souvint d'un sort d'invocation. Appel de l'air... Mais quel était le geste déjà? Faudar Adroared dirigea la sphère enflammée vers elle. Pourtant, elle ne paniqua pas. Se concentrant pour tirer le maximum de son potentiel magique, la jeune Elfe se courba et souffla doucement entre ses mains. Elle ne savait pas si elle parviendrait à faire apparaitre cette copie d'elle. Elle vit la boule de feu arriver sur elle et ferma les yeux. Si seulement, cela pouvait marcher...

La jeune Elfe ouvrit les yeux à l'instant où son professeur fit disparaitre la sphère embrasée un instant avant qu'elle ne touche l'élève. Celle-ci eut juste le temps de sentir la chaleur sur son visage. Soulagée, Nalaïa alla s'adosser contre l'un des murs de la salle de maitrises. Lorsqu'elle s'éloigna de ce soutien rassurant et inébranlable, elle chancela un peu avant de se ressaisir. Elle se plaça face à Faudar Adroared et lui dit :

-Je veux réessayer. Recommencez s'il vous plait maitre.

Elle était déçue bien sûr de son premier échec. Mais elle tenta de positiver. En effet, réussir un sort d'invocation de niveau maître mage n'était pas donné à toute le monde. Seulement, en suivant les conseils du vieil érudit, Nalaïa pensait réussir cela sans difficulté. Mais la déception disparut bien vite du visage de la jeune Elfe pour laisser place à un sourire qui cachait mal sa concentration. Elle vit la boule de feu se formait au bout de l'étrange bâton que tenait Faudar Adroared. Elle ne l'avait jamais remarqué mais le mage ne faisait jamais de geste clé pour réaliser ses sorts. Elle se demandait comment cela était possible mais elle n'eut pas le temps de s'interroger davantage car son professeur dirigeait la sphère incandescente vers son élève. Elle ferma les yeux et prit une grande inspiration. Elle se courba et souffla de nouveau entre ses mains. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle vit une pâle copie d'elle-même. La boule de feu se détourna de son chemin originel mais l'invocation ne résista pas à la joie de Nalaïa Melanwan. Elle s'effaça et le grand maitre magicien eut juste le temps de faire disparaitre la sphère magique avant qu'elle ne blesse sa cible.

Devant ce second échec fut trop pour la jeune Elfe, sa bonne volonté s'envola et son indiscipline reprit le dessus. Elle s'emporta contre cette sphère et cette maudite invocation qui ne voulait pas se réaliser. Elle s'emporta contre sa faiblesse, contre ce serment qu'elle avait fait. Elle s'emporta même contre le mage impérial. Dans sa colère, elle sortit de la salle de maitrise et claqua la porte derrière elle. Elle s'assit contre le mur et prit ses genoux entre ses bras. Les Elfes étaient réputés pour le contrôle de leur émotion, pour leur capacité à les dissimuler. Mais Nalaïa les avait quittés depuis trop longtemps maintenant et elle s'était si bien adaptée dans l'armée humaine qu'elle avait perdu cette habitude de cacher ses sentiments. Une larme coula sur sa joue rosit par la honte de réagir ainsi. Mais si elle ne progressait pas, comment pourrait-elle honorer le serment fait à Klaus Fell? Une seconde larme suivit le chemin tracé par la première. Le chevalier se laissa aller pendant quelque instant, se demandant si son choix était le bon en s'engageant dans la guilde des Larmes d'Aldérick. Pourtant, elle avait pensé bien faire en donnant sa vie pour une si noble cause. Et si elle s'était trompée?

