[INTRIGUE] Crimes et Châtiments

An 5 d'Obsidienne : le 14 février

Complots, mensonges et trahisons... L'odeur fétide de ces courant de pensées ne lui avait pas chatouillé les narines depuis bien longtemps, et pourtant elles étaient là. Entre colère et jubilation, il exalait d'énormes nuages de fumée sombre qui venait obscurcir la pièce où il se trouvait. La salle du trône... Elle avait été reconstruite aux mêmes dimensions que celle des Kohan ce qui permettait au dragon qu'il était de s'y lover confortablement, son long corps reptilien encerclant le trône lui-même comme un constrictor le ferait de sa proie. L'image était belle à ses yeux, c'est qu'il ne comptait pas lâcher son pouvoir de sitôt...

Un soupir satisfait vint faire vibrer son poitrail tandis qu'il étirait longuement ses muscles, ses écailles venant au passage érafler les colonnes qui soutenaient la voute. Le moment était venu, il en avait décidé ainsi et de toutes façons, il s'ennuyait. Puisque Wallam avait été assez idiot pour lui fournir un amusement imprévu eh bien... Qu'il en soit ainsi. Il servirait d'exemple.

Un nouvel étirement, et son corps pâle devint flou tandis qu'il reprenait rapidement forme humaine. Habitués à cette vision, les Sombres Gardes qui jalonnaient la pièce ne cillèrent même pas et un serviteur se précipita vers lui pour lui tendre des vêtements noirs et or. Des couleurs qu'il affectionnaient, lui qui était privé de tout cela... Il les enfila en silence, congédiant d'un signe le page qui ne se le fit pas dire deux fois et lorsque sa lourde cape fut ostentiblement drapée sur ses épaules, il ferma les yeux et envoya son esprit à la recherche de ceux qu'il voulait voir. Mais avant cela, il donna un ordre sec :

"Allez chercher Esmelda Kohan. Et faites lui part de mon... Mécontentement."

Les Sombres Gardes n'avaient pas besoin d'en entendre plus pour comprendre. Deux d'entre eux s'éloignèrent tandis que leur maître prenait place paresseusement sur le trône et exigeait qu'on vienne le distraire en attendant que la princesse lui soit amenée. De longues minutes allaient se passer avant cela, il n'en doutait pas. Lorsque sa garde royale recevait un ordre, elle l'appliquait avec ferveur. C'est pourtant bien Esmelda qui arriva la première, avant son amant et les autres convoqués. Son entrée ne tira néanmoins pas même un sourire amusé au Voleur de Coeur qui garda le silence tandis qu'on la jetait à ses pieds.

Le corps ensanglanté, le visage tuméfié, elle avait été battue méticuleusement et si les gardes avaient bien veillé à ne rien lui casser, on ne pouvait néanmoins pas prétendre qu'il y avait été en douceur... Un signe de tête imperceptible de Vraorg salua leur obéissance et ils reprirent leur place sans un mot tandis que ce dernier daignait baisser le regard sur la jeune femme.

"Esmelda... Je suis très déçu tu sais..."

Sa voix était tranquille, caressante même et un brin taquine. Toujours confortablement installé, il la laissait libre de se relever si c'était là son désir mais son regard froid ne la quittait pas une seule seconde tandis qu'il continuait :

"Oh pas de toi bien sur, tu n'es même pas consciente de ce qu'IL a fait n'est-ce pas ? Noon..."

Il balaya son esprit doucement avec une fausse gentillesse plus terrifiante encore que la plus gigantesque des colères. Ce qu'il pu lire sembla le satisfaire puisqu'il sourit enfin, d'un sourire de loup...

"Non effectivement, tu ne sais rien... Pauvre, pauvre Esmelda... Je te dirais presque que tu ne mérite pas un tel amant, surtout dans ton état, mais en vérité il y a autant de rébellion en toi que dans son propre esprit... Tu n'as juste pas encore trouvé le moyen de te révolter."

Il leva un sourcil sans qu'on puisse déterminer si tout ceci l'amusait ou l'agaçait. Un serviteur vint lui présenter un plateau d'olive et il prit le temps d'en choisir une avec soin, totalement imperméable à l'annonce des gardes qui accompagna l'arrivée de ses autres convoqués. Wallam bien sur, il était le principal dindon de cette farce après tout... Cynoë aussi, parce qu'il fallait qu'il voit cela, Wintel et Shadowsong ensuite parce qu'ils avaient besoin d'un exemple. Il manquait un autre acteur tiens... Mais qu'à cela ne tienne, il convoquerait Serillëiel plus tard afin d'avoir un entretien privé. Quand à Skade elle ne pouvait tout simplement pas entrer dans cette salle mais elle ressentirait tout à travers son lié.

"Approchez mes loyaux sujets... Oui, jusque ici. Toi Wallam, plus près. Tu ne veux pas voir ta princesse ? Là, tu la vois assez."

Il avait instantanément bloqué le réflexe qui n'avait pas manqué de faire bondir le commandant à la vue de son aimée. Un coup d'oeil à Wintel lui permit de s'assurer que celui-ci ne s'avancerait pas plus, il n'avait pas de raison de le faire de toutes façons et la façon dont il fronçait les sourcils démontrait qu'il réfléchissait à la raison de sa présence et aux implications. Brave général... Un tacticien de talent décidément. Son félin de garde calquerait son attitude sur lui, quand au jeune dragon il suffisait d'un ordre que Vraorg ne se priva pas de donner :

"Reste là Cynoë. Sage."

La voix d'autorité claqua, impossible à braver pour un autre dragon et un nouveau sourire cette fois bien plus épanouie vint s'afficher sur son visage tandis qu'il se réintéressait à Wallam :

"Eh bien Kylian ? Aurais-tu par le plus grand des hasards quelque chose à me dire ? Esmelda mérite bien de comprendre la raison de ce traitement non ? Vas-y petite, demande lui ce qu'il a pu faire pour me forcer à une telle extrémité..."

La vie avait prit une toute autre tournure depuis quelques jours. Et l'esprit morne, presque éteint et sans vie de la princesse avait changé en un tumulte de questions, de choix à faire et d'angoisses bien plus que des inquiétudes.
Le visage fermé auréolé de cernes qui soulignaient ses yeux ambrés, l'ancienne princesse cherchait une solution à la finalité de sa vie qu'elle désirait plus que tout loin de ce palais. S'il y avait une seule solution, elle la trouverait, s'il y avait un seul chemin pour fuir, elle s'engouffrerait dedans, oubliant son passé, son peuple, sa famille, les siens, même Cynoë. Il comprendrait, il comprenait déjà. Rien ne pouvait compter plus que de se sortir de là. Pas pour elle, non, c'était bien là le dernier de ses soucis, même si elle devait continuer à être debout, à marcher pour vivre, pour sa vie à lui. Du moins pour le moment. Qu'importe Vraorg, la paix, son amour pour Kylian, ou bien le lien qu'il l'unissait à son dragon, e cet instant, elle était prête à tout rejeter et tout balayer d'un revers de la main. Non plus rien d'autres n'avaient d'importance à ses yeux. Et pourtant, c'était encore le flou dans son esprit. Car rien de concret, juste un sourire de son aimé, juste des mots qui résonnaient encore dans sa tête en cette chaude et sombre journée. La vie parfois ne tenait à rien, une décision encore moins. Un mot, un seul et il vous basculait et vous poussait à l'impossible, pour une seule chose. Une chose inconnue et pourtant déjà si forte. Et cette force ne cessait de grandir depuis ce jour.

Cynoë lui avait dit de garder espoir, qu'ils trouveraient comment vivre et respirer dans ce monde de ténèbres où la lumière semblait être parti à jamais pour les laisser dans l'obscurité. De sans vie, elle était passée à vivante. L'espoir, elle ne l'avait pas trouvé, elle l'avait créé. Comment ? Cette question ne lui était même pas venue à l'esprit. L'espoir était là, et c'était bien tout ce qui comptait. Alors les jardins qui composaient son ancienne maison lui serviraient de lieux de réflexion. Du moins de de qui restaient de ces anciens jardins luxuriants, où se jalousaient fleurs et arbustes, plantes aromates embaumant l'air et arbres fruitiers. Aujourd'hui, tout n'était qu'un enchevêtrement de ronces, de lierre et de plantes profitant de la noirceur et la chaleur de la pierre des bâtiments en ruine. Son ancienne fontaine. Cadeau de son père, pour ses dix ans, suite à un voyage à Aldaria. Korentin en avait une dans une des cours du palais, et la petite princesse passait des heures à s'émerveiller du mécanisme qui arrivait à faire couler cette eau. Une des rares choses qui parvenaient à l'apaiser et attirer son attention de nombreuses minutes. Mais ce temps était mort. Tout comme son père. Et peut être bien son cousin aussi.

