2 octobre de l'an 7 de l'âge d'Obsidienne.

J’étais à Estëllin depuis quelques jours, et le lieu que je préférais était inconditionnellement le jardin du troisième étage, qui englobait avec majesté la tour du Dracos, la tour des esprits et la lance de Sylvaniel. Il se dégageait de cet endroit une puissante sérénité, comme si, sous cette bienveillante garde naturelle, rien ne risquait d’arriver à la nouvelle cité Elfique.

En revanche, je préférais éviter l’effervescence de la ville. Aussi, je venais ici généralement en fin de soirée, profitant de l’endormissement progressif de la population pour retrouver la quiétude du magnifique parc qui entourait le palais royal. Je me promenais généralement plusieurs heures, alternant entre la marche et les pauses, réfléchissant à un choix hétérogène de sujets. Tout ce qui me passait par la tête en fait. Depuis que j’avais repris mes pérégrinations, j’avais rencontré toute sorte de personnes et, contrairement à d’habitude, pas n’importe lesquelles…

Je n’aurais jamais cru que mon premier séjour dans la cité elfique, signifiant mon retour temporaire parmi les miens, se passerait ainsi. Même si tous m’avaient accueilli avec bienveillance, je ne m’y sentais qu’en partie chez moi. Déjà, le voyage me manquait, et j’avais promis à Alvin d’être de retour à Caladon pour l’anniversaire de sa fille. C’était donc non sans un certain soulagement que je préparais mon départ. Décidément, je n’étais vraiment pas fait pour la vie sédentaire.

Je profitais donc de mes dernières heures à Estëllin. La nuit était douce, mais, malgré la paisible chaleur qui régnait dans le parc, je ne me débarrassais pour autant pas de mon armure de cuir sombre et de ma grande cape qui masquait mon visage jusqu’au niveau du nez. Une habitude en somme, une simple prudence qui semblait bien inutile en ses lieux. De toute façon, je n’avais pas vraiment d’endroit où laisser mes affaires, car, après réflexion, je n’avais finalement pas rendu visite à mes parents. Trop compliqué, et je ne voulais pas m’obstruer l’esprit avec ça.

Je pris place sur un petit carré de pelouse, situé un peu en retrait, et je me mis à contempler le ciel parsemé d’étoiles. Non pas que j’étais un grand philosophe, mais j’appréciais simplement ces petits moments de quiétude où je pouvais tranquillement poser mes pensées à plat. La route allait être longue jusque Caladon, et, malgré la paix apparente revenue en Armanda, un voyage réservait toujours son lot de surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. C’était finalement ça, l’intérêt de voir du pays. Qui sait sur quoi ou qui vous pouvez bien tomber ?

Après avoir passé vingt-quatre heures dans la peau d’un homme grâce à Luna, il était particulièrement bon de pouvoir se retrouver en s’observant dans un miroir ! La retransformation d’Orfraie en femme avait eu lieu seulement quelques heures plus tôt et la jeune vampire n’avait pas perdue un seul instant depuis, trop heureuse d’être de retour dans son propre corps. L’expérience avait été enrichissante, cela était certain, mais la ressemblance entre sa version masculine et son physique de femme avait été trop flagrante pour qu’elle se risque à mettre le nez dehors… C’était donc une réelle délivrance ! Toutefois, c’est avec un léger sourire aux lèvres que l’Ataliel se promenait, quelque peu perdue dans ses pensées. Elle ne faisait plus vraiment attention aux passants, qui continuaient à la regarder de travers, et ses pieds l’avaient guidée d’eux-mêmes jusqu’aux jardins du troisième étage…

La nuit était tombée lorsque l’ancienne princesse des Elfes y pénétra, respirant à pleins poumons l’air pur d’Estëllin. Pour elle, la température était particulièrement agréable mais elle était bien la seule à se promener les bras nus, une simple chemise blanche retenue par son corset en os de baleine sur le dos. En effet, l’automne arrivait et, si haut dans la montagne, le froid se faisait bien ressentir… Encore quelques semaines et les premiers flocons arriveraient.