Comme Faudar s'y était attendu, la première tentative de la jeune elfe avait été un échec complet, s'il n'avait pas lui même dissipé la boule de feu qu'il avait envoyée vers son élève, celle-ci aurait encaissé l'attaque de plein fouet. Visiblement secouée, Nalaïa s'adossa au mur pour récupérer. Le vieil homme laissa faire en silence, elle n'avait visiblement pas l'habitude de se défendre magiquement et il valait mieux ne pas lui imposer un rythme trop élevé... pour l'instant. Il aurait tout le loisir de lui expliquer comment travailler son endurance magique plus tard.
Au bout de quelques instants, elle revint se placer face à lui et lui demanda de recommencer, ce que le maître fit sans se faire prier. Il ne s'attendait pas vraiment à un résultat sensiblement différent, il ne s'agissait pas vraiment pour elle d'apprendre quelques sorts de base mais bien de s'initier aux sorts que le maître qualifiait de supérieurs. Pourtant, dès sa deuxième tentative, l'elfe parvint à obtenir une ébauche de résultat mais se laissa distraire et le sort capota rapidement, seule l'intervention de Faudar avait de nouveau permit d'éviter le pire. Il allait lui ordonner de recommencer mais il n'en eut pas le temps. Visiblement folle furieuse, Nalaïa quitta précipitamment la pièce en maugréant, laissant son professeur seul dans la salle de maîtrise. Dracos, quel fichu caractère. S'il s'était agi de n'importe quel apprenti humain, Faudar lui aurait emboîté le pas pour le ramener dans la salle de cours en le traînant par la peau des fesses et en le sermonnant sur son comportement. Cependant, il enseignait aujourd'hui à une elfe déjà trois fois plus âgée que lui, certes encore une jeune fille parmi ses pairs, mais il convenait de faire preuve d'un peu plus de patience.

Après un moment, considérant que l'elfe n'était toujours pas revenue, Faudar se dirigea à son tour vers la porte. Avait-elle abandonné ? Même s'il avait été joueur, le vieil homme n'aurait pas misé une pièce sur ce fait. Confirmation lui fut donnée lorsqu'il ouvrit la porte et aperçut la silhouette de son élève prostrée au pied d'un mur. Ce que ses yeux ne pouvaient lui montrer, sa magie s'en chargeait : elle avait pleuré. Voila qui était pour le moins inquiétant. En effet, si la crise de colère qu'elle avait piquée n'était jamais qu'une conséquence de sa jeunesse et de son tempérament impulsif, le fait qu'elle se soit laissée aller à pleurer amena le vieux maître à douter sur la solidité de son esprit. Lorsqu'elle était venue l'interrompre la veille, elle semblait déterminée à trouver Dévoreuse et Faudar avait accepté de l'entraîner dans ce but parce qu'elle avait fait montre d'une détermination apparemment sans faille. Or, ce mur d'assurance venait visiblement de s'effondrer et dévoilait une jeune elfe encore fragile.

Le maître mage demeura silencieux et immobile quelques instants, il avait une décision importante à prendre : s'il jugeait Nalaïa trop faible d'esprit, mieux valait arrêter là son entraînement et la renvoyer car il aurait été dangereux de l'envoyer sur la piste de la chevalière maudite. Dangereux non seulement pour elle, mais aussi et surtout pour l'ensemble des Armandéens.

Faudar inspira profondément. Sa voix était impérative et froide, on ne pouvait y déceler ni pitié ni colère :

"Jeune elfe, mon temps est précieux et je n'ai pas comme les gens de ton peuple une espérance de vie millénaire."

Après un bref instant de silence, le maître poursuivit :

"J'ai accepté d'assurer ta formation parce que je te croyais forte, courageuse et déterminée à aller jusqu'au bout de ce que tu entreprends, mais voila que tu abandonnes à la première difficulté ?
Je ne pense pas m'être trompé en acceptant de te prendre pour élève, néanmoins je t'ai déjà dis que tu devais maîtriser ton impatience. Les études que tu viens d'entreprendre ne font que commencer et le chemin à parcourir avant que tu ne puisses totalement maîtriser quelques sorts supérieurs est encore très long. Si tu es trop jeune pour comprendre à leur juste valeur les bienfaits du temps alors tu me fais perdre le mien."

Faudar pivota et tourna le dos à son apprentie pour se rediriger vers la salle de maîtrise. Tout en marchant, il reprit la parole :

"Je t'accorde cinq minutes pour prendre ta décision. Passé ce délai, je considèrerais que tu ne souhaites plus de mon enseignement."

Il regagna la salle d'entraînement et referma la porte, laissant la jeune elfe seule dans le couloir, avant de reprendre la place qu'il avait occupée un peu plus tôt pour attendre.