Des larmes coulaient sur les joues de la dragonnière quand elle entendit au loin quelqu'un l'appeler. Un garde de la garde privé de sa seigneurie. A son regard sombre, et ses grands pas venant vers elle, Esmelda comprit que le temps ne serait pas au mièvrerie et autres pommades dont elle avait le secret auprès des grands de ce monde. Un habitude prise depuis l'enfance. L'homme ayant reçu son attention l'empoigna avec force et rudesse, la sommant d'avancer ce qu'elle fit. Sûrement pas assez à son goût car il la projeta sur le chemin de pierres afin de prendre le l'envol ou de la vitesse. La jeune femme avait aussi vite appris et compris qu'avec ces gardiens du voleur de cœur, la répartit n'était pas de mise et encore moins une charmante discussion des plus polies. Mais on ne se refaisait pas et la princesse rebelle ne s'empêcha pas de lui siffler dans les oreilles qu'elle irait tout aussi vite sans qu'il la pousse. Elle venait certes de tendre le bâton pour se faire battre mais qu'importe, se taire, ne voulait pas dire tout accepter en silence. L'homme l’attrapa par les cheveux et le jeta au sol. Et en lui criant de jolis mots doux, il ne se priva pas pour lui donner la correction que méritait un simple familier de Vraorg au refus d'obtempérer à un ordre plutôt concis. Mécontentement de la part de Vraorg. Cela pouvait être tout et n'importe quoi. Les coups de pieds pleuvaient sur son corps recroquevillé en boule, protégeant du mieux qu'elle pouvait le trésor d'un avenir incertain. L'homme la ressaisit par la chevelure avant de lui asséner une gifle qui lui fendit la lèvre en deux. L'esprit embrumé et le corps alourdit par la douleur et la peur, Esmelda le suivit en ne pipant mot, bousculer dès que son pas se faisait plus traînant, la douleur à la jambe la saisissant.
Un autre garde ouvrait la voie qui si le besoin pouvait s'en faire sentir devant les quelques curieux qui regardaient l'ancienne princesse passer devant eux.
La salle du trône, bien différente de sa gloire d'antan, s'ouvrit et les deux gardes poussèrent la jeune femme sans ménagement vers leur dieu. Ses mots furent aussi pointus que des lames d'épées. Pas les paroles en elle même. Mais ce ton, doucereux, calme, un brin paternaliste. Il pouvait se moquer, il pouvait se jouer d'elle, qu'importe du moment qu'il ne s'en prenait pas à lui. Mais la suite fut un flot d'incompréhension. De quoi parlait-il ? De qui ? Kylian ? C'était à cause de Kylian qu'elle était là ? Kylian qui suivait les préceptes de Vraorg avec autant d’assiduité qu'un alayen fanatique du Néant ? Justement pour que sa belle n'est pas à souffrir de la moindre blessure ? Que pouvait-il avoir donc fait ? Ce serait-il rebellé ? Eh bien si c'était le cas, rien que pour cela, le garde pouvait revenir lui mettre une gifle, elle le regarderait droite et fière.

Non, elle n'avait pas encore trouvé le moyen de se révolter, mais le jour où, le jour si, il le saurait, et elle prendrait un malin plaisir à qu'il sache que c'est elle. Mais son vent de révolte se mourut dans un silence inquiet, un regard en coin vers ceux qui venaient de rentrer. Kylian. Et ensuite il osait donné un ordre à Cynoë. Un jour, elle lui ferait avaler sa langue pour cet affront et il le savait. Il n'avait même pas besoin de chercher à lire dans ses pensées. Il les connaissait. Elle ne s'était jamais cachée, tût plutôt. C'est d'ailleurs ce qui devait l'amuser et lui donner la satisfaction. De la voir juste muette devant lui à ruminer et d'oser rien dire. Attendait-il ce jour où enfin, elle le ferait ?

Mais à sa demande Esmelda ne dit rien, ne demanda rien. Qu'importe ce que Kylian avait bien pu faire. Cela déplaisait à Vraorg et cela lui suffisait pour soutenir son aimé, même dans la douleur que ses côtes lui provoquaient en cet instant, assisse à genoux au milieu de la salle du trône.

Tout se passerait bien, il n'avait aucune raison de s'inquiéter. Ce n'était pas la première fois que Vraorg le convoquait de la sorte, sans doute le nouveau maître d'Armanda avait-il une quelconque sinistre besogne à lui confier, voila tout. En trois ans à servir sous ses ordres, Kylian devrait s'être habitué aux lubies du Blanc, il n'avait donc aucune raison de s'inquiéter, vraiment. Et pourtant, alors même qu'il avançait dans les couloirs de la forteresse théocrate et dirigeait ses pas vers la salle d'audience où il était attendu, le vampire était bien incapable de se défaire de cette désagréable sensation que l'on nomme couramment un mauvais pressentiment. Certes, il avait toute confiance en la barrière que Skade avait dressé autour de son esprit quelques jours auparavant, mais il eut certainement été plus prudent d'éviter la confrontation directe, au moins jusqu'à ce qu'il eut pris une décision quant à l'usage qu'il pourrait faire de ce qu'il avait découvert. Ne disait-on pas qu'il valait mieux prévenir que guérir ? D'un autre côté, se soustraire aux convocations du Blanc n'aurait finalement semblé que d'autant plus suspect, et la dernière chose dont l'ancien renégat avait besoin en ce moment, c'était bien d'attirer l'attention des inquisiteurs.

Alors qu'il s'engageait finalement dans le grand hall et se présentait devant les massives portes de la salle du trône, son esprit vint instinctivement se blottir contre celui de sa liée restée à l'extérieur de l'enceinte. A son approche, les gardes en faction le saluèrent avec toute la rigueur qu'un gradé était en droit d'attendre de sa troupe, mais les regards qu'ils posèrent sur lui ne manquèrent pas interpeller son attention. S'il n'était pas si nerveux, il jurerait y avoir lu une lueur sournoise, presque satisfaite, saupoudrée d'un zeste d'ironie moqueuse, mais il se faisait probablement des idées. Probablement. Alors, dissimulant tant bien que mal son malaise, le Sombre Garde se fit annoncer et s'avança vers le trône, un frisson lui parcourant l'échine tandis que les fins poils de sa nuque se hérissaient d'angoisse. Apparemment, il n'était pas le seul à avoir été convié à cette réunion imprévue, Wintel et Shadowsong étaient présents également. Peut-être le Voleur de Coeur désirait-il faire le point sur la traque des fugitifs évadés de Morneflamme avec son état-major ? Mais si tel était le cas, alors que faisait Cynoë ici, pourquoi semblait-il sur le point de tout faire brûler, et surtout, si le dragon était présent, alors où était sa dragonnière ?

La seconde suivante fut probablement la plus longue que le renégat eut jamais connue, son regard glissant sur la silhouette avachie devant l'estrade sur laquelle siégeait Vraorg à l'instant même où la dernière question lui avait traversé l'esprit. Esmelda ! Au premier regard, Kylian comprit immédiatement que la jeune femme avait été battue et il ne lui en fallut guère plus pour porter la main à la garde de son épée avant de bondir vers l'avant pour se porter à son secours, oubliant tout autant l'endroit où ils se trouvaient que ceux qui les entouraient. Le maître des lieux ne se priva cependant pas de raviver la mémoire de son commandant et ce dernier encaissa de plein fouet la gifle mentale qui lui avait été destinée. Sous le choc, mâchoires crispées de colère autant que de chagrin, le vampire ramena péniblement son attention sur le souverain albinos, notant mentalement l'intonation dangereusement suave avec laquelle s'exprimait ce dernier. En tant que garde personnel du dragon blanc, Kylian était plus que bien placé pour savoir à quel point le sourire qui vint en étirer les lèvres était un bien sinistre présage pour ceux auxquels il s'adressait.