Les mains jointes dans son dos, Orfraie se baladait entre les haies, le nez levé vers le ciel. Elle avançait sans but précis, encore et toujours perdues dans ses pensées, tandis que ses longues mèches lie-de-vin voletées autour de son visage au grès de la brise, indisciplinées. Pourtant, elle ne perdait rien de sa beauté et, sans son long manteau noir et sans ses armes, elle se rapprochait grandement de l’image qu’elle donnait autrefois, lorsqu’elle parcourait encore les couloirs du palais dans ses atours de Princesse. Ce temps n’était pas si loin, quelques mois seulement s’étant écoulés depuis sa transformation, mais pour elle cela lui semblait bien lointain…

Mais soudain, au détour d’un buisson, ses glaciers se posèrent sur une silhouette encapuchonnée. Un sourcil se haussa tandis que la Lame reconnaissait l’odeur d’un Elfe. Cependant, Orfraie ne souhaitait pas, ce soir, entendre la moindre remarque sur sa nouvelle condition, raison pour laquelle elle demeura parfaitement silencieuse, ses pas ne provoquant pas le moindre bruit grâce à ses bracelets de cheville. Pour peu, elle aurait pu être un fantôme.

Spoiler:

J’étais perdu dans mes pensées, savourant le calme qu’offraient les jardins du troisième étage. A cette heure-ci, il y avait peu de monde, et c’était ce que je recherchais. Non pas que je n’appréciais pas la compagnie des miens, bien au contraire, mais je n’étais à Estëllin que depuis quelques jours et je n’arrêtais pas de rencontrer de nouvelles personnes. J’avais simplement besoin d’un peu d’air frais et de quiétude pour remettre mes idées en place, et, même s’il me tardait de reprendre, j’avais encore quelque chose à faire avant de reprendre la route. Alors que je m’égarais dans mes divers souvenirs, je m’assoupissais peu à peu, sombrant progressivement dans un sommeil récupérateur.

Je me réveillais presque en sursaut, sentant quelqu’un approcher. Avoir souvent voyagé, notamment pendant les invasions Alayiennes et le règne de Vraorg avait aiguisé ma prudence. Pourtant, je n’entendis d’un seul coup plus rien. Avais-je rêvé ? J’étais pourtant sûr que des bruits de pas étaient parvenus à mes oreilles. Je savais que je n’avais rien à craindre ici mais, quand bien même, c’était assez curieux. Je haussais les épaules pour moi-même, songeant que ce n’était probablement rien, avant d’étirer mes muscles et me relever. Je sentis alors un léger picotement à la main droite. Lorsque je m’étais assoupi, je m’étais légèrement coupé avec la lame de mon arme, ce qui acheva de me réveiller. Je sorti en grommelant un léger bandage de mon paquetage, que je commençais à nouer autour de ma paume. La blessure était légère, mais, comme toutes les plaies à la main, elle avait tendance à saigner plus que de raison.

Je commençais alors à marcher tout en continuant à panser mon idiote blessure. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, puisque je voyageais souvent avec armes et armures. Pestant contre moi-même, je ne vis pas l’ombre qui arrivait sur le côté, sortant brusquement d’un bosquet, et je la percutais de plein fouet. Le poids de mon armure et de mes armes m’aida à rester plus ou moins debout, mais la deuxième victime de se malencontreux carambolage eu moins de chance et tomba à la renverse. Je m’empressais donc de venir en aide à la silhouette, sans prendre conscience que le pansement improvisé s’était arraché, découvrant la récente plaie qui saignait toujours.

« Veuillez m’excuser, tout va bien ? » Dis-je sur un ton presque inquiet.

Je m’aperçus alors de qui j’avais malheureusement bousculé. Orfraie Ataliel, bien sûr, il fallait que ce soit elle. Je m’inclinais alors brusquement devant elle, genou à terre, ma main ensanglantée sur le genou et la tête baissée. Au moins, j’avais finalement pu la trouver, mais j’aurais clairement préféré que ce soit en de meilleurs circonstances.