Lorsqu'elle entendit la porte de la salle de maîtrise qu'elle venait de quitter s'ouvrir, la jeune Elfe hésita à lever son visage humide vers celui au regard vide de son professeur. Celui-ci lui parla et elle posa finalement ces yeux d'émeraude sur lui. Après tout, ce vieux mage devait savoir. Nalaïa se demandait toujours si son choix était le bon. Mais quand elle entendit l'humain insinuer qu'elle n'était pas encore assez mature pour entreprendre de telles études, l'impétueuse Elfe se vexa. Imperceptiblement, ses oreilles pointues s'inclinèrent vers l'arrière, sine de son énervement. Elle le regarda partir. A cet instant précis, elle ne savait toujours pas si son engagement dans l'ordre des Larmes d'Aldérick était une erreur ou non mais la dernière phrase de Faudar Adroared raisonna dans son esprit. Il ne lui fallut alors que quelques secondes pour qu'un sourire se dessine sur ses lèvres et qu'elle ne suive son professeur.
Lorsque Nalaïa ouvrit la porte de la salle de maîtrise, elle trouva le vieil homme à la place qu'il occupait avant qu'elle ne quitte la pièce dans son emportement. Elle alla de mettre face à lui et s'inclina respectueusement, accompagnant son geste de ces paroles :

-Maître, veuillez accepter mes excuses pour mon comportement incorrect. Cela n'arrivera plus. Vous avez raison, j'ai passé l'âge de me laisser dominer par mes sautes d'humeur. Dans l'armée, cela ne dérangeait personne et je m'y étais habituée. Vous m'avez pensée forte et vous n'aviez pas tort. Seulement, mon passé n'est pas des plus agréables et j'ai placé tous mes espoirs dans ce serment que j'ai prêté a Klaus Fell. Je sais que le chemin qui m'attend désormais sera long et pénible. Mais j'ai prêté serment de dévouer ma vie a cette cause. Les siècles qu'il me reste à vivre y seront consacrés. Et je suis décidée à ce que les premières années soient consacrées à mon entraînement. Et je souhaite toujours que cet entraînement commence avec vous, Faudar Adroared. Maintenant, je suis votre élève jusqu'à ce que vous décidiez de ne plus être mon professeur. Je me place sous votre entière autorité. Et ce tant que ce sera nécessaire à vos yeux.

La jeune Elfe se redressa et regarda le maître magicien. Elle se sentait prête. Sa faiblesse précédente lui avait fait ouvrir les yeux. Elle savait ce qu'elle voulait et se promit de ne plus jamais faiblir ainsi. Elle attendait que l'érudit entame une autre leçon. Ou reprenne celle-ci. Mais il n'esquissait pas le moindre geste. Alors le chevalier des Larmes osa poser la question qui lui tournait dans la tête :

-Quand je me suis présentée hier soir, j'ai senti une certaine animosité dans votre voix. Quelle en est la raison?

La guerrière rousse n'avait aucune idée de la réaction qu'aurait son professeur aux cheveux de neige. Mais elle s'était interrogée à ce propos sans trouver de réponse. Alors, elle avait attendu un moment qu'elle jugerait opportun. Une mèche de sa crinière de feu entortillée autour de son doigt, elle scrutait le visage de Faudar Adroared, patiente.

Il ne s'écoula que quelques instants avant que la porte de la salle d'entraînement ne se rouvre, libérant le passage à la fine silhouette de la petite elfe. Faudar était heureux de voir qu'elle avait fait le choix de s'accrocher, il n'en attendait pas moins de la jeune effrontée qui était venue le déranger la veille au soir. Il se garda cependant bien de le lui montrer et demeura parfaitement immobile devant le discours qu'elle lui tint. Les mots n'avaient pas d'importance à cet instant, seuls comptaient ses actes et le fait qu'elle soit revenue se suffisait à lui-même. Après tout, elle n'était pas la première a encaisser difficilement la pédagogie du vieux mage et ne serait certainement pas la dernière, c'était même plutôt une bonne chose dans le cheminement de l'apprentissage que l'élève soit amené à prendre conscience de l'ampleur de la tâche qui l'attendait.

-Quand je me suis présentée hier soir, j'ai senti une certaine animosité dans votre voix. Quelle en est la raison?

Faudar demeura imperturbable. En temps normal, il n'aurait pas pris la peine de répondre et aurait rappelé son élève à ses études, mais Nalaïa lui avait déjà démontré qu'elle avait un caractère borné et il serait sans doute plus profitable pour la suite de sa formation de rassasier sa curiosité. De plus, puisqu'elle avait décidé de s'en remettre à lui pour progresser, il n'avait aucune raison de ne pas l'avertir de son opinion sur les Larmes d'Alderick. Lorsqu'il répondit, sa voix claqua sèchement dans la salle, autoritaire.

