¤ Tomber du ciel ¤

La lame s'était levée de manière adroite avant de s'approcher avec férocité du corps d'Alford. Imprégnée de la rage et de la haine de son manieur, l'épée avait finalement atteint la chair du protégé de Verith pour s'enfoncer profondément avant de se retirer. Le sang gicla et le marcheur de Väsà s'effondra sol. Les images commencèrent à s'étioler doucement avant d'être recouvertes par un voile d'ombre. Juste après, l'esprit du dragon rouge fut parcouru d'un soubresaut de colère tandis qu'il fait apparaitre l'image d'Ashy et de son lié, ce Korentin Kohan. La défaite d'Alford Gorder lui avait été rapportée plusieurs jours auparavant, de même que ses images. L'humain était tombé lors de ce combat et était décédé de cette blessure. Du moins c'est ce que beaucoup pensaient croire. Mais Verith lui n'y croyait pas. Ou plutôt, il ne voulait pas y croire. Il devait être certain à cent pour cent que le corps d'Alford Gorder était froid et sans vie avant d'accepter le décès de ce dernier. Un décès qui ne serait sans conséquence pour le colérique. Un décès qui s'il était avéré guiderait ses prochains actes et le pousserait à prendre deux vies. Celle d'Ashy et de son lié. Trois ans auparavant, Verith et la petite émeraude étaient convenus d'un marché. Seule elle possédait le droit de tuer Alford Gorder, mais à la condition de l'écouter et de s'assurer de sa culpabilité. Or, ce marché n'avait pas été respecté. Le lié de Korentin avait allègrement craché sur l'entente des deux dragons et avait probablement tué Alford.

Verith rugit intérieurement alors qu’il était dans le ciel, volant à basse altitude, le museau redressé et pointé vers l’avant reniflant l’air ambiant. Que son protégé soit mort ou non, le dragon de l’ire devrait de toute manière mettre la patte sur Ashy et son lié pour leur apprendre ce qu’il en coûte de rompre une parole donnée. Il avait peut-être dit à cette dernière de ne plus lui faire confiance, mais les ententes qu’ils avaient pu faire n’étaient pas pour autant dissoutes. Lors de leur dernière rencontre, le rouge avait dit que la petite verte avait gagné son respect, peut-être était-il allé trop vite en besogne. Une chose était sûre, le rouge été terriblement déçu. Lui qui pensait qu’Ashy parviendrait à lui offrir une meilleure image des dragonniers liés. Mais au final il n’en était rien. Cela lui apprendrait à avoir voulu se montrer gentil avec les dragons liés. Ces dragons corrompus.

Voilà presque un mois que le colérique volait dans la partie Est du continent, longeant par moments la lisière des esprits qui protégeait le désert. À plusieurs reprises il avait trouvé une trace, ou plus exactement l’empreinte de l’odeur de son protégé. Mais bien rapidement, la piste s'était étiolée sous ses yeux. D’autant plus que Vraorg n’avait rien fait pour faciliter le début de ses recherches. Donnant ainsi l’opportunité à de potentielles pistes de disparaitre à jamais. Fort heureusement, il avait fini par obtenir une raison de parcourir le continent et ainsi faire ses recherches. D’après le Blanc, les esprits se trouvaient sur Armanda et étaient à la recherche de quelque chose. De quoi cela il ne savait pas et il avait chargé le colérique de trouver. Ou plus exactement de trouver les esprits. Mais le rouge n’avait à l’heure actuelle aucune envie d’obéir au dragon d’Edwyn, non pas qu’il en ait eu envie une seule fois d’ailleurs. Cette mission était donc l’opportunité parfaite.

Ces derniers jours, l’enfant de l’orage s’était de plus en plus enfoncé dans les terres sauvages de l’Est, sous l’entière domination de Vraorg par ailleurs. Il approchait lentement mais surement de l’ancien royaume vampirique. Là où le Blanc avait retrouvé sa liberté. Cela ne ravivait pas de bon souvenir. Mais l’odeur d’Alford qu’il était parvenu à capter se faisait plus forte dans cette direction. Le fait que cette dernière semble se déplacer donnait bon espoir qu’il soit encore en vie. À moins quelqu’un ne s’amuse à déplacer son cadavre. Ce qui n’étonnerait pas vraiment Verith, les bipèdes avaient un esprit particulièrement tordu. Le flair n’était toutefois pas l’unique moyen à la disposition de Verith pour retrouver son protégé. Son esprit et plus particulièrement sa malédiction l’aidait grandement. Il laissait cette dernière se déployer totalement, sans chercher à la retenir ou du moins lui faire obstacle avec son esprit. L’avantage était qu’il n’y avait que très peu de bipèdes là où ils se trouvaient. Le plus gros était concentré aux portes du protectorat. Il pourrait donc aisément localiser Alford s’il se trouvait là.

Au loin la nuit commençait à montrer le bout de son nez, recouvrant d’un voile d’obscurité le ciel. Mais à l’horizon demeurait le soleil qui lentement se couchait. Il était d’un rouge vif et l’horizon était orangé, comme si le ciel avait pris feu à cet endroit-là. Un spectacle qu’aurait assurément apprécié de voir Verith, malheureusement ses yeux demeuraient sans lumière pour les éclairer. Il aurait tout le temps d’observer les merveilles de la nature, et à leur juste valeur, le jour où il se serait vengé de Vie et lui aurait arraché de lui rendre ce qu’il lui avait subtilisé. L’esprit du dragon rouge s’égara un peu. Alford n’était pas le seul de ses protégés à avoir disparu. Le Corbeau non plus n’était pas revenu de la bataille. Néanmoins sa mort ne lui avait pas été rapportée. Par ailleurs, il n’était pas le seul à ne pas être rentré. Tous les marcheurs n’étaient pas retournés auprès de Vraorg. Peut-être que les esprits les avaient libérés. L’enfant de l’orage ne pouvait espérer que cela pour le Corbeau. Mais une fois qu’il aurait éclairci le cas d’Alford, il partirait à le rechercher de ce dernier pour savoir ce qu’il lui est arrivé.