L’on aurait pu dire que l’ancienne princesse rasait les murs pour peu qu’il y en eut vraiment. Aussi silencieuse et agile qu’un chat, elle se mouvait avec aisance dans les ombres du jardin, cherchant à ne pas attirer l’attention sur sa personne. L’Elfe semblait l’avoir entendu, l’espace d’une seconde, mais son haussement d’épaule rassura Orfraie quant à sa discrétion et celle-ci poursuivit son chemin permis la verdure. Malheureusement, une odeur bien familière vint sournoisement chatouiller les narines de l’immortelle, qui ne put s’empêcher d’humer cette douce flagrance avant de froncer le nez. Il s’agissait de sang Elfique immunisé et l’odeur qui s’en dégageait n’avait – finalement - vraiment rien d’alléchante. Tant mieux, quelque part !

Décidant de ne pas jouer avec le feu, toutefois, – bien que cette idée fût amusante – Orfraie s’éloigna davantage et cessa de respirer jusqu’à chasser toutes pensées trop sanguinaire de son esprit de nouvelle née. Malheureusement, perdue une fois de plus dans ses pensées, elle ne fit pas attention à son chemin et percuta de pleins fouets celui-là même qu’elle avait souhaité éviter. Perdant l’équilibre, la princesse des ombres parvint – fort heureusement pour son ego – à rapidement se stabiliser, aidée par la main tendue de l’Elfe qu’elle accepta malgré tout. Son ton inquiet poussa Orfraie à lui accorder toute son attention, mais lorsqu’elle s’apprêta à lui répondre elle eut la surprise de le voir s’incliner, genoux à terre.

La surprise s’était peinte sur les traits harmonieux de celle qui fut jadis la princesse Ataliel. Elle ne bougeait plus et observait cet Elfe avec stupéfaction, ce dernier étant le premier à la considérer comme étant toujours membre de la royauté.

« Je vais bien, je vous remercie de vous en inquiéter. Mais par Dracos, relevez-vous. » Lui demanda t-elle avec douceur, lui offrant même sa main pour l’y aider.

Elle avisa alors la blessure de l’Elfe et tira doucement sur la main de ce dernier, rapprochant la peau meurtrie de ses lèvres délicieusement pulpeuses. Le souffle de la Vampiresse caressa alors la paume blessée et, en l’espace d’une seconde, la coupure avait disparu. Orfraie serra doucement la main anciennement coupée, puis la relâcha doucement tandis qu’elle posait ses glaciers sur le visage de l’Elfe, qu’elle devina bien plus jeune qu’elle.

« Même si je crois qu’il n’est pas nécessaire de le faire, laissez-moi me présenter : Orfraie Ataliel, Dragonnière de Jade. » Elle s’inclina à la façon des Elfes mais se releva aussitôt fait. « Pardonnez ma surprise, mais je n’ai plus l’habitude d’être considérée comme… avant. Puis-je connaître votre nom ? » Demanda-t-elle finalement avec un léger sourire qui laissa paraître l’extrémité de ses crocs, bien que dans la pénombre il fut difficile de les apercevoir.

Sort utilisé sur la blessure - Magie Vampirique / Niveau très faible:

Lorsqu’elle me demanda de me relever, je levais les yeux vers elle. Ses traits semblaient teints d’une certaine surprise donc je ne connaissais pas l’origine. Etait-ce ma main en sang qui l’avait stupéfaite ? Non. Définitivement non. En y réfléchissant, la réponse paraissait presque logique. Je m’étais agenouillé presque par instinct devant quelqu’un qui, aux dires de rumeurs qui parcouraient Estëllin, avait été corrompu par le peuple de la nuit. L’ancienne princesse Elfique n’était pas vraiment la cible de la sympathie de ses anciens pairs, bien au contraire. Beaucoup considéraient cet acte comme de la trahison pure et simple. Pourtant, je n’en voyais pas spécialement la raison. Elle avait toujours été une princesse aimée de son peuple et, même si sa nature fondamentale avait changé, je n’avais aucune raison de ne pas la considérer de la même manière que mon peuple l’avait toujours considérée. La raison était assez simple : je n’avais aucune aversion pour le peuple de la nuit, ni pour le peuple humain de toute façon. Malgré les différences intrinsèques à nos races, nous étions semblables sur bien des points et il n’y avait pour moi que les actes qui permettaient de juger une personne. Ainsi, comment vraiment en vouloir à la Dragonnière puisque, après tout, je ne savais presque rien d’elle.

Je saisissais alors la main tendue de la liée. Sans vraiment m’en aider pour me relever, mais je considérais qu’il n’était que politesse de répondre à son geste. En revanche, je ne m’attendais pas vraiment à ce qui suivi. Tout en tenant délicatement ma main dans la sienne, elle souffla sur ma légère blessure qui sembla cicatriser en quelques secondes. J’avais maintes et maintes fois entendu parler des capacités de régénération des vampires, mais je n’en avais encore jamais été témoin. Reconnaissant, je répondais à ses interrogations.

« C’est un honneur de vous rencontrer Dame Ataliel, je me nomme Seö Wënmimeril. Comme vous le devinez probablement, j’ai souvent pu suivre vos différents exploits et j’ai énormément d’admiration pour vous. » Je marquais une courte pause. Mes manières n’étaient sans doute pas vraiment celles à tenir en présence d’une personne de son rang mais je n’en avais pas non plus l’habitude. « Je ne vois pas la raison pour laquelle je ne devrais pas vous considérer comme je l’ai toujours fait, même si ça ne semble pas être de l’avis de tous mes pairs. » Je lui souriais doucement, dévoilant la simplicité et l’authenticité de mes paroles.

Je jugeais en effet que mon peuple était bien trop dur avec celle qu’ils avaient tant admirée et adulée par le passé. Certes, si l’on se référait aux pensées conservatrices de ma race, devenir un vampire, pour un elfe, était en quelque sorte quelque chose d’encore plus puissant que pouvait l’être une trahison. Une sorte de punition suprême. Mais le monde avait changé, lui aussi, et il était également grand temps que ces conflits finissent par cesser.

Se faire traiter avec tant d’égard était terriblement troublant pour l’ancienne princesse des Elfes si récemment désavouée. Elle n’était plus habituée à tant de respect de la part d’un Elfe et son trouble se traduisit par un rire nerveux, ses doigts venant de perdre, l’espace d’un instant, dans ses longues mèches lie-de-vin qu’elle vint rabattre en arrière sur le sommet de son crâne.

La seconde d’après, le jeune Elfe saisissait la main tendue et s’en aidait pour se relever, bien qu’il n’en ait certainement pas besoin en fin de compte. Ils mesuraient tout deux à peu près la même taille, bien que la stature de l’Elfe fut plus imposante là où Orfraie était toute fine. Il possédait aussi de beaux marrons aux reflets d’ambre et la couleur de sa chevelure formait un contraste saisissant avec sa peau mate, un peu comme les mèches lie-de-vin de la vampiresse qui étaient si vives par rapport à sa peau très claire, presque diaphane. Un dernier coup d’œil et Orfraie nota la présence de cicatrice à la base de son cou, un autre point commun qu’ils partageaient puisque la joue de l’ancienne princesse était marquée par deux fines cicatrices à peine visibles.

La voix du jeune Elfe était agréable et sa façon de parler franchement, sans fioritures, plu immédiatement à l’ancienne générale des Rôdeurs. Celle-ci se permit donc un sourire – qui dévoila l’extrémité de ses crocs – avant de répondre d’un ton emplit de douceur.