"Tout simplement parce que je ne pense pas que la création des Larmes d'Alderick soit une initiative des plus judicieuses. Nous ne comprenons pas encore suffisamment bien Dévoreuse que pour nous prétendre capable de la protéger. Je te l'ai dis, cette bague recèle de terribles pouvoirs et représente une arme extrêmement dangereuse si elle tombe entre les mains d'une personne mal préparée. C'est d'ailleurs en partie pour cela que j'ai accepté de t'aider à progresser. "

Le mage reprit position et leva son bâton.

"Mais ce n'est ni le lieu, ni le moment de discuter de ce sujet. Nous avons du travail et nous avons déjà suffisamment perdu de temps."

"Nous allons reprendre là où nous en étions resté, mais cette fois, efforce toi de te concentrer sur ta magie et ne te laisse plus distraire. Garde la tête froide et maîtrise ton impatience. Ta seconde tentative n'était pas mauvaise, mais tu as fais preuve de précipitation. Tu t'es réjouie avant d'avoir réellement repoussé mon attaque et tu n'as pas réussi à conserver ton attention sur ton sort. C'est pour cela qu'il s'est dissipé."

Tandis qu'il donnait ses consignes, une nouvelle boule de feu apparut au sommet de son arme. Le maître mage laissa quelques instants à son apprentie pour lui permettre de se préparer, puis projeta la boule de feu vers elle d'un simple mouvement de bâton.

La réponse du grand maitre magicien lui convint et elle sourit. Malgré le ton autoritaire que la jeune Elfe avait moyennement apprécié, ces propos n'étaient pas sans fondement. Dévoreuse restait un mystère pour les Armandéens. Les seules informations qu'ils connaissaient se réduisaient à ce qu'Aldérick avait écrit dans son journal. Et si les Larmes d'Aldérick ne pouvaient rien contre la chevalière maudite? Mais Nalaïa n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps sur le sujet car Faudar Adroared avait reprit position et tenait son bâton levé. Il reprit la parole et la guerrière aux cheveux de feu acquiesça. Elle vit une nouvelle boule de feu faire son apparition au sommet du bâton de son professeur. Mais elle était déjà prête. Elle faillit même s'impatienter en voyant que la sphère incandescente demeurait immobile.

Soudain, le vieil homme la projeta vers elle. Du coin de l'oeil, le chevalier des Larmes vit son maitre prêt à faire disparaitre son sort. Alors, Nalaïa se concentra. Elle se courba légèrement vers l'avant et plaça ses mains l'une en face de l'autre. Puis, calmement, elle souffla entre elles. Elle sentit la chaleur de la boule enflammée sur son visage mais celle-ci s'éloigna juste avant de heurter sa cible elfique. La jeune Elfe se redressa, un sourire peint sur ses lèvres. Cependant, elle n'oublia pas les conseils du mage et resta concentrer sur son sort. Elle vit la sphère magique frapper sa copie de plein fouet et une sensation bizarre lui parcourut le ventre. Mais son esprit tout entier demeura fixé sur un seul objectif, maintenir l'illusion. En effet, après l'impact, celle-ci avait commencé à se dissiper et Nalaïa eut bien du mal à lui faire retrouver son opacité originel.

Alors que sa copie reprenait son apparence initiale, la jeune Elfe se sentit faiblir. Chancelante, elle alla, d'un pas mal assuré, s'appuyer contre l'un des murs de pierre de la salle de maitrises. Elle se sentait comme vidée de toute son énergie. Est-ce le sort qu'elle avait lancé? Probablement. Sinon, qu'est-ce que cela aurait pu être? Malgré sa faiblesse, l'esprit de Nalaïa cherchait activement une raison à ce malaise. N'en trouvant aucune autre que la première qui lui était venue en tête, elle se redressa tant bien que mal et se replaça face à son professeur. Elle plongea alors ses yeux dans le regard vide de l'érudit aux cheveux d'argent. Elle attendit la leçon suivante, bien que l'énergie lui manquait. Mais elle avait fait une promesse et ne se voyait pas l'enfreindre. Elle était l'élève de Faudar Adroared et cela ne lui donnait pas le droit d'être faible. Alors elle attendit, patiente pour l'une des premières fois de son existence...

"Bien."