Doucement, Verith commençait à fatiguer. La traque était un exercice qu'il maïtrisait, mais là il n'avait aucune idée de l'endroit où pouvait se trouver son gibier, il se devait donc de maintenir un vol lent à basse altitude. Ce qui était bien plus épuisant. Cependant, l'odeur qu'il avait perçue se faisait de plus en plus forte. Il devait approcher du but. Sa malédiction néanmoins ne captait toujours rien, mais cela viendrait. Oui c'est ce que pensait le rouge, il en était persuadé. Il s'apprêta à se poser pour laisser reposer ses ailes et peut-être continuer en marchant avant de s'arrêter pour la nuit quand il sentit un esprit. Un esprit qu'il connaissait. Un esprit avec des sentiments dont il connaissait l’auteur. Alford, il était là, il le ressentait, il était donc bien vivant ! L'enfant de l'orage battit furieusement des ailes et accéléra, fonçant droit sur la présence qu'il avait détectée. Son armure qui le recouvrait l'entourait d'un vaste nuage noir qui donnait l'impression dont une nuée de ténèbres se déplaçait. Le colérique prit un peu d'altitudes avant d'amorcer une descente rapide.

En un sifflement violent, produit par le frottement du vent contre ses ailes, il s’approcha de sa cible et vint atterrir à proximité. La terre trembla sous son poids, les arbres craquant, tandis que la zone vint entièrement se recouvrir d’un voile noir qu’aucune lumière ne pénétrait. Les ténèbres vinrent cependant se dissiper, laissant l’éclat de l’horizon en feu se rependre, le nuage noir semblant absorber par l’armure que portait le dragon rouge. Bientôt, il se révéla au bipède qui se trouvait là.

« Je n’apprécie pas que mes protégés se fassent passer pour mort, Alford Gorder ! »

L’esprit de Verith s’étendit jusqu’à celui de Gorder et lui donna une pichenette mentale, pouvant s’apparenter à une petite tape derrière le crâne que pourrait donner un professeur à son élève.

« Ça n’a pas été facile de retrouver ta trace, mais le flair d’un dragon est aussi perçant que son regard. Je suis content de savoir que tu es bel et bien vivant. Et non mort comme tout le monde le prétend. »

¤ « Ils » ¤

Après presque un mois de recherche, Verith venait enfin de mettre la main, ou plutôt la patte sur Alford Gorder. Il n'avait pas été facile à trouver. Heureusement que le dragon rouge pouvait compter sur son flaire développer à force d'entrainement à la traque lorsqu'il était jeune, mais également à la malédiction que lui avait infligée Vie. Finalement, après trois ans passés à la subir, il avait réussi à trouver un peu de bonheur dans son malheur. Bien qu'elle présente de nombreux désavantages et qu'elle soit particulièrement pénible, le fait de pouvoir ressentir les émotions d'autrui pouvait s'avérer bien utile parfois. Mêler à son esprit qui avait gagné en puissance à force d'avoir fait front contre ces sentiments envahissant et la souffrance qu'il avait pu endurer, cela pouvait s'avérer être une arme ou tout du moins un outil bien efficace. Cela n'entrainera toutefois pas l'amoindrissement de sa vengeance contre l'esprit de la Vie le moment venue. Cependant, Verith savait que plein potentiel de cette malédiction n'avait pas encore été exploité. Il était un ennemi contre lequel son empathie infligée lui serait d'une grande aide. Et cet ennemi approchait, le rouge le pressentait, doucement, mais surement les chimères progressaient, leur heure approchant aussi surement que la défaite des esprits. La seule chose qu'espérait l'enfant de l'orage, s'était pouvoir transpercer Vie avec ses griffes avant que la vision du futur qu'il avait perçu avec Edwyn ne se réalise.

Verith posa le regard, ou plutôt le museau, sur son protégé en cavale. Donnant l'impression de l'observer malgré ses paupières closes. Il avait bon nombre de questions. Mais il pensait pouvoir répondre à certaines. Pourquoi s'il était en vie, ne s'était-il pas rendu au protectorat. Oh certes, il y avait le lié d'Ashy qui l'avait transpercé, mais de l'autre côté de la lisière des sept frères se trouvait des elfes, humains, vampires et Alayiens qui coexistaient depuis maintenant quelques années. Le rouge se doutait bien que les esprits avaient dû intervenir pour les forcer à vivre en paix durant la guerre contre Vraorg. Dans ce cas, Verith pensait que les esprits auraient fait de même pour Alford Gorder et Korentin Kohan, les contraignant à coexister sans que le second ne veuille tuer le premier. Et pourtant, celui qu'on appelait « aux mains souillées » n'était pas au protectorat, mais bien devant. Il était inutile de se demander pourquoi il n'était pas retourné en théocratie. Il avait la chance d'avoir pu échapper à Vraorg il faudrait être stupide pour retourner dans la gueule du tyran. À la place de cela, l'humain était parti à l'Est, loin à l'Est. La logique aurait voulu qu'il parte au contraire à l'Ouest, par-delà la ville appeler Aldaria. Ainsi il serait encore plus loin de Vraorg et des éléments actuels de la guerre. Mais non, le bipède était ici. Étrange non ? Fuyait-il quelque chose ? Ou au contraire cherchait-il à se cacher ? Et s'il voulait se cacher où irait-il ? Les galeries vampiriques ? Il est vrai que ça faisait une bonne cachette, mais il y avait également des vampires bien plus vieux de lui ou sa mère à l'intérieur. Des êtres qui n'étaient plus que des animaux, des bêtes. Tout ceci était étrange et si Verith devait poser deux questions elles seraient : pourquoi t'es-tu fais passer pour mort et qu'est-ce que tu fais ici ? Le rouge avait bien l'intention de les lui poser d'ailleurs. Quand …

« Je suis moi aussi très content de vous voir, très… Cela chasse pendant quelques instants, mais préoccupations quant à tout ce qui se passe… Et tout ce que je dois faire si je veux qu'ils ne me trouvent pas... »

Le colérique fronça légèrement ses sourcils draconique. « Ils » ? Qui était « ils » ? Qui cherche Alford ? Et pourquoi le cherche-t-il ? Est-ce pour cela qu’il n’est pas allé au protectorat, qu’il a fui et qu’il a été si difficile à localiser ? Instinctivement et de manière imperceptible pour un être non habitué au combat des dragons, Verith bougea lentement. Pliant et contractant légèrement ses muscles alors que ses ailes elles-mêmes étaient prêtes à se déployer pour lui permettre de faire un décollage rapide. En emportant bien sûr Alford avec lui.