« C'est vous qui .... »

Bien sûr que c'était lui qui avait ordonné qu'Esmelda soit traitée de la sorte, mais pourquoi ? Comment ?

« Je ne comprends pas, je .... »

Se pouvait-il que le Blanc fut parvenu à briser le bouclier derrière lequel Skade avait protégé les projets dissidents de son dragonnier ? A moins qu'il ne s'agisse d'un test, une manière pour le dragon maléfique de s'assurer de la loyauté de ses sujets ? Mais à quoi bon, quand les terribles marques offraient déjà leur lot de souffrances à ceux qui avaient le malheur de les mettre à l'épreuve ? A propos de marque justement, celle à laquelle avait été enchaîné le commandant de la garde se rappela à son bon souvenir tandis que ses pensées se faisaient de plus en plus agressives et blasphématoires. Grimaçant sous la douleur, Kylian s'agenouilla docilement face à son souverain et poursuivit :

« Je ... J'ai eu tort de conspirer contre vous, Seigneur, j'aurais dû vous livrer Serillëiel immédiatement mais je suis seul à blâmer, Esmelda n'était au courant de rien. Ne lui ... ne leur faites pas de mal. »

Il avait voulu les protéger, elle et celui qu'elle portait. Il avait pensé que, peut-être, tout espoir n'avait pas été perdu. Il s'était vraisemblablement trompé, une fois encore.

Un oeil ambré s'ouvrit violemment, la pupille fendue s'étrécissant à ce que l'être ressentit soudainement. Sortant d'une profondeur torpeur, le dragon ne chercha pas à réfléchir plus par rapport à ce qu'il percevait. La trame qui l'avait soudainement éveillé était bien inquiétant et effrayant. Ses ailes claquèrent pour prendre un envol rapide. Il se ficha de savoir que sa longue queue brisait des objets humains sur la place vide qui l'avait accueillie le temps d'un petit repos. Il se ficha de porter ses griffes sur le sommet d'un toit qui grinça sous son poids pour bondir plus encore dans les airs et se dépêcher. Par le lien qui l'unissait à sa liée, il avait senti la douleur à même ses paumes humaines, comme s'il avait été au coeur même de son esprit.

On s'en prenait à sa liée et cela le rendait fou. Qui osait ! Qui lui apportait une telle souffrance ? Cette violence gratuite ! Il poussa un grondement de colère quand il perçut que cette souffrance s'amplifiait. Malgré la détermination de sa liée à ne pas se plier à ce qu'elle subissait, on la châtiait pour son entêtement ! Il lâcha un grognement en sentant la douleur qu'on lui infligeait à son corps. Cela lui noua les entrailles aussi sûrement s'il recevait lui-même les coups. Il lâcha un rugissement. S'en prendre ainsi à sa liée... Il regretta sur l'instant de s'être éloigné de sa belle liée. S'il avait été à ses côtés, celui ou ceux qui l'avaient frappés n'auraient jamais approchés. Quand il aperçut sa liée, mal en point, ses crocs grincèrent, ses yeux s'enflammèrent... Ils pénétrèrent au palais de Vraorg. Un très fin effluve flottait encore dans leur sillage : l'odeur de la souffrance mélangé à celle du sang. sa liée saignait ? Oui, c'était la senteur de son sang !

Le dragon se posa violemment sur le sol, chacun de ses pas cliquetaient sur le sol par les griffes désireuses d'éventrer les gardes de Vraorg... Oser d'en prendre à sa liée aussi violemment... Ces deux bipèdes comprendraient vite ce que la fureur d'un dragon pouvait signifier. A ces êtres perfides, loyaux à Vraorg, jamais il ne leur pardonnera et dès qu'il pourra.... Sa colère voilait sa raison. Il savait que le Blanc était derrière tout cela. Que c'était lui ! C'est grondant, les lèvres retroussés qu'il pénétra à son tour dans la salle du trône. Bien qu'il était plus petit et plus fin que Skade, l'entrée n'était pas pas d'un passage adéquate pour un dragon et ses ailes se collèrent plus contre son corps pour ne pas les frotter contre l'entrée. Sa queue fouettait l'air, frappant même un mur. Malgré sa hargne et sa volonté de protéger sa liée de toute menace, quand ses yeux se posèrent sur le trône qu'occupait Vraorg, il ne put empêcher un frisson parcourir toute la longueur de son échine. L'ambre de ses yeux étaient comme enflammés et il balaya rapidement du regard ceux qui étaient présents. Que voulait encore Vraorg ? Il s'ennuyait donc pour s'en prendre à sa liée sans raison ? Pour jouer à faire souffrir Kylian ? car oui, il était aussi, ainsi que d'autres.

Il s'arrêta juste derrière sa liée, son poitrail la dominant en hauteur, ses antérieurs l'encadrant, comme pour faire écran de son corps écailleux. Il avait bousculé sans vergogne les gardes. tant pis pour eux s'ils venaient à être blessé à son arrivée ! Ils paieront prochainement pour leurs actes. En tout cas, sa posture protectrice paraissait bien futile et inutile si Vraorg décidait d'agir. Mais elle était sa liée et elle n'était à personne d'autres ! Sentir qu'elle souffrait lui faisait mal. Il percevait aussi qu'elle n'était pas résignée face aux traitements subies. Sa belle liée était toujours aussi courageux et il fit sentir la sienne pour l'y mêler à travers le lien.

A voir et entendre Vraorg user d'une gentillesse presque odieuse... le voir sourire comme pourrait le faire un vicieux prédateur se jouant de ses victimes... Cynoë bouillonnait. Il s'apprêta à faire un pas en avant quand le Blanc lui lança un ordre. Sa voix emplie d'autorité malsaine à son esprit claqua comme un fouet, lui imposant la volonté de se plier absolument. Le dragon grogna et secoua sa tête. D'un gémissent, il n'exécuta donc pas ce pas, restant à sa position initiale, juste derrière et au-dessus de sa liée. Esmelda était outrée de savoir son lié contraint d'obéir de la sorte. Malgré cet ordre, le dragon garda la tête droite et son regard braqué sur l'Albinos. Son coeur battait bien fort pour sa liée et entendre la suite le fit battre plus encore. Quel jeu était-ce là ?

La princesse garda le silence, ne cherchant point à suivre le jeu de Vraorg. Le Blanc connaissait parfaitement l'attachement profond entre la princesse et son amant. L'inverse était tout aussi fort. faire ployer ses victimes pour les voir s'autodétruire était à ce qui semblait si plaisant. Cynoë était heureux au plus profond de lui du courage de sa liée. Elle ne voulait pas être le pion brisant de Kylian. Le pauvre avait déjà été effaré de voir quels traitements on lui avait infligés. Mais est-ce que Kylian avait bien agi comme le suggérait Vraorg ? Aux paroles de Kylian, il s'avérait peut-être que si... L'Améthyste pourrait blâmer Kylian de ses actes, qu'à cause de lui, sa liée puisse.....la rage bouillait toujours dans ses veines, mais il n'oublia pas la position des deux bipèdes, tout comme la sienne. Pris au piège, dans un étau qui ne laissait aucune alternative. Autant pour Kylian que pour Esmelda, Cynoë savait leur position délicate, à tous les deux.

Ses crocs grincèrent.