Tel fut l'unique commentaire du maître devant la réussite de son élève. Il ne réagit pas davantage lorsqu'elle tituba, c'était une réaction parfaitement normale étant donné l'effort qu'elle avait été obligée de fournir pour réussir à dévier l'attaque qu'il lui avait envoyée. L'endurance viendrait à force de pratique et d'entraînement.
Le vieil homme laissa apparaître l'ébauche d'un sourire au coin de ses lèvres en constatant que son élève encore chancelante revint se placer face à lui, attendant visiblement de recommencer l'exercice. Sans doute voulait-elle lui prouver que sa petite saute d'humeur n'avait été qu'un petit accident de parcours sans conséquence. Faudar apprécia le geste mais il était évident que la jeune elfe était complètement vidée et il n'était pas dans les habitudes du maître mage de faire travailler ses apprentis jusqu'à l'épuisement le plus total. Du moins, pas lors de la première leçon.

"Tu n'es plus en état de pratiquer cet exercice, nous retravaillerons ce sort demain. Pour terminer notre séance du jour, je vais te montrer quelques sorts basiques de la magie humaine que tu répèteras après moi. L'utilisation de la magie humaine te semblera moins naturelle que celle de la magie elfique, mais un bon magicien doit rester attentifs aux possibilités des autres styles de magie."

Le vieux mage déposa son bâton dans un recoin de la salle et vint se placer en face de la petite elfe. En temps normal, Faudar n'utilisait que rarement les gestes clés, mais en tant que professeur, il se faisait un devoir de conserver une technique impeccable. C'était à la fois une question d'honneur car il ne se serait jamais permis de critiquer les gestes d'un élève s'il n'avait pas lui-même une maîtrise parfaite des gestes en question, mais c'était également une précaution supplémentaire. Tinehtelë était certainement un atout précieux, mais mieux valait ne pas en être totalement dépendant.

Faudar leva ses mains ridées devant lui.

"Le premier sort que nous allons travailler est le sort d'immobilisation. C'est un sort qui n'est pas douloureux et qui peut se révéler pratique dans bien des situations. Tu devras cependant toujour garder à l'esprit que l'entrave d'un autre être vivant est une atteinte à ses libertés primaires, ce genre de sort ne doit donc pas être utilisé à la légère."

Joignant le geste à la parole, redressa la paume de sa main droite et crispa les doigts, comme s'il tenait une sphère invisible en main. L'entrave magique enserra les membres de la petite elfe qui se retrouva incapable d'effectuer le moindre mouvement.

"Tu peux le constater, la victime de ce sort ne souffre pas mais ressent une importante sensation de gêne, voire d'impuissance. C'est ton instinct primaire qui réagit devant l'immobilisation. Pour te dégager, il te faut puiser ton énergie dans cette partie de ton esprit, c'est la source la plus efficace pour contrer les sorts d'entrave car elle fait appel à un niveau spirituel supérieur à la simple conscience. Pour ton esprit, c'est une question de survie que d'être maître des mouvements de ton corps. Avec un de pratique, il est possible de puiser un pouvoir considérable dans l'instinct de survie."

Faudar diminua légèrement son emprise afin d'aligner la puissance de son entrave sur les capacités de son élève et lui permettre de se dégager par elle-même.
Il attendit qu'elle y soit parvenue avant de poursuivre sa leçon.

"Le second sort que je veux te faire travailler est le sort de désarmement. C'est un sort simple et rapide à exécuter qui peut te donner l'avantage lors d'un combat ou servir de diversion. Il suffit d'un large geste de la main de la gauche vers la droite pour le réaliser, toute la difficulté du sort réside dans la visualisation. Pour réussir, tu dois clairement voir l'effet désiré dans ton esprit. Tu dois visualiser l'arme de ton adversaire quittant ses mains avec détermination."

Le vieux maître tendit la main vers son bâton et l'attira à lui d'un sort de télékinésie, puis recula de quelques pas et toisa la jeune elfe de son regard vide.

"Maintenant, utilise ta magie pour me désarmer et m'immobiliser. Attention, ne te fie pas à mon âge, je suis peut-être vieux, mais j'ai encore de la poigne : tu ne réussiras pas à me désarmer si tu me sous-estimes."