« Le plaisir et l’honneur sont partagés, Nethedhel*. T’entendre prononcer ces mots est une véritable source de joie pour mon vieux cœur blessé. » Fit-elle avec une étonnante sincérité, passant naturellement au tutoiement comme elle le faisait autrefois avec les jeunes Elfes auxquels elle dispensait son savoir et sa sagesse.

Son sourire était mince, un brin mélancolique, mais bien présent. Les Elfes comme Seö étaient autant de sources de bonheur pour Orfraie, qui voyait en ces personnes un mince espoir de retrouver un jour ce qu’elle avait perdu, à commencer par son peuple.

« Tu es fort bien équipé pour une balade en ville. » Nota l’ancienne Rôdeuse, bien qu’il s’agît d’une évidence. « Tu ne vis pas à Estëllin, je me trompe ? »

Car même elle, qui avait toutes les raisons du monde d’être sur ses gardes, ne se promenait pas aussi bien armée et protégée.

---

* Nethedhel = Jeune Elfe (Neth = jeune ; Edhel = Elfe)

La princesse semblait particulièrement touchée par mes paroles. A bien y repenser, il est vrai qu’elle n’avait pas du beaucoup entendre des paroles aussi respectueuses qu’étaient les miennes ces derniers temps. Ce n’était toutefois pas de ma part une fausse hypocrisie, juste une pensée claire et peut être simpliste qui résumait d’ailleurs assez bien mon état d’esprit. A cause, ou plutôt grâce, à mes voyages et à ma vie principalement menée parmi les humains, j’oubliais souvent à quel point deux elfes en apparence très semblables pouvaient connaitre une différence d’âge aussi élevée. C’est pourquoi, lorsque je l’entendis m’appeler Nethedel, je ne pus m’empêcher d’être surpris. Du moins un instant. Elle paraissait pourtant si jeune, et sa transformation, ou plutôt son changement de nature profonde, n’occultait en rien sa beauté tant réputée. Presque naturellement, je lui souriais en réponse, ne portant guère importance aux crocs visibles qu’elle avait dévoilés. J’avais finalement plus l’habitude de côtoyer des membres du peuple de la nuit que d’autres elfes, et je ne remarquais plus du tout cette différence physique notoire, que je reléguais inconsciemment au rang de détail.

« Je suis ravi que mes pensées vous apaisent, Dame Ataliel. Sachez que je suis en profond désaccord avec la plupart de mes compatriotes à votre sujet, et, connaissant moi-même bon nombre de représentants du peuple de la nuit, je ne peux pas vraiment constater de différences entre votre ancienne vie et la nouvelle. A part… peut-être un penchant vers la viande très rouge plus prononcé… » Cette tirade était faite sur le ton de la plaisanterie, mais je me rappelais bien rapidement à qui je m’adressais vraiment. Il était vrai que son tutoiement que je devinais instinctif m’avait mis à l’aise, mais nous n’étions quand même pas de la même classe sociale, et je devais conserver un respect impeccable dans mes paroles. Je me reprenais donc rapidement, ne perdant toutefois pas mon sourire, avant de poursuivre. Sa question sur mon équipement et sur mes « origines » me déstabilisa quelques peu. Je me mis à penser que, peut-être, mon accoutrement et mon comportement révélaient suffisamment mes origines modestes et surtout une méconnaissance flagrante du protocole à observer dans la capitale elfique. Méconnaissance qui devait surement pouvoir gêner mes compatriotes peu habitués à quitter le royaume sylvain.

« En effet, c’est ma première visite à Estëllin. Cela explique surement mon comportement cavalier et ma méconnaissance protocolaire qui, j’espère, ne vous on en aucun cas causé de gêne. » Je m’inclinais légèrement, comme pour m’excuser, avant de reprendre. « Si je suis ainsi équipé, c’est simplement que je viens de loin et que je m’apprête à reprendre la route. Je n’ai pas vraiment de logement dans la capitale, et je suis donc obligé de transporter mes affaires avec moi. Cela n’est en rien lié à une vigilance inadaptée ou mal placée, même si je suis conscient de l’impression que je donne de prime abord. »

Je peinais légèrement à trouver mes mots, réfléchissant au sens de mes phrases pour ne pas froisser la princesse. Je n’éprouvais pas de gêne mais je faisais de mon mieux pour lui vouer le respect qui lui était du.