°Ma liée... °

Il renforçait sa présence au coeur de l'esprit de sa liée, comme pour la soutenir, autant pour ce qu'elle endurait que du spectacle qu'elle était contrainte de fixer. Voir Kylian à genoux et suppliant devant Vraorg devait être pénible. Autour, il y avait bien les autres, mais il ne voulait pas leur prêter attention, pas immédiatement. Sa priorité était sa liée

Pourquoi exactement voulait-il qu’ils soient là ? Voilà la question qui le taraudait quelque peu, alors qu’ils entraient dans la salle. Lorenz d’abord, lui quelques pas derrière lui. Il restait toujours quelques pas en arrière, comme il se le devait. Ça ne lui ôtait rien, mais cela venait contribuer à la présence de son frère. Une double satisfaction qu’il ne rougissait pas d’agréer. Pourtant, dès l’instant où son pied se posa dans la salle d’audience, il vida complètement son esprit de toute pensée profonde et ne garda que ce qui pouvait avoir trait à la situation immédiate. Son état d’esprit était adéquat, avec ce qu’il fallait de méfiance et d’interrogation quant à cette convocation soudaine, mais il était parfaitement calme et alerte, s’attachant à lui permettre de s’offrir une vue d’ensemble des acteurs présents et de ce qui pouvait découler de telles identités. La princesse déchue, son lié, Wallam, et évidemment, Vraorg. Les sombres gardes ne comptaient nullement, ils n’étaient que de pitoyables marionnettes. Que se jouait-il exactement, ici ? De toute évidence, c’était d’importance, au moins pour l’albinos évidemment. En quoi l’était-ce pour eux, voilà qui était plus difficile à cerner. Pour lui et pour Lorenz, il semblait bien que les trois autres soient au centre de tout cela…

Qu’avait encore fait Wallam exactement ? Ça ne pouvait être que lui après tout, et c’était ce que Vraorg sous-entendait si subtilement. Oh, il n’avait certes aucune pitié ou compassion envers aucun de ces trois-là… quoi que, peut-être pour le dragon, en vérité, mais certainement pas pour Wallam, mais encore au-delà, il était même prêt à s’avouer quelque peu contrarié. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’était du temps, du précieux temps gâché pour il ne savait quelle folie de la part du commandant de la sombre garde. Ah elle avait au moins intérêt à être de taille ! Et elle avait intérêt de lui permettre de juger son temps à peu près vengé. Pas qu’il soit du genre à savourer la déconfiture du dragonnier. Ce n’était pas cela. Mais il détestait au plus haut point qu’on gâcha son temps à quoi que ce soit qui puisse porter l’étiquette d’inutile. Alors il observait la scène se déroulant avec une attention critique, droit et raide dans l’ombre haute de son frère. Son visage grave et fermé ne montrait rien de ce qui pouvait habiter l’esprit bien entraîné et discipliné qu’il abritait. Ses yeux traînaient alternativement sur la silhouette brisée d’Esmelda Kohan et sur le visage du dragonnier vampirique, comparant leurs deux personnes…

Cela dit, il aurait bien aimé qu’on ne tourne pas autant autour du pot. Fort heureusement, Wallam se mit à table. Une tentative de trahison donc… et eux ? Soit Vraorg les croyait complice, mais ce serait d’une stupidité sans bornes, soit ils étaient tout simplement sensés en prendre de la graine. A nouveau son esprit se fit blanc et vide et il n’alla pas plus loin sur ce chemin. Emettre des hypothèses étaient suffisantes sans doute, pour peu que sa présence eut besoin d’être viabilisée. Loin d’être au premier plan de ce mélodrame, il se contenta de tenir sa place, aux aguets…

HRP : Je sais que c'est loin d'être mon meilleur post et je tiens à m'en excuser, je tenais à sanctionner ma présence pour ce premier tour de jeu tout de même ^^"

Renfermé... Plus qu'à son habitude du moins. C'est ce qu'il avait été ces dernières semaines, se contentant de travailler distraitement sur les préparatifs pourtant fort lourds du prochain départ de l'armée vers les plaines de l'Est. Une partie de ses effectifs traquait les évadés, une autre grosse partie se trouvait dans les montagnes afin de couper la route à ceux qui auraient voulu aller au plus court, mais les forces vives se rassemblaient pour leur part au sein de l'empire, bientôt elles marcheraient vers les plaines. Un objectif qui aurait dû le concentrer au maximum, mais voilà, il n'était pas du tout concentré...

Même Ambre, ne parvenait plus à le détourner de ses sombres pensées, il ne pensait plus à elle que pour se demander comment diantre il allait bien pouvoir l'écarter de la déflagration. Car l'explosion était inévitable, ça il en était certain. Il l'avait vue venir même si il ne comprenait toujours pas très bien comment et pourquoi, à présent il fallait qu'il s'adapte. Mais comment était-on sensé s'adapter quand il s'agissait de faire face à la mort ? Même pour un vampire, la question était de taille... Et ses longues heures de réflexion ne lui avait pas permit de trouver la réponse.

C'est donc dans cet état d'esprit qu'il répondit à la convocation Vraorgnesque. Merithyn sur les talons, il traversa les couloirs sans un mot, visage fermé et lèvres serrées. Le moment était venu... Comment le savait-il ? Mystère. Mais il le savait et c'était tout. Il n'était pas prêt... Pas prêt du tout, il n'avait toujours même pas décidé ce qu'il allait faire ! Pouvait-il seulement ne rien faire d'ailleurs ? Sa vision avait été si nette... Si impérieuse... Au fond de lui-même il sentait qu'il n'avait pas le choix, les conséquences de son inaction seraient trop lourdes, trop graves. Mais les conséquences de son action n'étaient pas mieux... Jamais il n'avait autant douté qu'aujourd'hui... Mais il se devait de garder ça pour lui, c'était vital.

C'est donc parfaitement impassible qu'il entra dans la salle d'audience et c'est un regard froid et calculateur qui vint se poser sur la silhouette de la princesse, puis sur celle du renégat et enfin du dragon. Un peu à l'écart, il ne tenta pas d'approcher plus de la scène, n'en ayant d'ailleurs aucune envie ni aucun intérêt mais même si il prenait grand soin de ne garder dans son esprit que des pensées futiles et fort éloignées de ses préoccupations, il n'en demeurait pas moins concentré. Quelque chose d'important était en train de se jouer sous ses yeux... Quelque chose dont il était le seul à pouvoir saisir entièrement la portée. Et il la saisissait à présent... Il la saisissait même un peu trop bien... La marque sur son bras lui sembla lourde tout à coup, terriblement lourde, il croisa le regard de la princesse et l'acier de ses prunelles se fit dur, presque accusateur. Comment elle et son imbécile d'amant pouvaient-ils oser le mettre dans une situation aussi délicate ? Il détourna le regard à temps, juste avant que Vraorg ne le saisisse, le Voleur de Coeur étant, par chance, trop monopolisé sur sa proie. La marque se fit plus lourde encore et c'est alors que Lorenz se décida. Une décision forcée... Il n'y avait pas d'autre chemin.

"Merithyn..."

Sa voix n'avait été qu'un murmure audible uniquement pour un autre vampire à condition que celui-ci se trouve tout près. Les événements allaient se précipiter, il n'avait pas beaucoup de temps et encore moins de marge de manoeuvre. De plus et surtout, il n'avait pas le droit à l'erreur, et son frère non plus...

"Je vais revenir... Je le jure. Mais il me faudra une bonne raison de le faire... Prend ma place. Oublie toute vengeance, soumet toi plus bas que terre pour survivre et emmène là... Emmène Ambre. Quoi qu'il t'en coûte, quelque soit la façon dont tu devra t'y prendre, elle doit aller vers les plaines. Et alors je reviendrais vers toi. Mais pas seul..."

Ses lèvres n'avaient quasiment pas bougés tant il avait peu articulé, mais il savait que l'ouïe fine du jeune vampire saisirait chaque mot. Aussi siffla-t-il tout aussi discrètement et avec un infime geste du menton vers Wallam :

"Sauves les eux aussi, il nous les faut..."

Qu'il l'apprécie ou pas, Merithyn allait devoir faire avec. Ce que lui demandait Lorenz frôlait l'impossible, il le savait, mais il avait toute confiance et c'était là encore le seul chemin possible. Mâchoire serrée jusqu'à l'extrême, il attendit le moment fatidique et nul, pas même son frère, n'eut suffisamment de réflexe pour s'interposer lorsqu'il bondit...

Quelque chose lui déplaisait dans l'atmosphère de cette sombre pièce... Quelque chose qu'il connaissait bien et qu'il haïssait plus que tout puisque c'était là tout le pouvoir qu'il convoitait et qu'il n'avait pas encore réussi à atteindre. Le pouvoir des Esprits... Il était là, latent, lourd et d'autant plus oppressant pour lui qu'il ne parvenait pas à en localiser vraiment la source ni la raison d'être. C'était tout bonnement impossible de toutes façons, les Esprits n'avaient aucun pouvoir en cet endroit... Il était au centre même de sa propre magie, nul ne pouvait l'y atteindre. Et pourtant...