Ainsi face à lui, le commencement du sourire qui apparut au coin des lèvres de son professeur ne put échapper à la jeune Elfe. En entendant que cet exercice de défense était terminé pour aujourd'hui, elle poussa un imperceptible soupir de soulagement. Il lui dit qu'elle devait être ouverte quant aux autres possibilités qu'offraient les autres styles de magie. Il entreprit d'apprendre quelques sorts humains à son élève. Alors qu'il lui expliquait en quoi consistait le sort d'immobilisation, il leva les mains devant lui et fit un geste. Avant qu'elle n'ait eu le temps de comprendre qu'il s'agissait d'un geste-clé, une sensation étrange l'envahit. Cependant, Nalaïa ne protesta pas et resta concentrée sur son maitre. Elle sentit la puissance du sort diminuer et son instinct de survie prit le dessus. Elle se libéra facilement de l'emprise du vieil homme.

Faudar Adroared reprit ensuite sa leçon. Déjà, il lui expliquait un second sort de la magie humaine.

-Tu dois visualiser l'arme de ton adversaire quittant ses mains avec détermination.

Le bâton du grand maître magicien vint se placer dans sa main lorsqu'il tendit celle-ci. Après quelques pas en arrière, il toisa la guerrière rousse. Cette dernière prit cela comme un défi et se concentra. Elle effectua le geste-clé de ce sort tout en se représentant "l'arme" de l'érudit quittant ses mains ridées. Mais rien ne se passa. Alors Nalaïa répéta la manoeuvre une deuxième fois, puis une troisième et une quatrième. Après la sixième tentative infructueuse, elle fut tentée de baisser les bras. Mais sa promesse lui revint à l'esprit et elle se recentra sur sa cible.

Alors qu'elle reprenait son souffle un instant, épuisée par ses échecs répétés, un sourire espiègle se dessina sur ses lèvres. Enfin, elle redressa la tête et prit une profonde inspiration. Elle ferma ses yeux couleur d'émeraude pendant un bref instant. Mentalement, elle se représenta la scène. Le mouvement de ses bras, la visualisation du bâton quittant les mains de son professeur... elle savait, au fond d'elle-même, qu'elle n'aurait qu'une seule chance de réussir, que cette association de sorts qu'elle ne maitrisait pas la viderait de ses forces. Mais elle était déterminée à tenter la chose. Sinon, quel bien piètre chevalier des Larmes elle ferait en refusant de prendre un risque si peu dangereux ?

Sans plus attendre, elle rouvrit les yeux. Faudar Adroared était toujours là, immobile. Peut-être savait-il ce qui se passait dans l'esprit de Nalaïa Melanwan. Peut-être connaissait-il ses plans. Mais peu importait. D'un mouvement sûr, sans hésitation, elle leva la main droite et crispa les doigts comme elle avait vu son maitre le faire. Celui-ci demeura impassible. Pendant une infime seconde, la jeune Elfe douta de sa réussite. Cependant, il était désormais trop tard pour faire marche arrière. Mentalement, elle visualisa le bâton du vieil homme quittant ses mains et tombant sur le sol. Pendant ce temps, alors qu'elle était absorbée dans sa représentation du désarmement, sa main gauche décrivit un large mouvement vers la droite à l'instant précis où cette dernière desserra son étreinte sur le vide. Le bruit d'un objet toucha le sol de pierre tira l'élève de sa concentration et le sourire qui était apparu sur son visage à l'élaboration de son plan éclaira de nouveau le visage du jeune chevalier des Larmes. Elle venait de désarmer son professeur.

D'un pas assuré, elle s'agenouilla pour ramasser le bâton du grand mage et le lui tendit.

Il l'avait pourtant avertie. En dépit de son corps de vieillard et de la faiblesse de ses muscles, le maître mage possédait encore une poigne solide. Il laissa la jeune elfe s'épuiser chercher vainement à le désarmer. Entre ses doigts, il pouvait sentir que le bâton réagissait aux tentatives de son élève, mais c'était bien insuffisant pour réussir à lui faire lâcher prise. Autant dire que face à un solide gaillard tenant fermement une épée, l'elfe n'aurait aucune chance.