Faire sortir les Elfes de leur vision du monde étriquée était une tâche ardue – que certain dirait même impossible – mais Orfraie gardait l’espoir d’y parvenir un jour ou, au moins, d’emmener son peuple sur ce chemin tandis que d’autres prendraient sa suite. Harthea, par exemple. Mais en attendant, Seö offrait à l’ancienne princesse un instant d’apaisement. Avec le jeune homme, elle ne se sentait pas obligée d’être sur ses gardes, de se méfier. Bien sûr, ancienne Rôdeuse, elle gardait toujours un œil sur son environnement ou ses interlocuteurs, mais bien moins intensément que d’ordinaire.
Ainsi les mots du jeune Elfe firent davantage sourire l’ancienne générale. Premièrement, il était en désaccord avec la plupart des elfes vis-à-vis d’elle, ce qui ne pouvait que le rendre agréable aux yeux de l’Ataliel, et deuxièmement il connaissait de nombreux vampires et avait l’habitude de côtoyer le peuple de la nuit. Son trait d’humour fit doucement rire Orfraie, qui sourit de plus belle.

« Tu sors de l’ordinaire et cela fait plaisir à entendre. Tu es bien le premier Elfe que j’entends dire qu’il n’y a pas vraiment de différence entre un Elfe et un Ancestrale. »

Mais entre un Elfe et un simple Vampire, les différences étaient bien plus nettes, ne serait-ce que d’un point de vue physique. Pour ce qui était d’Orfraie, effectivement, cette dernière n’avait pas vraiment changé. Sa peau s’était éclaircie et ses crocs avaient poussé, mais voilà tout…

Le jeune Elfe aux cheveux de neige reprit, expliquant qu’il s’agissait de sa première visite à Estëllin. Ce fait piqua au vif la curiosité de la vampiresse, qui se promit d’essayer d’en savoir davantage. Quant à ses excuses vis-à-vis du protocole, Orfraie les balaya d’un geste. Elle se moquait bien qu’il s’incline devant elle. Tout ce qui lui importait était d’être respecté comme n’importe quelle personne… Elle ne demandait même pas à ce qu’on lui parle en fonction de son statut de Dragonnière.

« Je comprends. Ne t’inquiète pas, mortelle ou immortelle je n’ai jamais étais très à cheval sur le protocole. » Lui avoua t-elle avec un sourire, tandis qu’elle nouait ses mains devant elle au niveau de son ventre. « Rare sont les Elfes qui vivent loin de leur peuple, mais pour avoir longuement voyagé dans ma jeunesse je ne peux qu’approuver. Où quant tu te rendre, si cela n’est pas indiscret de ma part ? » Lui demanda t-elle en lui offrant un léger sourire. « Peut être devrais tu investir dans une sacoche des ombres. Elles sont sans fond, tu peux donc mettre absolument tout dedans. Moi-même, je ne m’en sépare jamais et ai ainsi tout mon équipement avec moi. » Fit-elle en tapotant la sacoche en cuir qu’elle portait à sa ceinture. « J’ai même une armure de rechange la dedans ! »

Et elle lui sourit de plus belle, riant doucement.