Sa bonne humeur s'envola brutalement, douchée par cette sourde inquiétude qui commençait à l'étreindre de façon fort désagréable. La lueur cynique de son regard s'effaça pour ne plus laisser qu'une flamme brûlante et mauvaise qui déchira l'ancien renégat jusqu'aux tréfonds de l'âme. Etait-il responsable de ce malaise ? Il semblait bien que non... Sa soumission était totale, risible et attendue vu l'amour infect qu'il entretenait pour sa précieuse petite princesse. Cela n'effaçait pas sa faute bien sur, loin de là, mais il restait tout de même un jouet dont Vraorg pouvait user à sa guise. Pas une menace donc... A peine un insecte digne d'être écrasé. Le danger se situait ailleurs...

"Oh je vais te blâmer Wallam, n'en doute pas... Cela va venir... Mais avant je dois régler autre chose..."

Pour le moment il était comme fasciné par cette senteur magique qu'il était le seul à renifler, une senteur âcre, douce comme... Eh bien comme la mort... Il était là... Pas physiquement bien sur mais sa magie et sa force mentale rodait dans les parades, dans quel but ? Vraorg n'avait d'autre choix que de le découvrir, et très vite, le danger était d'autant plus réel qu'il ne comprenait pas ce qui se passait. Oubliant presque ses malheureux serviteurs, il se leva de son trône.

"Quoi que tu cherches vieux débris, tu va regretter d'avoir fait cavalier seul..."

Son grondement presque animal avait résonné dans la salle d'audience, provoquant sans doute l'étonnement de la part de ses invités. Mais il n'en avait cure, il venait de localiser sa proie là où il ne s'était pas du tout attendu à la voir. La princesse ? Qu'est-ce que Mort pouvait bien avoir à faire au coeur de l'âme de cette humaine ? Pourquoi se reposer sur une si fragile créature au risque de tout perdre ? L'incompréhension était totale, mais l'occasion était bien trop belle. Tout se passa alors très vite.

Rendue floue par l'afflux phénoménal de magie et par le pouvoir du vide qu'il venait d'appeler en lui, il ne fut pendant un instant qu'un silhouette noirâtre, sorte d'affreux spectre composé d'une fumée si sombre qu'elle semblait trouer l'espace temps et transgresser l'ordre ancestral qui avait établit des millénaires auparavant la frontière entre le plan astral et le plan réel. Cette seule et unique seconde fut suffisante aux quelques temoins de la scène pour qu'ils comprennent soudainement à quel point l'âme du Voleur de Coeur était terrible, à quel point il n'avait pas sa place en ce monde... Le coeur qu'il avait volé leur apparu nettement à travers la fumée, battant frénétiquement dans la poitrine iréelle qui était désormais sa prison. L'infernal spectre saisit alors à plein bras le corps impuissant de l'humaine et un sifflement suraïgüe leur vrilla à tous les oreilles lorsque sa main entra en contact avec la marque qu'elle portait à la main. La marque de Mort... Il ricana, moqueur :

"Je t'ai trouvé...."

Le sifflement s'intensifia, insoutenable, et l'énergie vitale d'Esmelda disparu, comme aspirée par le vide en lui. Elle mourru en un quart de seconde, bien trop vite pour que quiconque intervienne mais il n'en avait pas terminé. D'ailleurs il n'en termina jamais... Car alors qu'il concentrait tout son pouvoir pour aspirer Mort qui demeurait tapit en elle, un choc inattendu vint le destabiliser. Il ouvrit la bouche pour grogner mais il était encore un spectre et ce ne fut en vérité qu'un sifflement inhumain qui s'échappa de ses lèvres à moitié matérialisée. Coincé à mi chemin entre le monde réel et le monde astral, il fut forcé de se détourner de Mort pour faire face à la menace et ses prunelles s'arrondirent lorsqu'il reprit pied entièrement dans le monde réel. Wintel ne pouvait l'attaquer... Wintel était son jouet au même titre que Wallam... Et pourtant il venait de lui sauter à la gorge...

Prit d'une fureur plus terrible encore que toutes celles qu'il avait jamais traversées, il renversa sèchement le vampire qui venait de manquer lui trancher la jugulaire à coups de crocs et c'est sans la moindre pitié qu'il souffla d'un seul geste l'énergie magique que le prince noir venait de lancer contre lui, l'écrasant du même coup à plusieurs mètres de là contre le mur du fond de salle. Avant même de retomber au sol, Lorenz Wintel était mort...

Une seconde passa, puis une deuxième. Les deux cadavres gisaient au sol, un hurlement qu'il ne parvenait pas à identifier lui vrillait les tempes. La folle et intolérable fureur de Cynoë faisait résonner ses sens draconiques à un tel point qu'il ne parvenait tout simplement pas à reprendre ses esprits. Mort... Mort lui avait échappé... Un désastre venait d'avoir lieu mais il avait été tellement chamboulé par sa réintégration brûtale dans le monde réel qu'il ne parvenait pas encore à en saisir l'ampleur. Quelque part au fond de lui il comprit qu'il aurait dû être attaqué, Wallam et Cynoë auraient dû lui sauter à la gorge eux aussi, et mourir à leur tour... Shadowsong aussi sans doute... Dans un effort intense, il parvint à cligner des paupières pour retrouver sa vision et comprendre ce qui venait de se passer...

Peu lui importaient les blâmes, la torture, les humiliations ou toute autre forme de punition qui pourrait naître dans l'esprit malfaisant de celui devant lequel il s'était lâchement agenouillé. Dès lors que le monstre albinos concentrait son attention sur lui et non sur une princesse qui ne méritait nullement d'avoir à payer pour ses égarements, Kylian s'estimerait déjà plus que satisfait. Toutefois, alors même qu'il s'attendait à ce que tombe la sentence qu'avait décidée pour lui son juge et bourreau, la soudaine errance du Blanc éveilla brutalement sa méfiance, et ses angoisses à peine apaisées rugirent plus fort encore qu'auparavant. Il devait régler autre chose avant de s'occuper de lui ? Avait-il l'intention de s'en prendre de nouveau à Esmelda ? A moins que cette autre chose qu'il venait d'évoquer concerna justement la présence inattendue de Wintel et Shadowsong parmi eux ? Un rapide regard dans la direction du duo d'ancestraux semblait indiquer que non, mais alors que cherchait-il donc ainsi ? D'autant plus méfiant qu'il connaissait le goût pour la mise en scène qu'avait Vraorg, le sombre commandant ramena son attention sur son maître à l'instant même où ce dernier se levait de son trône. Quoi que tu cherches, vieux débris ? Mais à qui donc s'adressait-il de la sorte ? Kylian haussa brièvement un sourcil circonspect devant une telle déclaration, avant de grimacer face à la douleur que lui infligea aussitôt sa marque de loyauté. Apparemment, se laisser effleurer par l'idée que Vraorg puisse avoir totalement perdu la raison, ou plutôt le peu qu'il en restait, était assimilable à une pensée blasphématoire. Étonnant.

La dite pensée se mourut cependant rapidement lorsque la forme bipède du dragon blanc s'obscurcit brutalement, happée par l'impalpable incarnation du Néant dont il tirait son exceptionnel pouvoir. La suite ne fut plus qu'un indescriptible cauchemar : en moins de temps qu'il n'en fallait pour battre des paupières, l'ombre de Vraorg se jeta sur Esmelda et ...

« NON ! »

A demi happé par le sifflement strident qui avait accompagné l'assaut du Voleur du Coeur, son cri ne fut qu'une supplique inutile, la belle ayant déjà quitté le monde des vivants bien avant même que l'ancien renégat n'eut ouvert la bouche. Tout le chagrin, toute la douleur qui déferlèrent dans son esprit face à la perte qui venait de lui être infligée furent immédiatement balayés par une haine dont la pureté n'avait rien à envier à celle de Vraorg lui-même. Rien ne justifierait jamais un tel geste geste, rien ne le pardonnerait jamais, Kylian n'existait plus à présent que pour une seule et unique raison : détruire le Blanc ou au minimum mourir en essayant tout ce qui était vampiriquement possible pour l'emporter avec lui. Il ignorait comment, bien sûr, mais il eut été bien incapable de s'en soucier, seule la colère avait encore voix au chapitre de son esprit, et celle-ci lui commandait de frapper, de frapper encore, de frapper toujours, de frapper à en tuer, de frapper à en mourir. Mue par son implacable envie de mort, sa main se referma sur le manche de son épée de dragonnier dont le fourreau explosa aussitôt, pulvérisé par l'enchantement de lame damnée dans lequel le vampire avait instinctivement jeté autant d'énergie vitale qu'il lui avait été possible d'en fournir. Pas une seconde il ne s'interrogea sur la raison pour laquelle Lorenz était intervenu lui aussi, pas un instant il ne s'inquiéta de voir le puissant prince vampirique balayé et tué d'un clignement de paupières, pas une parcelle de son attention ne se tourna vers le furieux lié de la défunte jeune femme, son univers ne se résumait plus désormais qu'à trois choses : lui, Vraorg, et l'épée qu'il enfoncerait dans le coeur de ce dernier, volé ou véritable peu lui importait. Même l'effroyable douleur qui vint se répandre dans son corps lorsque sa marque de loyauté se mit à rugir son impérieuse torture n'eut pu suffire à l'en empêcher, cette souffrance ne méritait guère plus que le titre d'anecdote en comparaison de la plaie béante qui s'était ouverte dans son coeur.