Au bout de cinq ou six essais infructueux, Faudar envisagea de reprendre la leçon et de sermonner la jeune femme. Nalaïa retombait dans ses torts, elle faisait preuve d'impatience et avait répété ses tentatives à un rythme rapide, trop rapide que pour être en mesure de prendre conscience de ce qui la faisait échouer et son entêtement allait à nouveau la conduire à désespérer. Néanmoins, alors que le vieil homme était sur le point de reprendre la parole, il entendit le souffle de la jeune elfe qui s'apaisait. Avait-elle compris d'elle même qu'elle devait faire preuve de plus de concentration ? Il ne remarqua pas qu'elle avait fermé les yeux, c'était un détail trop infime que pour que sa magie puisse lui permettre de s'en apercevoir. En revanche, il avait perdu la vue et même si sa maîtrise de la magie lui offrait une certaine vue du monde extérieur, il avait appris à se montrer plus attentif à ses autres sens, et notamment son ouïe. Or, ses oreilles l'informaient que son apprentie cherchait à se concentrer. Sa respiration était lente, profonde et paisible.

Soudain, elle expira brutalement, signe qu'elle allait passer à l'action. Un étau invisible se referma sur ses bras et ses jambes. L'entrave était peu puissante et il n'aurait eu aucun mal à la briser, mais il se laissa faire. Cette fois, la petite elfe avait compris. Elle avait exploité sa détermination plutôt que de se laisser dominer par elle, Faudar sentit le bâton lui échapper, il tenta de renforcer sa prise sur le bois de son arme mais cela ne suffit pas. Tinehtelë s'échappa pour retomber quelques mètres plus loin, tandis que l'effet du sort d'immobilisation s'amenuisait pour finalement disparaître totalement, redonnant au mage le contrôle de ses membres.
Nalaïa sourit tandis qu'elle ramassait le bâton et le lui rendait.

"C'est bien, Nalaïa, c'est très bien. Tu as bien travaillé aujourd'hui, aussi bien sur le plan de la magie que sur ton caractère.

Maintenant, tu devrais aller reprendre des forces. Tu sembles épuisée et il n'est pas judicieux de continuer à pratiquer la magie dans ton état. Tu gaspilles encore beaucoup d'énergie lors de l'exécution de tes sorts, nous tâcherons d'y remédier lors de notre prochaine leçon."

D'un geste, il invita l'elfe à le précéder avant de quitter la salle de maîtrise. Ils avaient passés plusieurs heures à s'entraîner, et même si la formation de Nalaïa était une mission importante pour lui, Faudar n'en oubliait pas la raison première de sa présence à Aldaria : mieux comprendre les desseins de ceux qui avaient forgé et enchanté la chevalière Dévoreuse et surtout, découvrir un moyen de la détruire.

Leur prochaine leçon... Nalaïa y songeait déjà avec enthousiasme. Son professeur avait raison, elle avait fait d'énormes progrès en une journée sur son caractère si indiscipliné. Elle quitta la salle de maitrises devant le vieil homme. Puis, elle s'arrêta. Du coin de l'oeil, elle le vit se diriger vers la bibliothèque. Nul doute qu'il retournait étudier le livre que la jeune Elfe avait brutalement refermé la veille au soir. Quelque part, elle lui en voulait un peu de la laisser pour se plonger dans ce vieil ouvrage aux pages jaunies. Mais elle savait que le mage cherchait des informations sur Dévoreuse. Elle se dit que c'était aussi bien qu'il le fasse à sa place car elle comptait bien lui soutirer ce qu'il aurait appris avant que leurs chemins ne se séparent.

La guerrière rousse prit le chemin de la ville et trouva refuge pour la nuit dans une nouvelle auberge. Exténuée, elle monta dans sa chambre et s'endormit sans prendre le temps de se restaurer ni même de se dévêtir. Plusieurs jours passèrent et une routine s'installa presque. Chaque matin, Nalaïa retrouvait Faudar Adroared aux arcanes. Le maitre enseigna de nouveaux sorts à son élève et l'endurcit. Le chevalier des Larmes faisait des progrès mais qui étaient bien inférieurs à ses attentes. Cependant, jamais elle ne broncha, tenant sa promesse.

Un soir, son professeur lui dit qu'il était content de ce qu'elle avait accompli. Il ajouta que le temps était venu pour eux de se quitter. Alors, la jeune Elfe prit la parole :

-Je vous remercie cher maître pour le temps que vous m'avez si gentiment accordée. Je sais à quel point il vous est précieux. Aussi, je pars dès à présent. Je n'oublierai pas ce que vous avez fait pour moi. Alors, si jamais, un jour, je peux me révéler utile pour vous, ce sera avec plaisir. Je ne doute pas que nos routes se croiseront de nouveau. Au revoir Faudar Adroared. Prenez soin de vous. Et que le Dracos veille sur vous.