« C'est une longue, très longue histoire ô noble Verith, je vous en parlerai longuement, de tous les détails... J'ai failli mourir de peu... Et je suis content de voir enfin quelqu'un digne de confiance... Je me suis encore embarqué dans une histoire qui risque de mal finir si j'échoue... Et je ne sais pas si je serais à la hauteur... »

Lentement, l’esprit de Verith vint envelopper celui d’Alford comme pour le protéger.

« Avant toute chose Alford je veux que tu retrouves ton calme. Puis tu vas répondre à mes questions. Beaucoup de choses se sont produites depuis la bataille à laquelle je n’ai pas assisté. Et encore plus de choses semblent s’être produites. Nous allons donc commencer depuis le début. Il y a des questions auxquelles il me faut des réponses, avant d’en envisager d’autre. »

Le rouge envoya une série d'images à Alford, la vision qu'on lui avait transmise, celle d'Alford en train de se faire sérieusement blesser par Korentin Kohan.

« Est-ce vrai ? Le lié d'Ashy a-t-il tenté de te tuer ? Elle et moi avions passé un marché te concernant afin de te protéger. Je dois être certain que son lié a rompu cette entente. Tu imagines bien que je n'apprécie pas qu'on foule aux pieds une parole qui m'a été donnée. »

Verith fit disparaitre les images de l'esprit de bipède avant de continuer.

« Ensuite, tu vas me dire ce qui s’est passé après la bataille. Tu es en vie, tu as donc dû être soigné. Mais plus encore, tu n’es pas retourné auprès de Vraorg. Tous les autres marcheurs des esprits ne sont pas également pas retournés auprès du Blanc. Cela signifie qu’ils ont été libérés. Puisque tu n’es pas revenu, cela signifie que tu l’es aussi. Väsà t’a donc libéré. Mais tu m’as dit qu’elle exigerait un sacrifice. Si tu es là, c’est que tu as accepté son accord. Qu’as-tu été obligé de sacrifier Gorder ? »

Le rouge griffa légèrement le sol d’une de ses griffes d’ébènes, creusant un petit sillon.

« Et enfin qui te poursuis ? Pourquoi ? Et en quoi puis-je t’aider pour abattre ceux qui te veulent du mal. Tu es mon protégé Alford. Je n’ai certes pas pu te protéger lors de cette bataille, mais puisque tu es toujours en vie, ma promesse tient toujours et je n’ai pas l’intention de me défiler. »

Beaucoup de paroles, beaucoup de nouveaux éléments, beaucoup de nouvelles considérations et autant d’interrogations qui allaient naitre dans l’esprit du grand rouge. Néanmoins, le rouge était ce soir du genre à faire chaque chose en son temps. Il est vrai que le rouge n’avait aucune idée de l’importance des révélations qu’allait lui livrer Alford. Car dans son esprit, il n’y avait à l’heure actuelle qu’une seule et unique chose qui avait de l’importance pour lui. Savoir si oui ou non le marché conclu avec Ashy avait été violé par cette dernière ou non. C’était très important pour l’enfant de l’orage qui voulait savoir si ce qu’on lui avait dit était vrai ou non. Et sur l’heure, seule la parole de Gorder ferait foi. Bien sûr, l’humain n’avait aucun intérêt à lui mentir, et quand bien même il le ferait, le rouge sentirait dès lors les sentiments contradictoires émanant de lui et le détecterait alors. Et ce n’était pas faire preuve de sagesse que de mentir au colérique, même lorsqu’on était un de ses protégés. Verith n’eut toutefois pas longtemps à attendre, car la réponse s’avéra positive. Oui, le lié d’Ashy avait tenté de tuer Alford Gorder. Le dragon de l’ire crispa alors sa mâchoire et un léger grincement dû à ses crocs s’entrechoquant se fit entendre. Dans un même temps, une colère imposante s’imposa dans son esprit.

« Tu n’es pas mort … alors le pire a été évité … mais il n’en demeure pas moins qu’une parole donnée a été violée. Je n’apprécie pas cela … encore moins venant d’une dragonne liée à qui j’ai donné une chance de me convaincre par le dialogue et non les griffes et les crocs ! La trahison n’en est que plus grave. Je lui apprendrais ce qu’il en coûte que de rompre une promesse. Voilà ce que je vais faire, Alford. »

L’ire du rouge bouillonnait dans son cœur. Comment avait-elle osé ?! Cette dragonne d’émeraude. Les liés n’étaient au final pas digne de confiance, ni de respect. Lui qui aurait apprécié d'avoir de nouveau une conversation calme et posée avec elle, uniquement lorsqu’il se serait libéré … il semblerait que la donne ait changée. Il la trouverait elle et son lié dès qu’il pourrait pour donner à ces contrevenants ce qu’ils méritent. L’ire de Verith fut toutefois happée par les paroles qui suivirent, venant par la force reléguer au second rang cette affaire.

« Väsà est morte, l'esprit du Néant n'est plus. »

La nouvelle eut l’effet d’un coup de massue sur le crâne du rouge. Une massue proportionnelle à sa taille bien entendu. Väsà était morte ? Impossible ! Elle ne pouvait pas l’être, pas déjà. Certes, Verith ne portait pas les esprits dans son cœur, mais l’ainée des huit était un peu spéciale. Quand bien même ses fidèles avaient tué sa sœur, il n’en restait pas moins que les agissements de Vraorg à son encontre avaient jeté l’opprobre sur la race draconique et en tant que membre de cette race, il se devait de réparer l’affront en lui venant en aide afin de nettoyer la dignité des siens. Mais, l’esprit du Néant était déjà mort. Verith sut que le bipède ne lui mentait pas au travers de sa malédiction. Et quand bien même quel serait l’intérêt de dire cela ? L’enfant de l’orage digéra difficilement la nouvelle, se faisant violence pour rester attentif à la suite. Le contrat originel ? C’était la première fois qu’il en entendait parler. Apparemment Väsà l’avait confié à Alford et ce dernier se devait de le garder, de le protéger. Le rouge était cependant surpris et intrigué. Un contrat ? Un contrat signé par les esprits ? Mais avec qui ? Et aussi pourquoi ?