Alors, hurlant sa rage autant que sa douleur, Kylian prit un pas d'élan, puis un second, mais alors même qu'il s'apprêtait à donner l'impulsion qui le propulserait vers l'écoeurante créature qu'il s'était juré d'anéantir, un choc aussi puissant que violent vint percuter son esprit de plein fouet et fit barrage à son assaut. Le dragonnier la reconnut pourtant sitôt que son esprit vint écraser le sien : Skade, sa liée, celle qui avait promis être toujours là pour lui, venait de le trahir pour protéger Vraorg. Ou plutôt pour protéger son lié des conséquences de sa folie mais peu lui importait alors, il ne voulait pas être protégé, il voulait mourir, mourir et emporter Vraorg avec lui ! Malheureusement, ce luxe lui fut refusé tandis que fauché par l'intervention de la dragonne millénaire, Kylian titubait et se heurtait à la volonté de sa liée avant d'être rattrapé par les pouvoirs de sa marque puis de s'effondrer à genoux, son regard empli de haine toujours levé en direction de son ancien maître.

Son attention se tourna vers son frère lorsque celui-ci murmura son nom mais il ne tourna pas la tête vers lui, ne souhaitant pas trahir une possible conversation. La suite pourtant lui fit froncer les sourcils et alarma le serval en lui. Que voulait-il dire exactement ? Revenir ? D’où ? Prendre sa place ? Etait-il tombé sur la tête ? Personne ne pouvait prendre la place du prince noir ! Non tout cela n’avait pas le moindre sens et encore moins dans une telle situation. Pourquoi voulait-il qu’il sauve un fol imbécile et un lézard volant ? Et emporter Ambre dans les plaines ? Il aurait voulu l’interroger, car au-delà de ne pas apprécier, il n’y avait surtout nulle logique ou raison à ce qu’il éructait soudainement. Il n’en eut cependant pas le temps. On ne lui en laissa pas le temps en vérité, car déjà tout s’enchaînait, bien trop vite pour qu’il espère les contrôler. Son cœur mort sembla s’arrêter alors que le corps de Lorenz s’écrasait contre un mur, pitoyable poupée désarticulée. Puis, en un instant si infime qu’il ne pouvait être appréhendé par un esprit mortel, la douleur ravagea son esprit et manqua lui faire perdre le contrôle de son être. Son frère ! Son précieux frère ! Non cela ne se pouvait, il n’avait pu faire cela… S’empêcher de bondir sur Vraorg pour le déchiqueter lui demanda toute sa maîtrise de lui-même, mais son corps tout entier frémit de colère, la détresse palpitant en lui aussi sûrement que les battements de cœur affolé qu’il n’avait plus.

Son instinct lui hurlait de se précipiter à l’assaut. Chaque muscle de son corps était tendu comme la corde d’un arc elfique, et pourtant… il n’agissait pas, retenu par la certitude que, non seulement cela ne servirait à rien, mais qu’il avait en plus de cela une mission à accomplir. Oui il avait une mission. Alors qu’il déglutissait, les choses se précipitèrent une fois encore, lui échappant. Wallam ! Non ! Cet idiot allait périr s’il essayait de s’en prendre à l’albinos ! Et pourtant, encore une fois, il sembla bien qu’on venait à son secourt au tout dernier instant. Cette constatation, alors que Skade intervenait, lui arracha un discret soupir de soulagement. La grande dragonne avait bien voulu l’écouter, c’était une chance… une chance qu’il se hâta de dissimuler, cependant, tout en s’écartant d’un pas de roche qui manquait de l’écraser. Le monde avait, soudainement, volé en éclat, alors que l’immense dragonne défonçait la salle du trône avec un rugissement furieux et plongeait pour clouer le petit améthyste au sol de son énorme patte. Le félin lui-même trembla un peu au choc cataclysmique qui secoua l’entièreté de la citadelle, et la ville au-delà de celle-ci. Il recula de quelques pas et tâcha de retrouver un semblant de cohérence à toute cette situation.

Et pourtant, la première pensée qui lui vint lui emplit la bouche d’une amertume d’aloès. Lorenz… l’avait abandonné. Il avait fait face à la mort en l’abandonnant. Mais ce n’était pas le moment, c’était loin d’être le moment, il ne devait pas douter maintenant, l’instant était trop grave, trop délicat. Vraorg… il devait le convaincre oui. Alors il se força à la discipline, échangeant une légère pensée avec Skade revenue l’assurer de son soutient. Le blanc, qui n’était d’ailleurs pas blanc, était de nouveau ‘lui-même’ et les observait tous, dans un silence de mort. Le choc magique, la désolation planant autours d’eux, semblait atténuer jusqu’aux sons animaux que les dragons produisaient. Lentement, il s’avança, chaque pas lui semblant une solennel empreinte autant qu’une lourde cangue à porter. Lentement, son esprit, son corps se firent blanc, chassant la douleur par sa seule volonté, inébranlable. Il concentra ses pensées sur son but : supplanter Lorenz. Finalement, il vint poser un genou à terre devant la créature, tête baissée. « Maître » énonçât-il sans que sa voix ne trahisse un quelconque émoi. Elle était froide, posée et maîtrisée comme une arme, ses intonations dépourvus d’agressivité. Lentement, il releva le regard vers le dragon humanoïde.

« Permettez-moi de vous servir à la place de mon frère » Sa voix résonnait sous son crâne autant que dans la pièce, mais il n’en continua pas moins « Sa mort fait perdre son généralissime à votre armée, et la guerre n’est pas achevée… je vous servirais à sa place. Son enseignement à mon égard… Il est à vous d’en disposer » La guerre devait être gagnée. Oui la guerre devait être gagnée, il devait la gagner. Il devait prendre la place de Lorenz… et gagner la guerre. Son univers n’était plus centré que sur cela, au point d’éclipser tout le reste. La guerre devait être gagnée, il devait officier. C’était son but et sa raison à présent que Lorenz n’était plus. Aveugle au reste du monde, il baissa à nouveau les yeux, attendant le verdict, car il lui serait bien difficile de le convaincre autrement que par un tel argument. Il pouvait se montrer aussi efficace que son frère, car après tout, il avait bien appris. Et si celui-ci l’avait abandonné…

Derrière lui, Skade retenait toujours Cynoë, soutenant l’esprit du jeune dragon et lui offrant l’appui de son esprit pour soulager une partie de l’abominable douleur qu’il vivait, tentant de lui communiquer un peu de la certitude qu’avait affirmée l’ancestrale, tentant de le rassurer également. Elle était aussi glacée qu’eux, et plus mortifiée encore de devoir les retenir… mais il n’était pas l’heure pour eux de mourir et quand ils se seraient calmés ? Alors elle les aiderait plus encore.

Juste le temps d'un battement de coeur. Ce fut juste ce bref instant qui apportait le flot de la vie dans un corps que tout se passait. Ou peut-être moins... Juste un battement de coeur et tout éclata en une myriade d'étincelles au plus profond de son être. Ce lien, ce précieux lien qu'il possédait avec sa liée, venait de se briser comme un fin fil de cristal. Le temps d'un simple battement d'un souffle de vie et tout s'éparpilla, s'étiola, se perdit. Des milliers de fragments d'émotions se répandaient tout en entaillant son être. Là où résidait une chaleur d'âme et un lien inflexible arrivait le froid et un vide sans fond. Une main glaciale et douloureuse. Si douloureuses... la mort avait emporté sa liée

Esmelda !