Je ne pus m’empêcher de sourire à l’ancienne princesse lorsqu’elle m’avoua que j’étais un elfe particulier. Non pas que j’étais spécialement d’accord, ou que je m’en enorgueillissais, mais ce n’était surtout pas la première à me dire ça. Toutes les personnes que j’avais un tant soit peu fréquentées à Estëllin ces derniers jours m’avaient à peu près tenu le même discours. Pour moi, c’était parfaitement normal, étant donné que je ne n’avais pas vécu parmi les miens depuis longtemps. J’étais donc sans doute beaucoup plus à l’écoute, et peut être même à l’aise, avec les autres peuples que je connaissais maintenant assez bien. Elle, se son côté, semblait avoir pris ma blague sur son éventuel gout pour la viande en riant. Visiblement, elle devait fort bien s’accoutumer à sa nouvelle nature. C’était une question que je m’étais d’ailleurs posée au hasard un jour. Finalement, même si son ancien peuple lui tournait le dos à présent, personne ne s’était vraiment interrogé sur ce qu’elle avait pu ressentir de son côté. Je balayais ses idées de ma tête, avant de lui sourire à nouveau et de lui répondre.

« Où je compte aller ? Et bien… C’est une bonne question. Finalement, les seules personnes de qui je suis proche sont une famille de forgerons humains que j’ai rencontrée à Aigue Royale. Et j’ai promis de leur rendre visite prochainement donc… Je pense faire un tour à Caladon pour les rejoindre. Et après ça, comme d’habitude, je n’en ai absolument aucune idée. » Dis-je sur un air amusé. Il était vrai que quand je voyageais, je me laissais finalement souvent porter au gré des rumeurs et de mes diverses intuitions. « Et pour le sac… j’avais entendu parler de ce genre d’équipement mais je préfère souvent porter mes affaires directement avec moi. Effectivement, ici, cela peut paraitre déplacé, mais j’ai souvent eu à voyager seul à travers Armanda alors que le continent était en guerre, et je suppose que c’est simplement une habitude que j’ai conservée. »

Je souriais à la dragonnière. Sa simplicité et sa sincérité engageaient tout de suite à la discussion, et on en oubliait presque son rang social. Puis soudain, il me revint brutalement en tête la mission que m’avait préalablement confiée Sinestra. Ne souhaitant pas inquiéter plus que de raison l’ancienne princesse, je posais mon bardage au sol et fouillais dans les poches de ce dernier pour en ressortir la lettre que j’avais précieusement conservée. Je me relevais donc, et tendais la lettre à Orfraie, tout en ajoutant.

« J’avais oublié. J’ai rencontré Sinestra il y a quelques jours et elle m’a chargé de vous dire qu’elle était partie pour Gloria afin de régler les dettes de sa famille. Elle a aussi laissé ça pour vous. » La lettre toujours en main, j’attendais qu’elle ne s’en saisisse pour éventuellement lui donner plus de détails si elle en avait besoin.

Quelle présence rafraîchissante, songea l’Ancestrale une fois de plus. Le compliment que Orfraie venait de faire au jeune Elfe semblait plaire à ce dernier au vu du sourire qu’il lui offrait. Mais plus encore, quelque part, l’Ataliel se doutait qu’elle n’était pas la première à lui tenir un tel discours. Toutefois, la Dragonnière ne poussa pas davantage sa réflexion, car le jeune Seö reprit la parole afin de lui répondre.
Les lèvres charnues et tentatrices s'étiraient une nouvelle fois. Orfraie connaissait ce sentiment de ne pas savoir où se rendre ensuite sans jamais avoir, pourtant, peur de l’avenir. C’était un mode de vie qu’elle avait longtemps expérimenté au cours de sa longue vie, qui atteignait presque les sept cent ans désormais.

« Tu as donc fait partit de la Rébellion de Korentin, toi aussi. » Releva la vampiresse avec un sourire. « Caladon est une belle ville, pleine de vie et d’opportunités. Mais cela, tu le sais déjà »

Orfraie, pour sa part, avait eu une unique occasion de visiter la ville commerçante, quelques mois plus tôt. C’est en participant à la première livraison du Commerce Écarlate qu’elle avait eu l’opportunité de voir Caladon de ses propres yeux, mais aussi Dureroc.