« Sinon l'avenir que vous avez entrevu Verith… Arrivera... »

Ainsi … l'avenir que le rouge avait vu avec Edwyn dépendait de la survivance d'Alford Gorder. Celui où les chimères mettaient le monde en flamme et faisant baigner les esprits dans leur propre sang. Ironie, oh cruelle ironie. La patte du rouge se figea et se contracta alors que ses paroles lui revinrent en mémoire. « Tu ne mérites rien Edwyn, aucun pardon, aucune chance, ni même le droit de sauver ce monde. Que ce monde brûle en te consumant et Vie avec ». Il l'avait dit, sa volonté de voir ce monde brûlé en emportant tous ses ennemis avec lui. Il l'avait lancé au visage d'Edwyn avec conviction. L'esprit du grand rouge fut parcouru de spasmes de colère difficilement contrôlable, alors que sa patte fut prise de léger tremblement. Il pouvait le faire. Là ! Maintenant ! Tout de suite ! Brandir sa patte et transpercer Alford Gorder de sa lame d'ébène. Mettre fin à sa vie, mettre fin à ce soi-disant contrat et plonger le monde dans sa destruction. N'était-il pas un dragon de parole ?! N'était-ce pas sa chance de la prouver ?! N'était-ce pas l'occasion de prouver qu'il était le seul à être autorisé à détruire ce monde comme il l'avait si bien indiqué à Edwyn Ruddy ?! Allez ! Il n'avait qu'un misérable et pitoyable bipède à tuer ! Même sous sa protection, une vermine reste une vermine ! L'espace d'une seconde, le rouge bougea légèrement sa patte. Il se vit alors la lever et trancher Gorder en morceaux d'un simple et unique coup. Il vit l'avenir se réaliser, il vit les esprits mourir. Tous et Vie y compris, le plus détestable de tous.

Le dragon se figea, son corps entier se figea et sa patte cessa de trembler. Depuis quelques instants déjà il avait cessé de respirer, depuis cinq minutes déjà Alford avait fini de parler et l’observait l’air interrogatif, attendant une réponse de sa part. Une question éclata dans l’esprit du rouge. Tu es un dragon de parole, tu l’as si souvent répété et clamé. Alors dans ce cas, irais-tu jusqu’à briser une promesse pour en accomplir une autre ? Tu as accordé ta protection à ce bipède, mais tu hais les bipèdes. Tu veux la disparition de ses vermines autant que tu désires la destruction du lien et la mort de Vie. Mais dans ce cas … cela signifie que tu reconnais que certaines de tes paroles valent moins que d’autres et au final … de ta parole de vaux rien de plus que du vent ! Lentement, la patte du rouge se reposa au sol alors qu’il fit un effort titanesque pour se contenir, pour contenir sa colère qui hurlait plus fort que jamais en lui. Il sentit l’interrogation d’Alford devenir plus pesante.

« Je réfléchissais … »

Le rouge finit par lâcher ces simples mots. Il redressa doucement le museau, tournant la tête pour observer le ciel. En cet instant, il aimerait bien pouvoir voir et ainsi le contempler.

« Tu as un talent pour t’enfoncer de plus en plus profond dans les ennuis, c’est indéniable Alford. Mais même si tu ne t’en rends pas compte. Tu as également une chance incroyable. Le destin semble plus t’apprécier que tu ne puisses le penser. »

En effet, il venait d’échapper de peu à la mort. C’était une certitude.

« Très bien … je ne peux laisser cela arriver. Je ne peux laisser les esprits poser la main sur un de mes protégés. Et je ne peux te laisser te faire tuer. Cela reviendrait à laisser à un autre que moi le pouvoir de détruire ce monde. »

Verith ne s’en rendait pas compte, car pour lui, le pouvoir était une chose que l’on faisait, et non que pouvait s’abstenir de faire. Mais en cet instant, il avait assurément fait preuve de cette capacité en ne réduisant par Alford en morceaux.

« Même si je le regrette, je doute être en mesure de détruire les esprits. Mais rien ne m’empêche de les confronter ou tout du moins de te gagner du temps. S’il faut, nous avons un dragon Blanc très arrogant qui ne laissera pas ses opposants avoir l’opportunité de mettre la main sur quelque chose d’aussi précieux sans se battre. Car je suppose qu’il est précieux ce contrat pour qu’il pousse les sept à te traquer ? J’ai besoin d’en savoir plus avant d’envisager un moyen de t’aider. Quel est-ce contrat ? En connais-tu les termes ? Avec qui les esprits ont-ils conclu un contrat ? Pourquoi feraient-ils cela ? Que t’a dit Väsà qui pourrait te permettre de rester en vie ? Te permettre d’empêcher ses frères de t’attraper ? Et que feraient les esprits s’ils mettaient la main sur toi ? »

¤ Le contrat ¤

La colère battait encore puissamment dans le cœur de Verith, soudainement enchaîner par la propre volonté de son avatar. Dire qu'il aurait pu la laisser s'exprimer purement et simplement. Mais même sa colère devait se plier à aux règles qu'il s'était lui-même fixé. Il n'était pas au final qu'un simple amas de colère bouillant et désordonner. Cela le rendait-il encore plus dangereux qu'il sache se contraindre pour se maitriser ? Sans doute. Il n'en devenait que moins prévisible. Le museau du rouge était toujours levé en direction du ciel. Ses paupières étaient toujours closes, mais dans ses yeux dansaient les flammes dévorantes de son ire ravageuse. Il avait l'impression de l'avoir trahi une fois de plus en ne la laissant pas s'exprimer comme il l'avait toujours fait. Ironie, oh cruelle ironie qui ne cessait depuis qu'il avait été maudit de se moquer de lui. Le jour où il parviendrait à se défaire de cette malédiction et de cette ironie qui ne cessait de lui rire au nez. Nul doute que de grand ravage aurait lieu, pour libérer cette frustration accumuler depuis autant de temps. Les crocs du dragon rouge s'entrechoquaient encore, émettant un grincement plus léger que tout à l'heure. Distraitement il écouta Alford prononcer de nouvelles paroles. Alford le bipède naïf, c'était un titre qui lui convenait à merveille. Il ne se doutait pas le moins du monde que celui en qui en semblait avoir si confiance n'avait, il y a quelques secondes, eut qu'une seule envie. Celle de le tuer sans attendre en déchirant son corps en lambeaux. S'il lui laissait voir ses sentiments, l'humain verrait le vrai visage de Verith et se montrerait nettement plus réticent à pouvoir le qualifier de personne de confiance.