Tout s'était passé si vite. Son regard ambré étincelant d'une souffrance sans nom se posa sur le corps sans vie de sa liée. Elle gisait là entre ses antérieurs.... Un autre battement de coeur retentit dans sa poitrine, d'où se déchaînant un rugissement d'une forte fureur, totalement insoutenable. Cette fureur fut d'autant percutante physiquement que mentalement. Il n'y avait plus un dragon répondant au nom de Cynoë, il n'y avait plus qu'un dragon avide de tuer pour tuer, pour arracher la vie de celui qui avait pris celle de sa liée ! Il n'y avait plus de raison, ni de sagesse. Il n'y avait que colère, haine, rage et folie. Il n'y avait rien d'autres dans l'esprit du saurien couleur améthyste qu'un cyclone ravageur et meurtrier. Son cri bien que puissant ne sembla pas couvrir celui de Kylian, qui réagit tout autant que lui à la perte de son aimé. Lui même chercha à réclamer le sang et la mort de Vraorg, en sortant sa lame vengeresse, emploi de pouvoir. Il encourait le risque de finir comme Lorenz. Mais peu importait la mort !

Cynoë était plongé lui aussi dans son objectif, vibrant et tremblant de haine bestiale. Ses instincts réagissaient dans le bas des plus primaires, des plus élémentaires. Il n'eut qu'à s'écarte du corps inerte de sa tendre liée et à bander les muscles pour bondir. A l'instant où son long corps ordonna à tous ses muscles en tension extrême de le propulsion sur le monstre, un fracas fit trembler toute la salle telle un tremblement de terre. Une masse plus imposante et plus forte que lui plaqua violemment l'Améthyste sur le sol de la salle du trône. Cynoë glapit autant de surprise que de rage et se débattit de toutes ses forces. Ses serres crissèrent sur le sol dallé, traçant des sillages. Ses mâchoires claquèrent dans la direction du Blanc.

Plus rien ne comptait que de tuer Vraorg, le tueur de sa liée ! Sa liée....

Skade le retenait et il ne pouvait rien faire pour se défaire d'elle. Lentement, la souffrance reprenait le pas sur sa rage sans nom, le résignant à moins se débattre. L'esprit de la Grande Dragonne coulait en lui pour le soulager du lourd fardeau qu'avait entraîné la perte de sa liée. Sa raison faisait à peine surface, aveuglé par cette souffrance qu'était son lien brisé et perdu. Comment pouvait-on parler de certitude...Comment pouvait-on.... Lâchant un gémissement caverneux, il accorda un regard ambré voilé de chagrin vers la princesse inerte. La certitude de la millénaire... Cynoë tremblait maintenant autant de fureur vengeresse que de la peine grandissante et qui lui broyait lentement l'esprit... Il ne se cloisonna pas complètement, laissant Skade oeuvrer dans son esprit. Sa liée perdue, il se raccrochait malgré tout à la Grande Dragonne pour ne pas vaciller dans un gouffre sans retour.

Trop vite... Bien trop vite... Il avait perdu tout contrôle sur la situation et il était sur que les autres aussi, à l'exception de Mort bien sur. Mort avait parfaitement su ce qu'il faisait et cette idée mettait Vraorg dans une fureur monstre. Comment osait-il agir ainsi sous son nez, dans son propre palais ? Comment avait-il pu réussir une telle prouesse et surtout, dans quel but ? Quelle catastrophe allait lui tomber dessus maintenant que ce satané Esprit avait réussi ce qu'il avait voulu faire ? Car il avait voulu emmener la princesse, c'était une certitude... Pourquoi ? Simplement pour déstabiliser les hautes instances impériales ? C'était possible, et fort réussi... Lorenz mort, les vampires risquaient d'être plus difficiles à discipliner. Esmelda morte, Wallam n'aurait plus de raison d'obéir mis à part sa marque... Il y avait d'autres moyens de le soumettre bien sur mais la situation n'en était pas moins cataclysmique. Et pire encore, le Voleur de Coeur sentait bien qu'il y avait autre chose derrière tout ça. Mort avait agit en suivant un plan soigneusement établit...

C'était la toute première fois depuis sa libération qu'il perdait à ce point le fil de sa propre épopée. Mais il ne pouvait pas laisser les choses se dérouler ainsi, ses ennemis venaient de gagner une bataille mais la guerre était très loin d'être terminée et ils allaient regretter de l'avoir mis en colère... Dans un violent effort, il reprit le contrôle de ses sens et donc de la situation. Skade venait de détruire la porte, son esprit protégeait Cynoë afin de l'empêcher de mourir. Elle les empêchait aussi d'attaquer, leur sauvant ainsi la vie... Pourquoi de tels agissements ? Là encore le Blanc ne le savait pas trop mais soit, il fallait qu'il s'adapte à la situation et tant mieux si certains points se passaient un peu moins mal qu'ils l'auraient dû.

"ASSEZ !"

L'ordre claqua en direction du commandant et du dragon en deuil, rajoutant une nouvelle contrainte à celle que Skade faisait peser sur eux. Il allait reprendre la parole et affirmer en passant que Mort avait parfaitement su ce qu'il faisait en se liant à la jeune femme mais un mouvement l'interpella. Le jeune vampire.. Lui aussi aurait déjà dû attaquer mais il n'en faisait rien, la souffrance et la rage hurlaient en lui et pourtant il la muselait avec opiniâtreté. Une lueur de surprise passa dans les pâles prunelles du Voleur de Coeur en le voyant se soumettre ainsi et il lança son esprit contre le sien pour le fouiller plus encore. Il y vit bien des choses, à commencer par les dernières paroles qu'avait eu son frère pour lui. Revenir... De la Mort ? Voilà qui serait bien étonnant mais il avait eu l'air sur de lui et comment savoir jusqu'où étaient prêts à aller les Esprits maintenant qu'ils avaient abandonné leur notion de libre arbitre et de non intervention ? Reviendraient-ils sur leurs principes les plus ancrés ? Un autre effort lui permit de revenir de nouveau à l'instant présent et il revint à Shadowsong :

"J'en disposerai..."

Une réponse brève et sans fioriture, il était inutile de rajouter quoi que ce soit. Il avait lu dans l'esprit de celui-ci qu'il ne lui offrait sa soumission que parce qu'il pensait que c'était là le désir qu'avait eu son frère. Très bien, il en profiterait pour le moment et il verrait bien ce que cela donnerait. Sa voix se fit plus forte tandis qu'il reprenait pour eux tous :

"Tout ceci n'aurait pas dû arriver, c'est une sombre manoeuvre des Esprits et ils vont payer pour cela. Vous partez vers les plaines, tous. Toutes les troupes qui ne sont pas mobilisées pour rechercher les évadés doivent se préparer à marcher sur le désert. Leur barrière tombera..."

Et alors les choses iraient très mal pour ceux qui avaient osé le surprendre ainsi. De plus éloigner les principaux acteurs de cette sombre affaire était la seule solution actuelle pour éviter de nouvelles catastrophes. Il pourrait les tuer tous bien sur et il y serait forcé d'ici peu sans doute mais en attendant il pouvait s'en servir et rediriger leur rage vers les Esprits. Qu'il y parvienne ou non, ils seraient de toutes façons trop occupés dans les prochains mois pour lui poser problème. Car lui aussi allait être occupé... Très sérieusement même. Pressé soudain de s'occuper de tout cela, il ordonna :

"Sortez. Vous pouvez emmener les corps. Concentrez vous sur notre objectif, la prise des plaines et finalement du désert. C'est là la seule vengeance qui vous sera accessible."

Et c'était vrai, ils ne pouvaient pas l'attaquer et même si ils y parvenaient ils seraient tués sur le coup. Pas de quoi arrêter certains d'entre eux bien sur mais cela suffisait à Vraorg, au moins jusqu'à ce qu'il ai percé le plan des Esprits, et qu'ils aient été mis hors d'état de nuire...