« Je comprends. » Fit-elle ensuite lorsque le jeune Elfe expliqua qu’il préférait porter ses affaires sur son dos. « Si tu voyages souvent seul, montrer que tu es bien équipé peut permettre d’éloigner les brigands, qui ne prendront pas le risque de s’attaquer à toi. Mais cela peut être à double tranchant. »

Mais cela, une fois de plus, Seö devait le savoir et, peut être, l’avait-il expérimenté. Pour autant, Orfraie lui souhaitait d’arriver à bon port sans encombre.
Puis, alors que le jeune elfe posait son bardage au sol, l’ancienne princesse Elfique haussait un sourcil, curieuse. Que cherchait-il si soudainement ? La réponse vint rapidement lorsque, se redressant, Seö tendit une lettre. Sans réfléchir, la Liée referma ses doigts sur le parchemin.

« Sinestra ? À Gloria ? Pourquoi ne m’a-t-elle pas prévenue ? » Demanda t-elle, un pli soucieux barrant son front tandis qu’elle ouvrait la lettre pour en parcourir les premières lignes.

HRP : Je ne peux deviner le contenu de la lettre, alors quel est t-il hihihi ?

La dragonnière semblait s’être considérablement détendue en ma présence, comme je l’étais moi-même. Elle semblait avoir eu finalement une histoire assez proche de la mienne, quoique bien sûr bien plus longue, et c’était agréablement plaisant. Et puis, contrairement à ce que j’aurais pu penser au vu de la différence de rang social qui nous séparait, elle ne me prenait nullement de haut. Elle devait finalement avoir autant voyagé que moi ainsi, je ne m’étonnais nullement lorsqu’elle montra qu’elle connaissait bien Caladon, ainsi que la rébellion de Korentin Kohan.

« Effectivement, mais je ne faisais pas vraiment partie de troupes armées. Etant un enchanteur, j’aidais simplement mon ami forgeron pour fournir des armes à nos alliés. Je m’étais promis de rester loin des combats mais, quand vous êtes dans une capitale rebelle dans une période aussi tendue, il fallait clairement s’attendre à ce que ça ne soit pas aussi simple… » Je souriais à l’Ataliel, même si ressentais encore beaucoup de chose à propos de cet évènement, j’essayais d’en laisser paraitre le moins possible. « Mais vous avez indéniablement raison, Caladon est une belle ville et est surtout promise à un grand avenir. » Je souriais à Orfraie doucement. C’était un lieu qui me tenait à cœur, et peut être le seul réel point d’accroche que je pouvais avoir en Armanda.

En ce qui concernait le port permanent de mes armes, elle n’avait pas totalement tort. En réalité, je n’avais jamais eu de problèmes mais je concevais que ça puisse être une possibilité. « Et bien, disons que, même si le continent est plus sûr, au vu de ce que nous avons traversé ces dernières années, je préfère rester un peu prudent… » Je lui répondais sur un ton un peu plaisantin, ne voulant pas non plus paraitre trop paranoïaque, puisque ce n’était pas le cas.

Je la laissais alors lire la lettre de Sinestra, en observant son visage se durcissant légèrement, témoignant de son inquiétude. J’attendais qu’elle ait fini, puis je lui répondais.

« Et bien, de ce que j’ai compris, elle a une dette à régler et souhaite se débrouiller seule. Je lui ai bien sûr offert mon aide, si toutefois elle en avait besoin, mais elle a refusé malheureusement. La meilleure aide que je pouvais alors lui apporter était de vous porter rapidement ce message car, vu les circonstances probables de cette rencontre, je pense qu’il faut que vous vous montriez prudente. » J’étais quelqu’un de pragmatique, qui ne mâchait généralement pas ses mots dans ces circonstances. Je connaissais surement mieux la situation que la lettre ne le laissait paraitre, et il était de mon devoir d’avertir le mieux possible la dragonnière.

Lettre a écrit:

La lettre dit simplement que Sinestra est partie à Gloria pour régler une dette de famille, et qu’il ne faut pas qu’Orfraie s’inquiète. Elle mentionne également la légère colère de la jeune femme vis-à-vis de sa mère adoptive, car elle n’a pas pu la revoir depuis un certain temps.