« Merci. Je savais que je pouvais compter sur vous… Je peux compter sur tellement peu de monde ces derniers temps… Savoir qu'il y a quelqu'un de confiance fait chaud au cœur. »

« Je t’ai fait une promesse Alford et je ne trahis pas la parole que je donne. »

Ce qui n’est ni totalement faux, ni totalement vrai. Il ne l’avait pas tué sur l’instant. Il n’avait donc pas trahi sa promesse de le protéger. Aussi bien des autres que de lui-même, quand bien même il lui revenait à lui seul de prendre la vie de ses protégés. Mais il n’avait pas promis cette promesse de colère faite à Edwyn. Doucement, le rouge baissa la tête pour avoir à nouveau le museau pointé en direction d’Alford, ses sourcils toujours froncés, ne parvenant pas à effacer l’expression de profonde colère qui tranchait son faciès. Bientôt, les explications demandées par le colosse de flamme arrivèrent. « L’origine », ainsi il y avait quelque chose au-dessus des esprits. Un sentiment de profonde lassitude et de fatigue le frappa. Il n’était pas étonné d’apprendre cela, non il ne l’était pas du tout, pas le moins du monde même. Car il l’avait déjà envisagé. Il avait déjà envisagé qu’un être supérieur existe au-dessus des esprits. Il avait soumis cette éventualité à Edwyn Ruddy et lorsqu’il l’avait interrogé, celui-ci lui avait répondu par la négative. Encore un mensonge. Un mensonge de plus de la part de l’infâme. Cela n’étonnait guère le rouge. Il avait compris depuis longtemps que le Tarenth n’était rien d’autre qu’un mensonge incarner. Il ne l’en détestait que plus encore. Le rouge finit par rire intérieurement à cette phrase. « Mais les esprits ne sont pas sûr d'avoir réussi à guider nos races vers la sagesse ». Oh que oui, les esprits avaient proprement foiré. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais encore une fois Edwyn Ruddy avait plombé les espoirs des sept. Les Tarenth étant censé mener les races d’Armanda à la paix et correspondre à l’idéal que contrat. Ce contrat était depuis fort longtemps foutu en l’air, et les esprits ne s’en inquiétaient que maintenant ? Ils étaient encore plus pitoyables que le rouge ne le pensait. Comme quoi, eux aussi avaient peur de la mort, de la fin, de l’échéance.

Néanmoins, le rouge fut surpris d’apprendre que certains esprits souhaitaient mener à bien le contrat, le laisser se dérouler comme il devait l’être. Il fut surpris de voir que Vie faisaient partie de ces derniers. Cependant, Mort aussi voulait s’y conformer. Il savait grâce à Edwyn que Vie se conformait toujours à la volonté de son jumeau.

« Les esprits veulent donc ce contrat, car de lui dépend la création, c'était le Néant qui le détenait, et maintenant c'est moi… Néant m’a dit que je devais survivre, elle m'a dit que je devais partir d'Armanda, où je ne sais pas. Mais elle m'a expliqué un moyen de le faire… Et ensuite, participer à une quête pour trouver une certaine épée... »

Verith défronça les sourcils venant en hausser un. Quitter Armanda .Trouver une épée. Le rouge savait qu'il y avait bien d'autres terres par-delà la mer. Il ne les avait jamais visités, mais il savait qu'il existe, bien qu'il n'en connaisse pas la localisation. Ainsi donc sur un autre continent, où une autre île, se trouvait une épée, une arme capable de tenir tête aux esprits et à Vraorg. Intéressant, forcément intéressant. Savoir qu'il existait un artéfact permettant de mettre à bas les supérieurs et ceux ayant leur pouvoir ne pouvait captiver toute l'attention de Verith. Néanmoins, d'après Alford, aucuns esprits ne devaient mourir. C'était mal barré, Väsà l'était déjà.

« Noble Verith… Vraorg je présume, peux encore lire dans vôtre esprit ? Serait-il prudent que je vous dise où je vais ? Car il pourrait me traquer pour empêcher que je mette la main sur cette lame… De même si vous vous retrouvez en face des esprits ces derniers pourraient vous obliger à dire où je me trouve. Ne vaudrait-il donc mieux pas que je garde cela secret ? Je peux vous dire que je vais partir, mais où… Moi-même je ne le sais pas pour l'instant en faîte… Mais une fois arrivé là-bas je trouverai cette épée, et me cacherait jusqu'au moment voulu, et alors je reviendrai face aux esprits munis de cette lame… »

Le rouge réalisa alors toute la dangerosité de ce qui venait de se passer. Il est vrai que Vraorg pouvait lire dans son esprit. Il pouvait essayer de lui résister, mais pas bien longtemps, le Blanc était plus fort que lui. Néanmoins, Alford s'en rendait compte un peu tard, il lui en avait déjà bien trop dit, et l'arrogant avait des moyens. S'il mettait la main sur l'esprit de Verith, il saurait pour le contrat, il saurait pour l'épée. Fort heureusement pour lui, ce dernier était en ce moment même occupé. Occuper à s'attaquer à la barrière des Esprits. Et il avait confié la mission au rouge de trouver les esprits et ce qu'ils cherchaient. Il ne viendrait donc pas le harceler si tôt pour savoir où il en est.

« Tu as raison Alford, il vaut mieux ne pas me dire où tu dois te rendre. Et si tu ne sais pas toi-même où tu dois te rendre, le risque que Vraorg te retrouve en est diminué. De même pour les Esprits. Cependant, si tu dois quitter Armanda, tu dois te rendre sur une des terres par-delà l’océan. Et il n’existe pas des centaines de solutions. Je n’en connais que deux. À dos de dragon et hormis ma mère ou moi, je doute que les autres soient capables d’entreprendre un tel voyage. Ou alors tout comme Edwyn et les Alayiens, mais également les Elfes, les Vampires et les Hommes l’ont fait, à bord de ces grandes constructions qui flottent sur l’eau. Et je n’ai pas souvenir d’en avoir vu lorsque j’ai pu travers Armanda. Je crains qu’il ne te faille trouver une autre solution dans ce cas. Il doit bien en exister une troisième. »

Le rouge marqua une petite pause avant de reprendre.