Assez ? Non, il n'en aurait jamais assez. Jamais plus. Aussi longtemps qu'il continuerait d'exister, la moindre de ses pensées, le plus insignifiant de ses gestes, le plus inaudible de ses murmures ne seraient plus qu'une rébellion sans fin. Et toutes les contraintes du monde ne pourraient jamais rien y changer. Tout au plus parviendraient-elles à refouler la haine et la colère au second plan, mais la soif de vengeance du vampire, elle, n'en cesserait pas pour autant de croître. Que du contraire, il accumulerait méticuleusement chacune des étincelles de sa rage frustrée dans un recoin de son esprit jusqu'à ce qu'enfin l'occasion de la faire exploser lui soit donnée. Pour l'instant cependant, l'intervention de Skade, celle de sa marque et finalement celle de Vraorg en personne parvinrent à terrasser la folie furieuse qui s'était emparée de l'amant brisé, livrant ce dernier à la peine et au chagrin que la colère avait éclipsés un temps. A présent qu'il était moins combatif, la fermeté de ses chaînes diminua, sans pour autant disparaître totalement mais suffisamment néanmoins pour lui rendre une certaine liberté de mouvements. Ses gestes restaient lents et douloureux, arrachés de haute lutte tandis qu'il se dirigeait lentement vers le corps sans vie de son aimée. Il n'accorda aucune véritable attention à l'intervention de Merithyn, dont les voraces ambitions n'avaient pas attendu bien longtemps avant de briguer la place de Wintel. Vampire jusqu'au bout des ongles, l'ancien baptistrel, mais qu'importe.

Lorsqu'il rejoignit finalement la dépouille d'Esmelda, Kylian laissa son regard se porter brièvement vers Cynoë, accablé tout comme lui par la douleur, avant de glisser un bras autour des épaules de la jeune femme pour la soutenir et la serrer contre lui avec une tendresse infinie. Sa main vint trouver la sienne, incapable d'abandonner totalement l'espoir d'en sentir les doigts se presser contre les siens, avant qu'il ne dépose un dernier baiser sur le front de la belle. Le regard perdu dans la triste contemplation des traits inanimés, le sombre commandant ne manqua cependant pas prêter l'oreille aux paroles de son maître honni. Espérait-il sincèrement encore obtenir la moindre parcelle de soumission de sa part ? Le Voleur de Coeur eut mieux fait de le tuer tout de suite, mais alors même que le vampire était sur le point de le lui faire remarquer, son regard glissa sur le tatouage qui ornait la main qu'il serait dans la sienne. La marque de Mort. Se pouvait-il que ce soit à elle qu'Esmelda dut de perdre la vie ? Vraorg avait affirmé que cela n'aurait pas dû arriver, et le Blanc n'avait aucune raison de mentir sur le sujet, surtout s'il avait voulu punir le renégat pour son omission en lui arrachant la vie de la princesse. Après tout, il eut été plus cruel encore d'accabler le vampire sous la culpabilité. Comble de l'ironie, ce fut donc à sa cruauté que le Voleur de Coeur dut d'être entendu par le commandant de sa garde.

Songeur, Kylian laissa son pouce caresser le dessin, ruminant sinistrement les accusations que le Blanc venait de proférer à l'égard des Esprits. Vraorg était coupable, et il paierait pour cela, mais il n'était pas le seul responsable, loin de là. Car si Mort n'avait pas désigné Esmelda, s'il ne s'était pas servi d'elle comme il l'avait fait, s'il n'avait pas trompé la confiance que la belle avait placé en lui, elle serait encore là, elle et le petit coeur qui avait cessé de battre en même temps que le sien. Affaibli par la souffrance qui le rongeait, le dragonnier des tempêtes se laissa lentement mais sûrement effleurer par de plus graves pensées encore. Il s'imagina soudain Mort jaloux de la vie que le couple interdit était parvenu à créer, ce alors même que ce droit n'était pourtant pas destiné à leur être donné. L'Esprit de la Vie s'était en effet toujours refusé à bénir leur amour, tant et si bien que seule l'intervention de Vraorg leur avait finalement permis de contourner cette injuste volonté. Quoi de surprenant finalement à ce que ces Esprits intolérants ne détruisent ce fruit si précieux ? Lentement, d'idées en pensées, de pensées en raisonnements, le vampire endeuillé reporta sa rancoeur sur l'ensemble des Créateurs, ceux-là même que Vraorg combattait.

Soudain étonnamment docile, Kylian se redressa lorsque la permission lui en fut donnée, portant dans ses bras le corps de la princesse. Ainsi blottie contre lui, la jeune femme semblait simplement endormie, mais avant de se retirer pour honorer comme il se devait sa perte, le vampire tourna son regard endolori vers le Voleur et confirma avec froideur :

« Les plaines et le désert tomberont... »

Et le Protectorat avec eux. Ainsi privé du soutien des Protégés, les Esprits qui se prétendaient Créateurs tomberaient à la merci du dragon albinos et celui-là même qui se prétendait son maître deviendrait l'outil de la vengeance du dragonnier. Cela ne lui rendrait certes pas la princesse, mais permettrait au moins d'assouvir sa soif de vindicte... Du moins était-ce ce dont il s'était convaincu.

L'ordre de Vraorg le fit frissonner plus encore que le flot incessant d'émotions qui coulait et frappant le cloisonnement qu'il s'était imposé pour ne pas se briser au plus profond de lui-même. Bien qu'il sentait toujours la présence apaisante de la Grande Dragonne Skade, pas une seule fois il détourna son regard du corps de sa liée, même si le silence était imposé par la volonté immonde du Blanc. Sans réagir plus, il suivit les gestes de Kylian prendre le corps de sa bien aimée après avoir croisé son regard aussi terni par le malheur que lui. Si l'Améthyste n'avait pas été si las, si déchiré de coeur et d'esprit, peut-être qu'il lui aurait interdit de toucher à sa liée. Car dans ses peines, à revoir ce qui s'était produit avant le drame, sa liée avait été convoqué par Vraorg...pour accabler un vampire fautif et subir une pression émotionnelle en voyant sa tendre aimée rouée de coups. Si Kylian n'avait pas joué à un jeu dangereux... Esmelda n'aurait pas perdu la vie !

Les serres de l'Améthyste griffèrent le sol, fermant les yeux. Skade le maintenait toujours au sol. Une bonne chose au final.... Tant de choses se bousculaient dans son être. Il aurait voulu rugir sa rage et son désespoir. La faute à Kylian ? Non, selon le Voleur de Coeur, les Esprits avaient fomenté tout cela. Cette faute leur incombait donc. Cynoë avait beau essayer de raisonner, il peina à raisonner, pour savoir à qui elle revenait réellement. Ses orbes qui luisaient de certitude dans l'ambre qui les emplissait étaient vides de toute volonté. Ils se posèrent sur le vampire résolu à se venger des Esprits et de tous ceux qui les servaient. Ainsi étaient ses mots : les plaines et le désert tomberont....Son regard attristé se fixèrent encore sur le corps de la princesse, tenue dans les bras de Kylian comme si elle dormait. Elle paraissait si paisible, mais ce n'était qu'une froide façade que lui avait apporté l'arrivée de la mort, lui arrachant l'âme et la vie de son enveloppe. Cynoë termina son tour de regard en regardant Vraorg...pour les détourner. Qu'y avait-il d'autres à faire désormais que de se rendre vers les plaines...

L'Améthyste eut lentement le regard vague. Kylian désirait la vengeance, Vraorg leur soufflait que ce malheur n'aurait jamais du se produire...Bien des choses n'auraient jamais du se passer. De frêles pensées tentèrent de le secouer, lui rappelant qui était Vraorg. A quoi bon maintenant que son lien était brisé ? Il n'était plus rien...D'autres songes tentèrent de s'insinuer et il les chassa. Réfléchir ne servirait plus à rien. Puis tout se bousculait à nouveau, s'entrechoquant dans la souffrance et la douleur de la perte d'Esmelda. Avant que le vampire ne se retire avec le corps de sa liée, il s'était surpris à tendre son esprit affaibli vers Kylian

°N'oublie pas qui elle était et pourquoi tu l'aimais...°

Une pensée ténue. A se demander si le vampire la capterait. Puis le dragon ne pensa plus à rien, restant sur sa propre douleur et s'ancrant à peine dans la présence mentale de Skade qui le soulageait. Peu lui importait d'être lui-même, d'être Cynoë. Pour le moment....

Fin de cette intrigue, merci aux participants !

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