Sur ces mots, elle s'inclina devant le vieil homme à la manière des Elfes. Après s'être redressée, elle plongea une dernière fois son regard d'émeraude dans celui vide de son maître. Qu'il allait lui manquer ! Mais ce fut d'un pas assuré et sans un regard en arrière qu'elle laissa derrière elle son professeur.

La jeune femme aux oreilles en pointes avançait d'une démarche souple. La nuit commençait à tomber sur la campagne qui entourait Aldaria la Superbe. Le soleil commençait à disparaitre derrière l'horizon quand elle entra dans une petite forêt. Peu à peu, l'obscurité devint presque étouffante. Heureusement, l'Elfe voyait un peu dans le noir. Elle marcha jusqu'à trouver une clairière où passer le reste de la nuit. Elle ne tarda pas à tomber sur ce qu'elle cherchait. Cependant, une forme claire était allongée au pied d'un arbre. Sans bruit, Nalaïa rassembla du petit bois dans l'idée d'allumer un feu. Une fois cela fait, elle se remémora les leçons de Faudar Adroared et lança un sort qui fit apparaitre cinq petites flammèches au bout de ses doigts. Alors, elle s'empressa d'enflammer les brindilles, se souvenant de sa peine à maitriser ce sort.

Lorsque les flammes s'élevèrent enfin, la jeune Elfe put enfin voir clairement ce qui se tenait au pied d'un chêne. Elle fut étonnée de découvrir qu'un loup blanc comme neige était allongé là. Son flanc se soulevait avec peine et un liquide rouge poisseux tachait son pelage. Il semblait souffrir et cela fut insupportable pour l'Elfe. Malgré son séjour parmi les hommes de la garde de Gloria, elle était restée très attachée à la nature. Elle s'agenouilla alors près de lui. Il dut sentir sa présence car il émit un léger grognement. Un chant s'échappa finalement des lèvres de Nalaïa. Elle visualisait la plaie se refermant. Par chance, cela marcha comme elle l'espérait et la blessure du loup ne fut bientôt plus qu'une cicatrice sur le flanc de l'animal. Le sort l'avait vidé de ses forces et ce fut en titubant qu'elle changea l'intonation du chant elfique. Elle plongea le blessé dans un profond sommeil. Puis, elle s'endormit avant même d'avoir posé sa tête dans l'herbe de la clairière.

Ce fut le soleil qui tira Nalaïa de son rêve. Son regard se porta sur les alentours. Le feu s'était éteint depuis longtemps déjà. Le loup blanc leva la tête en l'entendant se lever. Elle prit dans son sac un morceau de viande séché et quelques herbes comestibles. Elle se sentait comme engourdie. Après s'être restaurée, elle apporta la viande à l'animal blessé. Il semblait avoir repris des forces et sa respiration était moins difficile. Lorsqu'elle s'assit près de lui, il posa son regard couleur de glace sur elle. Elle ne put s'empêcher de le trouver magnifique malgré le sang qui maculait toujours son pelage blanc. Une idée germa dans son esprit. Elle savait pertinemment qu'elle serait seule pour accomplir sa quête et partir à la recherche de la chevalière maudite. Alors, si elle pouvait trouver un compagnon de route fidèle... Ses lèvres remuèrent. Tout d'abord, aucun son ne s'en échappa. Puis, peu à peu, un murmure s'éleva dans le silence de la clairière. Les oreilles du loup se redressèrent. Il émit un petit jappement. Il rampa jusqu'à l'Elfe. Celle-ci ne cessa de chanter, de plus en plus fort. Assise en tailleur dans l'herbe humide, elle ferma les yeux, laissant venir l'animal à elle. Soudain, après de longues minutes, elle sentit son souffle chaud sur ses pieds. Un sourire s'esquissa sur son visage fin mais elle se concentra à nouveau, de peur de perdre le fil de son chant. Alors, le loup se joignit à l'Elfe et ses hurlements se mêlèrent à la voix de la jeune femme. Elle pouvait sentir la puissance du lien qui s'établissait entre eux. Puis, ils cessèrent leur mélodie et plongèrent dans les yeux l'un de l'autre. Un mot, un unique mot s'échappa des lèvres de Nalaïa :

-Argawaen.

Alors le loup posa sa tête sur les jambes de l'Elfe. Ils étaient désormais liés par un pacte...