« Tu sembles connaitre les mots pour me motiver Alford. Tenir tête aux Esprits. Tenir tête à Vraorg. Il y a rien qui ne me fait plus envie. J’essayerai de te gagner du temps Alford. Je trouverais bien un moyen de le faire. Si les Esprits sont eux-mêmes divisés, il me suffira d’essayer de trouver ceux souhaitant te protéger des autres. »

C'était plus facile à dire qu'à faire, mais le rouge avait déjà une petite idée en tête quant à la manière d'entrer en contact avec les Sept. Ce ne sera pas facile et il ne garantissait pas le résultat, mais il essaierait coûte que coûte. Si cela pouvait permettre de mettre des bâtons dans les roues des Esprits et de Vraorg, il le ferait, peu importe les conséquences. Après tout, il l'avait déjà fait. Lorsque la dague avait été détruite, son but premier avait été de mettre des bâtons dans les roues d'Edwyn Ruddy. Peut-être que les concernés seraient plus prompts à le prendre le au sérieux en sachant ce que le dragon peut provoquer sur un simple coup de tête.

« Oui j’essaierais. C’est un jeu risqué que de vouloir berner les esprits et les mener à faire ce que l’on souhaite. Mais Edwyn et Vraorg l’ont déjà fait par le passé. Rien ne dit que cela ne peut pas être refait. Je ne peux malheureusement garantir le résultat, ni même si j’y parviendrais. Mais j’essaierais quoiqu’il en coûte. Je peux être déterminé lorsqu’il s’agit d’enrayer un adversaire. »

Berner les supérieurs une fois encore pour mettre le destin sur de nouvelles raille. Edwyn l'avait déjà fait, mais malheureusement, il avait mené le monde sur un chemin menant à la destruction. Rien ne dit qu'il n'existe pas d'autre chemin pouvant mener vers un meilleur avenir. Les esprits, tout comme Edwyn semblent qu'ils n'existent que les voies qu'ils décident eux-mêmes. Mais le rouge en avait longuement discuté avec le Tarenth. Le temps n'est pas écrit à l'avance, il peut être modifié, modifier et encore modifier. Il persistait à croire que ce que le Tarenth voyait grâce à son dos n'était qu'un avenir possible, mais que d'autres totalement différent et même diamétralement opposer. Qu'une multitude d'embranchements existent. Et que les choix que prennent chaque créature, et pas simplement les esprits, déterminent la voie qui sur laquelle le monde s'engage.

¤ Cadeaux ¤

Berner les esprits. Voilà un exploit qui pourrait être bon à avoir dans son palmarès. Après tout, n'importe qui n'était pas à même de tromper les esprits. Deux individus l'avaient toutefois fait. Edwyn et Vraorg. Bon, ils avaient provoqué une catastrophe à chaque fois. Mais c'était une chose qui n'était pas aisée à faire. Même si sur l'heure Verith l'envisageait sérieusement, il n'était pas très à l'aise. Quoi ? Berner quelqu'un lui donnerait mauvaise consciente? Non bien sûr, ce n'est pas ça qui allait l'empêcher de dormir. C'était la méthode qui mettait le rouge mal à l'aise. Ce n'était pas son genre, ce n'était pas sa force. Ruse et fourberie n'étaient pas son lot. Non, pour Verith c'était plutôt l'épreuve de force, le conflit direct, au premier qui craquerait, qui faiblirait. Aussi n'était-il pas certain quant à ses chances de réussite si jamais il utilisait une méthode, une force plus exactement, qui n'était pas la sienne. C'était un risque, mais pouvait-il se permettrait d'augmenter les risques au vu de la situation. Peut-être pas. Sur l'heure, cela restait sa première option, jusqu'à ce qu'il en trouve un autre. Le chantage, non plutôt la négociation conviendrait mieux, même s'il cela allait à l'encontre de la ligne de conduite. Il aviserait sur le moment, sur l'heure, il en était encore loin. Et il n'avait pas toutes les cartes en main. Il en savait beaucoup, mais peut-être pas suffisamment pour agir. Verith reporta son attention sur Alford.

Väsà lui avait donné la marche à suivre, au moins elle ne l’avait pas abandonné à son sort sans lui donner quelques indications, simplement livré à lui-même avec les créatures les plus puissantes existantes à ces trousses.

« Quels qu'ils soient, qu'ils veuillent me protéger, ou non ils ne devront surtout pas savoir où je suis… Ah et autre chose… Il y a deux personnes Dawan Sywel un elfe, et Aléria Blanchécume une humaine, ils sont tous deux des Baptistrels… Ils ont un rôle à jouer dans cette histoire, d'après ce que Néant a dit ils doivent essayer de convaincre les esprits de quelque chose d'assez délicat, ils doivent donc rester en vie jusque-là. Et ils ne doivent surtout pas échouer… Lisez mes pensées je vais penser fort çà eux… »

Verith étouffa un petit grognement dans sa cuirasse avant de plonger son esprit dans celui de Gorder et venir happer les images des deux bipèdes du nom de Dawan Sywel et Aléria. Tous deux Baptistrels. Le rouge ne faisait pas confiance au Baptistrel. Il n’en avait connu qu’un, Merithyn et cela lui avait suffi pour se faire une idée de ce groupe de chanteurs. Il n’y avait rien de bon. Surtout que ceux-ci se présentaient également sous le titre de serviteur des esprits. On ne pouvait faire confiance à ceux qui se prétendent servir les esprits. Edwyn aussi le prétendait et il l’a trahi. Le rouge devrait sans doute mettre la main sur eux, mais il devrait se montrer prudent à leur égard. Le colérique resta silencieux, pensif.

« Je verrais, je trouverais bien un moyen de régler cette histoire. »

« Si nous réussissions nous aurons triomphé du destin, si nous échouons nous ne nous serons pas laissé faire au moins… Pour attirer les esprits quelque part il faudrait peut-être faire véhiculer la rumeur que je me trouve à cet endroit où quelque chose de ce genre … Avec de la pratique, on pourrait peut-être ainsi leur faire perdre du temps… Dites-moi noble Verith… Si les choses venaient à changer d'un coup en urgence... Aurais-je un moyen de vous contacter? »

L’enfant de l’orage le regarda ou plutôt sembla le regarder. Puis il leva sa patte droite et ferma le poing, le contractant avec force, le bruit de ses écailles se pressant les unes contre les autres se faisant entendre

« Je ne prendrais pas le risque de faire courir une rumeur. Celle-ci pourrait venir aux oreilles de Vraorg. Il existe d’autres moyens d’entrer en contact avec les esprits. Mais ils ne sont pas plus simples pour autant. Je vais essayer de mettre la main sur un marcheur. Esmelda serait l’idéal, le marcheur de l’esprit de la Vie. Je vais également tenter d’attrape cet elfe ou cette humaine Baptistrel. De toute manière, s’ils sont tous deux membres de ce groupe, je me servirais d’un pour attirer l’autre. Alford. Je ne possède malheureusement pas de moyen qui pourrait te permettre de me contacter. Du moins clairement. »

L’avatar de la colère serra davantage le poing puis un craquement se fit entendre. Il retourna sa patte et l’ouvrit. Une petite écaille, celle qui était née pour remplacer une offerte à Saemon, commença à tomber doucement. Elle était de couleur rouge rubis, moins terne que le grenât habituel de la cuirasse de Verith. Jeune, elle n’avait pas encore eu le temps de prendre l’éclat adéquat. La petite écaille de la taille d’un doigt humain tomba mollement au sol. Le rouge envoya son esprit et sa colère contre l’écaille pour l’en imprégner, ainsi que de sa magie.

« Je t'offre une de mes écailles, Alford Gorder. Nous ne pourrons communiquer avec. Mais si un jour tu as besoin de moi, appelle-moi de toutes tes forces. Je t'entendrais et viendrais aussi vite que possible. Elle m'aidera également à te retrouver avec plus de facilité. Néanmoins si Vraorg apprend ce qui s'est passé là, il m'utilisera sans doute pour te retrouver. Dans ce cas tu devras t'en débarrasser. »

Le rouge se coupa après la fin de cette phrase dite sur un ton dur. Quand finalement il reprit sans laisser la possibilité à Alford de rétorquer.

« Ce n'est pas une babiole ordinaire, il s'agit d'un des maillons de ma cuirasse. Prends-en soin et montres-t'en digne. »

Le ton de Verith se voulait grognon et autoritaire. Ça ne lui faisait pas plus plaisir que cela de donner une partie de lui à un bipède. Surtout que cela faisait deux fois. Néanmoins, il ne doutait pas que les individus à qui il avait pu en donner une sauraient s’en montrer digne et redevable.

« Oh … au fait Alford. J’ai quelque chose pour toi. »

L'esprit du dragon rouge vint soudainement s'abattre autour de celui du bipède, lui donnant l'impression qu'un océan entier lui tombait dessus. Verith enroula son esprit autour de Gorder, les entremêlant, avant de le tirer vers lui comme pour détacher momentanément sa conscience du plan physique. Le colérique emportant l'esprit et la conscience de l'humain avec lui, l'amenant au cœur de sa mémoire. Un brouhaha incessant régnait à ce lieu, mêlant rugissements de dragons, paroles de dragons, paroles de bipèdes. Toutes parlaient en même temps, rendant la chose impossible à saisir et faisant mal aux oreilles. Des images semblaient également défiler dans tous les sens et toutes en même temps, se chevauchant se superposant, les rendant impossible à distinguer clairement. Des sons et des sensations étaient également là, dansant une valse endiabler à rendre folle la personne qui par mégarde s'y exposerait. Le rouge protégeait l'esprit d'Alford avec le sien afin que la mémoire draconique ne se déverse pas en lui et ne le tue en remplissant son cerveau avec plus d'informations qu'il ne pouvait en recueillir. Il pouvait assister à ce déchainement désordonné mais sans la comprendre toutefois.

¤ Je ne connaissais pas grand-chose des bipèdes avant de venir sur Armanda. Uniquement ce que ma mère avait pu m’en dire. Puis ma mémoire à leur sujet à commencer à s’éveiller. Mais je n’y ai vu que les atrocités, barbarie et folie que vous avez commit. ¤

Les deux êtres s’enfoncèrent davantage dans le méandre de la mémoire draconique. Bientôt, les séries d’images changèrent, commençant à toutes correspondre, devenant dès lors un peu plus distinguables si on forçait son attention. Elles montraient Edwyn, mais également d’autres Tarenths, à une époque aujourd’hui révolue.

¤ Lorsque j’ai rencontré Edwyn, il a débloqué une partie de ma mémoire. Une partie enfouie depuis un âge. Cela ne m’a pas uniquement amené à découvrir certains évènements qui avaient pu se passer à cette période. Cela a ouvert ce qui était depuis longtemps inconsciemment clos par ma colère. ¤

Les images des Tarenth s’évanouirent et les deux compères commencèrent à s’enfoncer dans une certaine obscurité.

¤ À force de passer du temps auprès des bipèdes, à en apprendre sur vous, certains souverains vous concernant ont fait surface. Certains souvenirs où vous utilisiez la magie que nous dragon vous procurons. Les dragons n’utilisent pas la magie de la même façon que les bipèdes. Et cette magie-là ne me sera d’aucune utilité. Mais je me suis dit … qu’elle pourrait t’être utile à toi. Celui que je vais te montrer remonte à une époque où certains mages essayaient de communier avec les autres créations de Vie, les animaux. ¤

Verith et Alford s’immobilisèrent. Il n’y avait qu’obscurité et silence autour d’eux. Quand finalement, une légère lumière blanche-argenté, semblable à celui émis par un rayon lunaire, apparut. Celui-ci fut suivi d’une image qui très vite se mit à s’animer.


Quinze membres de la confrérie du dragon blanc se tenaient là, il y avait des humains, mais également deux elfes. Une feuille vint bientôt obstruer cette vision, mais une griffe surgit et vint la trancher pour la dégager. La scène se déroulait depuis les yeux d'un dragon, qui observait patiemment, visiblement très jeune. La curiosité de ce dernier était palpable. Il avait suivi et espionnait ces bipèdes depuis un moment. Les bipèdes parlaient, mais malheureusement tous les mots n'étaient pas compréhensibles, il ressemblait à du charabia ou du yaourt. C'était la faute aux affres des âges rendait ce souvenir moins distinguable. Mais certains mots parvenaient tout de même à être perçu. Des noms, sans doute ceux des humains et elfes présents. Il y avait également celui de communion, et le nom de plusieurs animaux. La vision devint un peu floue avant de revenir à la normale. Les bipèdes avaient bougé, l'un d'eux c'était avancé et semblait concentrer sa magie qui était clairement perceptible. Il s'agissait d'un humain. Une imposante force magique se dégageait de lui. Il fit des gestes de main tout en incantant quelques formules parfaitement perceptibles. Après un instant, l'humain se mit à changer ou plus exactement à se transformer. Prenant l'apparence d'un monstre, non d'une bête, d'un animal. Le corps de celui-ci se recouvrit de pelage, les ongles devinrent griffes, les dents devinrent crocs. Il se rapprochait physiquement d'un ours. Une sorte de créature mi-ours mi-homme parfaitement monstrueuse.

La vision commença à s’assombrir puis à s’atténuer afin de finalement disparaitre. Verith libéra alors l’esprit et la conscience d’Alford pour lui permettre de réintégrer son corps. Le retour serait sans doute déstabilisant. Il revenait des tréfonds de la mémoire draconique dans laquelle le colérique avait été obligé de l’immerger pour lui montrer ceci.

¤ Alliés ¤

Il y avait donc une multitude de bipèdes que le rouge devait mettre sous son joug et le plus vite possible avant qu'Alford ne soit repéré par les esprits, avant que Vraorg ne soit au fait de ce qu'il avait pu apprendre. Dawan Sywel, Aléria Blanchécume et Esmelda Kohan. Tous trois étaient des protégés et il n'avait aucune idée de l'endroit où ils pouvaient se trouver. Oh si, il en avait une … par-delà la lisère des esprits. Mais malheureusement, le rouge n'était pas en mesure de la traverser. Si ses cibles se trouvaient là-bas, le colérique allait avoir besoin d'aide. Fort heureusement, l'enfant de l'orage savait à qui il pouvait faire appel. Saemon Methus, ou le Corbeau. Ce dernier ne pourrait refuser de l'aider. Mais également Luna Duruisseau, ou Florence Beauchamp. Cette dernière ne pourrait également refuser de l'aider. Après tout, elle lui appartenait depuis qu'il lui avait sauvé la vie. Il utiliserait donc le service que cette dernière lui doit. Il lui rendrait sa vie en échange d'un service. Le rouge connaissait l'odeur de ses deux bipèdes, ils pourraient aisément les retrouver s'ils ne sont pas à l'intérieur de la barrière. Le plan d'action de Verith était déjà formé. Il suffisait juste de le mettre en place le plus rapidement possible. Alors qu'il venait de mettre fin à l'élaboration de celui-ci, le rouge emmena l'humain au sein de sa mémoire pour lui révéler quelque chose. Une chose qui, il pensait, pourrait lui servir. Il ignorait s'il parviendrait à faire ce qu'il avait vu, mais il pouvait compter sur la curiosité naturelle des humains pour essayer.

Un petit instant plus tard, l'enfant de l'orage libéra Alford de son emprise spirituelle et ce dernier reprit le contrôle de ses sens et de son corps avant d'essayer le sort qu'il venait de lui montrer. La magie de l'humain sembla s'activer. Elle était faible par rapport à nombre de bipèdes qu'il avait pu rencontrer, mais il parvint tout de même à un résultat. Verith le suivant à l'aide de son esprit. Lorsque le sort fut rompu, Gorder fut pris de fatigue. Le rouge utilisant son souffle de guérison pour le requinquer un peu. Après tout il était en cavale, il n'avait pas le luxe de se sentir faible et d'être affaibli trop longtemps. Le dragon écouta ensuite l'humain, son égo se flattant du surnom avec lequel il l'avait appelé. Soleil rouge, il est vrai que cela pouvait lui convenir.

« Je connais des personnes parmi le protectorat qui me sont redevables. Saemon Methus est le premier. Je ne devrais pas avoir de difficulté à le retrouver, même s’il a disparu lors de la bataille, s’il se trouve en dehors de la frontière des esprits. Il possède également l’une de mes écailles. Mais il existe également un second bipède qui m’est redevable. Le Corbeau m’a demandé de lui sauver la vie alors qu’elle avait été mortellement blessée par une des perles du Néant. Depuis sa vie et sa mort m’appartiennent. Mais je lui ai donné un moyen de récupérer la première. Je me servirais de cet échange pour l’amener à m’amener les bipèdes que je recherche hors de la lisière. Cela me fait penser. »

Verith concentra son esprit avant de venir le braquer à nouveau contre son écaille. Sa magie venant le frapper de plein fouet. Celle-ci vint être zébrée en son centre par une éclair couleur ébène. Le rouge manipulant sa magie et son esprit vint un forger un message. Un message qui se révèlerait le jour où Alford rencontrera Luna et qu'il a besoin d'aide. L'écaille vibra un peu alors que ses paroles l'imprégnèrent : « Je suis Verith de l'ire, je suis celui qui t'a sauvé d'une mort certaine. Par la présente, ma volonté est de venir en aide au porteur de cette écaille, Alford Gorder. En échange, ta mort te sera rendue et tu ne seras plus mon obligé. En ces heures sombres où je ne suis plus maitre de moi-même, ce message fait foi sur toutes mes paroles. Si tu dois t'opposer à moi pour protéger cet homme, fais-le ! ». Les vibrations de l'écaille cessèrent lorsque la magie du colérique eut fini d'imprégner l'écaille du message.

« J’ai gravé un message dans cette écaille. Lorsque la destinataire se présentera à toi et que tu seras en danger, il se révèlera à elle. Elle devrait dès lors te venir en aide. J’espère simplement que tu l’auras encore sur toi si jamais ce jour arrive. »

Le rouge renâcla un peu avant de cracher quelques petites flammèches par ses naseaux. Il espérait simplement que la Gamine n’est pas à s’opposer à lui si jamais il venait être celui qui menaçait Alford Gorder en suivant l’ordre de Vraorg. Ou de qui que ce soit d’ailleurs.

« Il y a fort à faire désormais. Chacun de nous deux a une tâche qu’il doit accomplir et au plus vite. Alford, il y a-t-il une dernière chose dont tu souhaites me parler avant que je n’aille tenter de retrouver les esprits pour les retarder ? »